L’apport des CP à la Performance dans les relations de service
Les CP émergent pour permettre à leurs membres de faire face aux difficultés du contexte des relations de service Pour bien comprendre l’impact du contexte sur l’émergence des CP, nous allons faire ici un bref retour sur le contexte des front office, caractérisé à la fois par la coproduction du service avec le client, la multiplicité et l’imprévisibilité des cas, le conflit de logiques, où productivité et service, ainsi que les processus mis en œuvre, semblent se livrer une bataille qui se répercute sur la nature des performances privilégiées. Nous allons également revenir sur les limites des deux ressources productives abordées dans le chapitre précédent, à savoir les compétences individuelles et les procédures de prescription. Nous rappelons au passage que ces problèmes et contradictions sont souvent laissées à la charge des agents. Les CP émergent donc comme une troisième source, mobilisée par les agents dans le but de faire face aux situations et de se rapprocher le plus possible des objectifs de performance exigées dans les relations de service.
Retour sur la problématique des situations multiples et imprévisibles
Dans le chapitre précédent, la présentation des travaux de Pichault et Zune (2000), Hanique et Jobert (2001), Zarifian, (2002), Jeantet (2003), Valléry (2004) et d’autres a montré que l’activité dans les relations de service est intense et fait émerger des cas multiples et parfois imprévisibles. Ces situations sont imputées essentiellement aux profils et aux comportements des clients (le « client multiple ») et aux demandes diverses et spécifiques émanant de ces L’apport des CP à la Performance dans les relations de service. 205 derniers. La complexité des situations est encore accentuée par le caractère co-productif de la relation, qui implique que l’organisation développe à travers ses salariés de « front-office » une forte capacité d’adaptation. Toutefois, il faut garder en tête que dire les situations sont multiples et parfois imprévisibles ne signifient pas qu’elles sont radicalement différentes l’une de l’autre. En effet, certaines similitudes, à des degrés différents, existent toujours du moment où on reste dans la même organisation, le même métier, avec les mêmes salariés et parfois encore avec des clients habitués. En plus de la complexité de certaines situations, les missions sont difficiles pour les agents car le succès d’une prestation dépend d’un objectif de performance double : réduire au maximum le temps de l’interaction avec le client (critère quantitatif) tout en s’efforçant à établir avec ce dernier une relation de qualité, positive et durable (critère qualitatif) (Zarifian, 2002 ; Gadrey, 2002). La variable temporelle, qui ne joue pas dans le même sens lorsqu’il s’agit de la performance quantitative ou qualitative, a conduit ces auteurs et de nombreux autres, à considérer que ces deux critères sont contradictoires. Ainsi, la complexité des situations et des tâches, conjuguée à la quête d’un équilibre entre la performance quantitative et qualitative, donnent lieu à une équation particulièrement difficile à résoudre. Ceci justifie, comme nous l’avons déjà vu, le recours des organisations à la mobilisation d’un modèle productif hybride, combinant les compétences individuelles des salariés et une rationalisation des procédés via la prescription des modes opératoires.
Retour sur les limites des modèles des compétences individuelles et de la prescription
Dans les front-office , les compétences productives sont essentiellement les compétences individuelles des agents et les ressources organisationnelles, en particulier, la prescription des modes opératoires. Le modèle de compétence de l’agent permet de rendre compte du réel de l’activité du service, car il est présenté comme étroitement corrélé aux exigences situées de la coproduction. En effet, pour analyser la demande, faire des arbitrages, prendre des décisions, et manager la contribution et le comportement du client (David, 2001), l’agent doit mobiliser toute une batterie de savoirs et savoir-faire techniques, pratiques et relationnels, qui lui permettent de gérer la situation et produire une solution de service. Bien que ce modèle soit jugé adéquat pour le service (parce qu’il permet de viser la qualité via l’adaptation et la personnalisation, etc.) et continue à faire ses preuves, il n’en demeure pas moins qu’il atteint rapidement ses limites du fait des déficits de connaissances techniques chez le salarié, de sa 206 difficulté à faire face à tous les types de situations. Il atteint aussi rapidement ses limites liées à la nécessaire implication de la subjectivité du salarié dans le processus et dans le jugement (perception) de la performance. (cf. 2nd chapitre : 3.1.4 Les limites des compétences individuelles et de la subjectivité). Ces problèmes présentent donc un handicap pour l’agent dans sa gestion des situations multiples et imprévisibles, et par conséquent, constituent un obstacle pour atteindre les objectifs de performance fixés par l’organisation. Ces limites peuvent avoir un impact sur la qualité des services rendus mais, plus globalement, ce modèle de compétence individuelle est problématique parce qu’il est souvent jugé par l’organisation comme « pas assez productif ». C’est ce qui explique ou justifie l’introduction de la logique industrialiste dans les relations de service. Elle est considérée comme favorisant la productivité et la rentabilité du service. Le recours à la rationalisation via la prescription des modes opératoires (permis notamment par l’utilisation des NTIC) constitue ainsi une réponse à ces limites perçues dans le modèle de la compétence. Comme nous l’avons vu, ces organisations, s’inspirant de réflexes tayloriens, ne font pas confiance aux compétences professionnelles et aux capacités de jugement des agents (Combes, 2002). Elles promeuvent la standardisation du service et le formatage de son processus de coproduction (« the one best way ») en mettant en place des scripts, issus d’une conceptualisation qui se veut la plus scientifique et objective possible (Amiech, 2003). Ceci réduit donc la marge de manœuvre de l’agent en termes de réflexion/conception, pour consacrer son énergie à exécuter uniquement. Cette logique est vue par les auteurs comme visant l’accélération des rythmes de production pour en tirer une plus grande rentabilité. Comme nous l’avons vu, certains auteurs (Gadrey (2002), Combes 2002, Colin et al., (2009), et d’autres), reconnaissent à ce modèle industrialiste des apports non négligeables en termes de performance quantitative (gains de productivité), ainsi qu’une part dans l’amélioration de la qualité de service. Mais, il atteint lui aussi très rapidement ses limites. En effet, le modèle industrialiste ne permet pas de répondre aux exigences situées de la relation et ne permet pas de développer un avantage concurrentiel sur le marché, dont les facteurs clé de succès résident dans la personnalisation, l’adaptation, la flexibilité, et donc dans la qualité de la relation de service (Ferrary, 2002). En effet, la standardisation et la prescription des modes opératoires ne permettent pas de prendre en compte les situations imprévisibles résistant à la normalisation et à la prescription, par le fait de la coproduction, qui par définition, fait que la relation n’est jamais jouée d’avance (Hubault et Bourgois, 2001).