L’apport des nouvelles technologies et de la géométrie dynamique dans l’espace
Il existe de nombreux logiciels de géométrie dynamique dans le plan, comme Geoplan, Geonext, MathGraph, Cabri-géomètre, Tracenpoche, CaRMetal ou encore GeoGebra qui est sans doute le plus connu et le plus utilisé. A contrario, les logiciels destinés à la géométrie dans l’espace sont bien plus rares. Nous pouvons tout de même citer Geospace, Calque 3D, Série3D, et Cabri-3D (figure 1.20). (a) (b) (c) Figure 1.20 – Trois logiciels différents de géométrie dynamique dans l’espace : (a) Cabri 3D, (b) Calque 3D, (c) Geospace. L’utilisation de ces logiciels de géométrie dynamique et plus particulièrement de géométrie dans l’espace occupe une part importante dans les programmes, tout au moins dans les L’apport des nouvelles technologies et de la géométrie dynamique dans l’espace 45 programmes du secondaire. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’absence d’une telle préconisation dans le cycle 3 du primaire. En effet, dans le cas où l’utilisation de tels logiciels apporterait un gain pédagogique, cela permettrait un passage continu entre le primaire et le secondaire en facilitant le passage du solide de l’espace physique à sa représentation déjà largement utilisée dans les manuels scolaires (figure 1.14). La première question que nous pouvons donc nous poser est : Quel est l’apport des logiciels de géométrie dans l’espace ? La seconde question que l’on peut se poser est : Quelle est la part de la « technologie » dans cet éventuel apport ?
Avantages des logiciels de géométrie dans l’espace
Comme le souligne Osta (1987), l’introduction de l’informatique à l’école a été polémique et a soulevé de nombreuses questions sur le gain potentiel que peut offrir le numérique (à l’époque l’ordinateur). Dans son étude, il considère l’ordinateur comme un outil d’aide à l’enseignement et non pas comme un objet d’étude en soit. Il s’intéresse plus particulièrement au rôle que cet outil peut jouer comme facilitateur du passage de l’espace physique réel à l’espace graphique de la représentation dans le plan. D’après Osta (1987) l’outil informatique apporte une nouvelle dimension dans les situations d’apprentissage de la géométrie dans l’espace grâce à un « traitement dynamique des informations » qui permet de sortir du caractère statique du dessin : « Le dessin n’est plus un support statique de représentation de l’objet, il est au cœur du problème, et c’est à travers lui que se manifestent et évoluent les conceptions des élèves. » Cependant, l’étude d’Osta, même si elle montre que l’intégration de l’outil informatique dans une séquence d’enseignement est possible du point de vue de la conception et de la réflexion didactique, ne vérifie pas les résultats obtenus lors d’une mise en situation de cette séquence. Des études plus récentes comme celles de Chaachoua (1997) puis celles de Mithalal (2010), ont confirmé les éléments pressentis par Osta en 1987. Dans sa thèse de doctorat, Chaachoua (1997) met en avant les limitations de l’interprétation du dessin d’un objet géométrique de l’espace dans l’environnement « papier-crayon » : « […] nous avons montré que le domaine d’interprétation d’un dessin, modèle d’un objet géométrique dans l’espace, est très réduit, et fonctionne selon des règles différentes de celles du dessin, modèle d’un objet géométrique du plan. » Après avoir mené ses études à partir des deux logiciels de géométrie dans l’espace (Geospace et Cabri 3D), Chaachoua (1997) est arrivé à la conclusion que l’environnement informatique permet d’élargir le champ du dessin : 46 « […] l’environnement informatique peut élargir le champ d’expérimentation du dessin modèle d’un objet géométrique du plan ou de l’espace. » De son côté Mithalal (2010), évalue l’apport de l’informatique à partir des différentes fonctions du dessin (cf. 2.3) et en prenant appui sur le logiciel Cabri-3D. Dans le cadre d’un environnement informatique, Mithalal note une « meilleure fonction d’illustration » essentiellement liée à une baisse de complexité de l’examen perceptif, ce qui permet à l’environnement informatique de venir combler un vide en se positionnant entre la maquette et la représentation plane sur papier : « Cette baisse de complexité est un avantage majeur des représentations informatisées, qui les rapproche à ce titre des maquettes. » Cette baisse de complexité est aussi en partie due à la possibilité des environnements informatiques de simuler une vision tridimensionnelle et ce sans forcement utiliser des lunettes 3D, mais simplement en animant de façon continue un solide comme le souligne Bakò (2003) : « Although the screens are two-dimensional and computers can produce only drawings, if we take time into account and use continuously changing pictures, it can help to giving the impression of a three dimensional vision. » Cependant bien que les représentations en environnement informatique permettent d’aller au delà des limites imposées par la projection plane, elles restent des représentations du plan et conservent une distance entre représentant et représenté. La conservation de cette distance entre représentant et représenté est toutefois souhaitable puisqu’elle est essentielle pour que l’élève réussisse la transition entre dessin et figure. Par ailleurs, Laborde (1999) considère en effet que de tels logiciels « favorisent la distinction entre dessin et figure ». Bellemain (1992) met aussi en avant les possibilités qu’apportent ces logiciels en terme d’investigation grâce aux multiples essais et conjectures possibles dans des situations d’exploration ou d’expérimentation. Enfin, nous pouvons noter que même si des études avec des logiciels de géométrie dynamique dans le plan ont été faites en collège ou au primaire, l’ensemble des études réalisées avec des logiciels de géométrie dans l’espace porte sur des élèves de lycée, ce qui nous interroge encore une fois sur la possibilité et l’apport de tels logiciels dans des classes de collège et de primaire. Nous allons donc étudier les limites de ces logiciels pour essayer de comprendre les restrictions actuelles de leur utilisation.
Limites des logiciels de géométrie dans l’espace et conséquences
Même s’ils présentent des avantages, les logiciels de géométrie dans l’espace ont toutefois certaines limites. L’une de ces limites est directement liée aux Interactions/Interfaces Homme- Machine (IHM). En effet, d’après Chaachoua (1997) qui reprend des éléments déjà évoqués par Balacheff (1994), les problématiques des interfaces des logiciels de géométrie dynamique en général et de géométrie dans l’espace en particulier viennent se combiner aux problématiques didactiques (figure 1.21) : « Pour tout environnement informatique d’apprentissage, les concepteurs sont amenés à faire des choix au niveau de l’interface, et par là au niveau de l’univers interne. Ces choix peuvent devenir des contraintes spécifiques à l’environnement informatique : contraintes de l’interface et contraintes de contenu. Les objets de savoir vont donc vivre dans un environnement informatique non seulement sous les contraintes de la transposition didactique mais aussi sous d’autres contraintes spécifiques à l’environnement informatique, notion introduite par Balacheff (1994a, p.364) » Par univers interne, Balacheff entend les langages de programmation qui peuvent avoir un impact sur les choix d’implémentation et de développement de l’interface. Dans le développement d’un logiciel de géométrie, il ne faut pas que les choix en terme d’interface viennent contredire ceux qui devraient être faits pour des raisons didactiques. Aussi, Chaachoua (1997) préconise ce qui justifie à lui seul ce premier chapitre et qui illustre par là même l’importance et la difficulté des IHM : « Il est nécessaire de mener une analyse didactique pour la conception d’un environnement informatique destiné à l’enseignement. Pour la géométrie dans l’espace, cette analyse concerne au moins trois pôles : manipulation directe, choix de représentation et les primitives géométriques. » Comme le souligne Mithalal (2010), la problématique ne se limite pas à l’interface des logiciels de géométrie dans l’espace mais va bien s’ancrer dans celle des IHM. En effet, aux possibles difficultés de navigation dans les menus, viennent se rajouter des difficultés de déclaration des objets mathématiques ou encore d’utilisation des outils : « Il faut cependant souligner que l’usage de ces environnements n’a rien de naturel. Leur complexité contraint les utilisateurs — et à plus forte raison les enseignants — à un apprentissage de l’utilisation du logiciel pour lui-même : déclaration des objets, navigation dans les menus, utilisation des outils. . . Qui plus est, les représentations mêmes produites par ces logiciels possèdent des caractéristiques qu’il faudra prendre en compte. C’est notamment le cas des propriétés de résistance au déplacement des représentations : elles offriront un terrain d’expérimentation élargi, mais supposent un apprentissage spécifique, comme l’a montré Restrepo (2008). » 48 On peut ainsi noter que les environnements informatiques de géométrie dans l’espace nécessitent un apprentissage et que leur usage n’a rien de « naturel ». Ces deux derniers points permettent sans doute de comprendre partiellement la non préconisation de tels logiciels dans les programmes de primaire. On peut simplement illustrer ces propos en regardant la création d’un des objets géométriques de l’espace le plus connu : le cube. Pour cela nous allons regarder les interactions et manipulations nécessaires pour créer un cube avec deux logiciels de géométrie dans l’espace. Le premier Geospace est celui qui est mis à la disposition des étudiants candidats au CAPES de mathématiques et le second est celui qui à l’heure actuelle fait référence en terme de simplicité d’utilisation d’après les enseignants.