L’apprentissage médiatisé par les technologies

Si l’importance d’apprendre et de maîtriser un vocabulaire de base pour comprendre un texte en langue étrangère (L2) n’est plus à démontrer (Howrey John, Quinn Kelly, 2015, p. 11 ; Cardoso G. L., 2013, p. 35 ; Altiner, C., 2011, p. 175 ; Oberg, A., 2011, p. 118), il en va de même entre vocabulaire et compréhension de textes en langues anciennes. On peut encore arguer qu’au-delà même de la compréhension de textes de plus en plus ardus, véritable clé d’accès à la littérature antique et à la culture qui se dégage des termes et des œuvres d’auteurs, le plaisir même de la lecture dépend en partie du bagage terminologique emmagasiné. La situation est bien résumée par J.-L. Nembrini (2009, p. 53) dans le cadre des plans d’études français : « Découvrir une langue, c’est d’abord en éprouver la diversité et la richesse lexicales. Pour parvenir à une certaine autonomie dans l’activité de lecture d’un texte latin ou grec, l’élève a besoin d’un fond de vocabulaire choisi selon une logique fréquentielle. Sans ces connaissances lexicales minimales, la compréhension et la traduction seront vécues comme des tâches insurmontables ». Il ne s’agit pas d’affirmer ici que la connaissance d’un vocabulaire soit suffisante à la compréhension d’un texte ou d’une culture, point d’ailleurs clairement démenti par A. Armand (1997, p. 84 ; également Ko, M. 2000, p. 55). Nous soulignons seulement que rechercher dans un dictionnaire la majorité des termes nécessaires à la compréhension d’un texte donne à la tâche un caractère fastidieux, et passablement démotivant : en compromettant le sentiment d’efficacité personnelle, qui naît de la conviction de l’individu d’avoir les capacités suffisantes pour accomplir une tâche précise (Masdonati, J., 2012, p. 164 5), le manque de vocabulaire affecte ainsi également la motivation (Bandoura, A., 2003, p. 115) .

Par ailleurs, la découverte du vocabulaire des langues anciennes et sa connaissance sont au fondement de l’enrichissement linguistique attendu de leur enseignement. C’est ainsi par l’apprentissage progressif des différentes racines grecques qui composent la langue française que l’élève se révélera progressivement capable de déduire de l’étymologie d’un mot son sens approximatif. Finalement, la découverte d’une culture autre s’inscrit également au cœur de la découverte du vocabulaire : par l’intermédiaire des concepts d’une langue ou d’une famille de langues, c’est un accès à un système de pensée et à une organisation du monde autres qui est ouvert (Armand, A. 1997, p. 107). Ainsi s’il n’est pas question d’interroger la pertinence de l’apprentissage d’un vocabulaire fondamental en langues anciennes, la question des modalités de cet apprentissage demeure. Elle se pose peut-être d’autant plus que l’enseignement du grec ancien est délivré sous la forme de cours facultatifs dans les collèges du Canton de Vaud. L’absence de contraintes fortes en matière d’apprentissage et la surcharge de travail que représentent ces cours pour les élèves exigent en effet de l’enseignant qu’il offre aux élèves à la fois le cadre et les outils les plus propices à la progression et les plus motivants. Si de nombreuses stratégies ont pu être proposées dans le domaine en langues modernes, telles que la composition par les élèves eux-mêmes du stock de vocabulaire à apprendre à partir de la lecture d’un texte (Atkinson, R. C., 1972), les méthodes d’apprentissage du vocabulaire grec et latin sont pour la plupart restées inchangées : on y rencontre la traditionnelle liste de termes à apprendre par cœur, manuel en main. Si des réflexions ont été engagées, notamment en matière de vocabulaires fréquentiels en France (Ko, M., 2012, p. 79 ; Armand, A. 1997, p. 140 ; comme exemple de vocabulaire fréquentiel Guisard, P., & Laizé, C., 2012 ; Nembrini, J.-L., 2009, p. 53) ou d’apprentissage du vocabulaire par les textes ou par la contextualisation (Nembrini, J.-L., 2007, p. 72 ; Armand, A., 1997, p. 112), nous avons pris le parti de nous intéresser plus particulièrement à ce qu’on nomme l’apprentissage explicite, ou intentionnel, du vocabulaire et aux outils à disposition pour soutenir cet apprentissage auprès des élèves dans le contexte de l’enseignement du grec ancien dans le Canton de Vaud.

L’apprentissage médiatisé par les technologies

Les programmes d’apprentissage du vocabulaire par ordinateur (Computer-Assisted Vocabulary Learning, abrégé CAVL), qui dépendent structurellement de l’apprentissage des langues médiatisé par les technologies (ALMT, qui correspond à l’anglais CALL-ComputerAssisted Language Learning) introduit dès les années 1960 (Cardoso, G. L., 2013 ; Hojjat, M., Ghasemi, A. A., & Moharami, M., 2015, p. 122 s. ; Guichon, N., 2012), couvrent une palette d’activités plus large que le jeu de questions/réponses tel qu’il est proposé par Provoc et introduisent généralement dans leurs activités des éléments du contexte d’emploi propre au mot (pour leur description, Ma, Q., & Kelly, P., 2006, p. 18 ss. ; références également chez Tatsuya, N., 2008, p. 5). Cependant, comme ces fonctions sont aujourd’hui essentiellement développées pour les langues modernes et que le logiciel qui sera évalué n’inclut que des possibilités de tests par QCM ou par questions/réponses, nous nous concentrerons dans la revue qui suit sur les publications relatives aux outils informatiques basiques proposés pour l’apprentissage d’un vocabulaire.

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La plus-value d’un apprentissage par ordinateur selon la psychologie cognitive

Les avantages d’un logiciel pour l’apprentissage de vocabulaires définis ont déjà fait l’objet d’études tant théoriques qu’empiriques au cours de ces deux dernières décennies. Il a été montré tout d’abord que les avantages de l’apprentissage assisté par ordinateur dépendent moins du recours à l’ordinateur que de la méthodologie ou du cadre théorique qui a présidé à la conception d’un logiciel. En effet, l’ordinateur n’est lui-même que le moyen de donner accès à une méthode d’apprentissage dont le logiciel doit tenir compte (Ma, Q., & Kelly, P., 2006, p. 21-22). Cette méthode repose elle-même sur les fondements cognitifs et théoriques généralement associés à l’apprentissage du vocabulaire. Le choix de la méthode doit permettre de guider ou canaliser les apprentissages de manière à les rendre plus efficaces. La méthode serait ainsi un soutien particulier pour les élèves dont les stratégies d’apprentissage en matière de vocabulaire sont encore peu élaborées (Tatsuya, N., 2008, p. 7). A cet égard, le programme comprend des étapes et des réglages techniques qui simulent ou reproduisent les stratégies d’apprentissage les meilleures. Ma, Q., & Kelly, P. (2006) vont jusqu’à dire que chaque programme devrait être conçu différemment pour chaque public cible. L’inclusion de pistes audio ou de vidéos ciblées permettrait en particulier l’adaptation du programme aux styles d’apprentissage des élèves. On retrouve une approche similaire chez Tatsuya, N. (2008), qui insiste de son côté sur la nécessité de concevoir l’algorithme président à la répétition des mots en conformité avec les théories cognitives relatives au « spacing effect » 2 et à la restitution. Un bon programme devrait ainsi intégrer à son fonctionnement un double objectif, partiellement contradictoire : d’une part, favoriser la restitution d’un mot de mémoire, ce qui exige un laps de temps relativement bref entre la première occurrence d’un mot et la seconde, d’autre part tenir compte de la nécessité d’espacer la répétition des mots pour que leur apprentissage gagne en durabilité. Le laps de temps entre l’occurrence d’un mot et ses occurrences suivantes devrait ainsi progressivement s’espacer. Lors d’une phase ultérieure de révisions, la continuité avec les difficultés rencontrées lors de l’apprentissage précédent est assurée par l’ordinateur. Capable de mémoriser les erreurs des apprenants, il constitue un stock de mots difficiles propre à l’utilisateur et permet ainsi la génération d’une nouvelle phase d’apprentissage qui soit adaptée à ses besoins. Si nous n’avons pu déterminer la méthodologie et l’algorithme selon lesquels le programme Provoc a été conçu, les tests que nous avons effectués avant de présenter l’outil aux élèves nous ont amené à penser qu’il répondait aux exigences exposées par la chercheuse : les mots sont présentés à intervalle différent selon la difficulté qu’ils posent à l’élève et le programme garde en mémoire les informations d’une séance d’exercice pour mieux s’adapter aux besoins de l’utilisateur. Les approches théoriques de l’outil se sont, de leur côté, attachées à définir la plus-value possible de ce type de matériel informatique. En introduisant les mots de façon aléatoire, le  programme permettrait notamment d’éviter que l’apprentissage ne soit biaisé par l’ordre fixe de présentation des mots comme c’est le cas avec une liste de vocabulaire. Si cet avantage est aussi possible en étudiant avec des cartes de vocabulaires, le programme aurait l’avantage supplémentaire d’assurer un guidage stratégique plus élevé et de mieux répondre aux styles d’apprentissage des élèves. Finalement, il aurait un effet particulièrement positif sur la motivation à apprendre, généralement expliqué par l’attrait de la nouveauté ou du changement qu’il permet par rapport aux outils d’apprentissages plus traditionnels (Tatsuya, N., 2008, p. 16-7).

Table des matières

I. Introduction
II. Etat de la recherche
II.1 L’apprentissage médiatisé par les technologies
II.2 La plus-value d’un apprentissage par ordinateur selon la psychologie cognitive
II.3 Etudes comparatives déjà menées
III. L’enquête
III. 1 Variables
Participants
Matériel
Calendrier
III. 2 Procédure
Instructions
Les tests
Le questionnaire
IV. Résultats des tests et analyse des traces écrites des élèves : données et interprétation
IV.1 Les résultats des élèves aux tests
IV.2 Les types d’erreurs commises par les élèves
Expérience 1 et 2 : avec cartes
Expérience 3 et 4 : avec Provoc
V. Résultats du questionnaire
V.1 Les données récoltées
Présentation des données
V.2 Situation générale des élèves
Expériences antérieures des élèves avec cartes, CAVL ou CALL
V.3 Préférences des élèves suite à l’expérience
V.4 Difficultés associées aux outils
V.5 Evaluation des particularités des outils
V.6 Différences entre latinistes et non-latinistes/bilingues et non-bilingues
VI. Conclusion

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