L’évolution démo-spatiale de la population de l’Union Européenne non française à la naissance dans l’espace migratoire marseillais entre 1968 et 2006
A La construction de l’UE : un espace de référence variable pour la définition de la population d’étude
Un préalable à l’analyse de l’évolution des caractéristiques sociodémographiques et spatiales de la population de l’UE non française à la naissance dans l’EMM est la recherche d’une méthode permettant d’identifier, tout au long de la période temporelle que recouvre cette analyse, les personnes appartenant à la sous-population étudiée. En particulier, un critère unique doit être choisi, qui devra permettre de retrouver cette population dans les sources de données statistiques : ce sont ainsi, dans un premier temps (A.1), les variables démographiques et les valeurs qu’elles peuvent prendre qui constituent un premier élément de définition de la population d’étude. De plus, le caractère commun de la population d’étude est l’appartenance – au sens du critère statistique précédent – à l’UE, espace géographique et institutionnel qui devient ainsi l’espace de référence pour sa définition. Le changement des frontières de cet espace au cours de l’analyse rend nécessaire l’établissement d’une hypothèse de travail pour les fixer, et, dans un deuxième temps (A.2), un court rappel de la chronologie d’adhésion des pays membres qui le constituent en 2006.
Deux éléments de définition de la population d’étude
Cette section propose une analyse critique de chacune des variables démographiques permettant d’organiser une population en sous-groupes distincts. Pour un individu, le critère d’appartenance à l’un d’entre eux doit, pour notre étude, reposer sur une caractéristique démographique mettant en évidence son lien, par sa nationalité à un moment de sa vie, avec un espace géographique de référence, fonction de cette variable, dont les frontières doivent être pertinentes pour ce travail. L’analyse justifie finalement le choix de la nationalité comme élément principal de définition de la population d’étude. Cette variable n’étant pas nécessairement constante au cours de la vie d’un individu, l’étendue temporelle de notre étude requiert une précision sur sa définition (A.1.1) ; de la même façon, la variation des frontières de l’UE au cours de cette période nécessite une hypothèse pour sa constitution en tant qu’espace de référence (A.1.2).
La nationalité comme variable sélective
Trois variables démographiques, proposée dans le recensement de l’INSEE, donnent des informations sur l’origine des personnes, au sens de la filiation comme au sens géographique, et peuvent, en fixant leurs modalités sur le groupe des personnes qui constituent la population d’étude, être le critère discriminant recherché pour la définir. Ce sont le pays de naissance, l’indicateur de nationalité et la nationalité. Chaque variable agrège les individus de la population totale en groupes de population différents, et présente, à ce titre, des avantages et des inconvénients relativement à l’objectif poursuivi par ce travail. La première variable, le pays de naissance, utilisée pour la population de l’UE non française à la naissance, distingue au sein de la population totale autant de groupes que de pays de l’UE. Un critère reposant sur le pays de naissance intègrerait donc à la population d’étude toutes les personnes nées dans un pays de l’UE quelles que soient leurs autres caractéristiques de nationalité : leur nationalité au moment des recensements elle-même et leur indicateur de nationalité [cf. Fig. I-1].
Il exclurait par contre toute personne née dans un pays hors de l’UE, même d’une nationalité UE, comme par exemple une personne italienne née en Algérie. La présentation de l’espace migratoire d’étude montrera que les personnes exclues de la définition permise par l’utilisation du pays de naissance – avec l’UE comme espace de référence – constituent une part trop importante de la population d’étude pour que le choix de ce critère soit pertinent dans le cadre de ce travail. Toutefois, cette variable présente l’avantage d’être invariante dans le temps : quel que soit le moment où elle est enregistrée, les groupes de personnes qu’elle constitue restent les mêmes ; il est alors par exemple possible de retrouver dans tous les recensements depuis leur arrivée la présence d’individus ayant changé d’indicateur de nationalité. Fig. I-1 Le critère de définition de la population d’étude reposant sur le pays de naissance Pays de naissance UE hors UE Français par acquisition Etranger Français par acquisition Etranger Né UE Né hors UE Né UE Né hors UE UE Hors UE UE Hors UE Français de naissance Français de naissance Indicateur de nationalité Nationalité à la naissance Nationalité Source : Réalisation propre Population étudiée Population non étudiée L’indicateur de nationalité est la deuxième variable ; elle a trois modalités et organise donc la population totale en trois groupes : les Français de naissance, les Français par acquisition et les étrangers.
Elle permet seulement d’identifier les personnes ayant, ou ayant eu, une nationalité étrangère, mais ne permet pas de préciser de quelle nationalité il s’agit. L’indicateur de nationalité s’avèrera toutefois très utile pour les analyses croisées avec d’autres variables, constantes dans le temps, puisqu’il évolue avec les individus qu’il caractérise. Par exemple, le croisement avec la nationalité à la naissance offre une description des changements de nationalité de l’individu, soit, de façon indirecte, un indice sur son histoire migratoire. Les deux variables présentées ne permettent pas d’établir un critère qui créerait, au sein de la population totale, une sous-population satisfaisante pour notre travail. Finalement, seul le critère utilisant la nationalité, telle qu’elle est définie dans le recensement de population de l’INSEE, c’est-à-dire la nationalité actuelle des étrangers et la nationalité à la naissance3 des Français par acquisition, a la propriété d’identifier une présence de population dont l’origine est liée à l’UE en un sens pertinent pour l’étude : il intègre les personnes ayant une nationalité 3 Dans le recensement de population 1990, la nationalité des Français par acquisition concerne la nationalité antérieure et n’est donc nécessairement pas la nationalité à la naissance.
Chapitre I 28 d’un pays membre de l’UE (hormis la France)4 et les personnes nées d’une des nationalités de ces pays, ayant ensuite acquis la nationalité française, conformément aux possibilités offertes par la législation5 , indépendamment du pays de naissance. Cela permet en particulier d’identifier dans les statistiques un effectif important de personnes italiennes, portugaises ou espagnoles nées dans un pays du Maghreb. Enfin, sur une période longue, il est, à notre sens, essentiel de faire porter l’analyse autant sur les étrangers que sur les personnes ayant pu acquérir la nationalité française [cf. Fig. I-2]. Fig. I-2 Le critère de définition de la population d’étude reposant sur la nationalité Nationalité (nationalité des étrangers et nationalité à la naissance des Français par acquisition) UE hors UE Etranger Français par acquisition Etranger Français par acquisition Population étudiée Population non étudiée Source : Réalisation propre La population d’étude de ce travail est ainsi la population ayant une nationalité d’un pays membre de l’UE, hormis la France, et la population née avec une nationalité de l’UE ayant acquis la nationalité française, quel que soit le pays de naissance ; elle est constituée donc d’étrangers autant que de Français par acquisition. Elle sera désignée dans la suite de ce travail par les termes : population de l’UE.
La même convention vaut pour les sous-populations de la population de l’UE ; ainsi, par exemple, la population espagnole comprend les personnes de nationalité espagnole comme celles nées espagnoles ayant acquis la nationalité française. Selon le même principe, les personnes ayant une nationalité d’un pays hors de l’UE ou bien étant Françaises par acquisition et nées avec une nationalité d’un pays hors de l’UE sont désignées par le terme population hors UE.6 4 Cette définition inclut également les personnes d’une nationalité hors UE qui ont acquis une nationalité d’un pays membre, par exemple une personne née turque ayant acquis la nationalité allemande. 5 Les étrangers peuvent acquérir la nationalité française par naturalisation, mariages, déclaration ou bien à leur majorité. 6 Ainsi, une personne née sénégalaise et devenue française fait partie de la population hors UE ; par contre, une personne née turque mais de nationalité allemande au moment de son séjour dans l’EMM fait partie de la population de l’UE.
L’UE en 2006 comme espace de référence
La définition de la population de l’UE, selon le critère sur la nationalité, soulève la question des frontières de l’espace de référence. En effet, puisque l’étude a une étendue temporelle importante, au cours de laquelle cet espace – l’UE – a vu sa définition changer, il est nécessaire d’effectuer l’hypothèse de travail suivante : la population de l’UE est ici définie en se référant à l’UE telle qu’elle existe en 2006. Nous travaillons donc sur les personnes d’une nationalité de l’UE à 25 pays (UE25 7 ), en excluant les personnes nées de nationalité française ; ce travail porte ainsi sur toutes les personnes installées dans l’EMM, d’une des nationalités suivantes, au moment du recensement, ou bien, si elles sont de devenues françaises, à leur naissance : allemande, autrichienne, belge, britannique, chypriote, danoise, espagnole, estonienne, finlandaise, grecque, hongroise, irlandaise, italienne, lettonne, lituanienne, luxembourgeoise, maltaise, néerlandaise, polonaise, portugaise, suédoise, slovaque, slovèneset tchèque.
La conséquence la plus importante de l’hypothèse est que nous considérons les personnes de l’UE25 (sans la France) même si, à un moment de la période temporelle couverte par l’étude, le pays ne faisait pas encore partie de l’UE (voir A.2). Certains des pays de l’UE25, au cours de la période d’étude, n’existaient pas sous leur forme administrative de 2006 : c’est le cas de certains pays de l’ex-bloc de l’est. Ainsi, pour l’exploitation des données statistiques, toutes les analyses des recensements entre 1968 et 1999 portent sur les pays faisant partie de l’UE en 2006, sauf les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et la Slovénie, qui apparaissent pour la première fois dans la statistique en 1999 en tant que pays. La République tchèque et la Slovaquie sont inclues dans les statistiques jusqu’à 1990 sous la forme administrative de la Tchécoslovaquie : après la partition en 1993, les deux pays apparaissent séparément dans la statistique de 1999. Dans le cas de l’Allemagne, les statistiques englobent la République Fédérale d’Allemagne et la République Démocratique d’Allemagne, même avant leur réunification en 1990. 7 Nous utilisons le terme UE25 pour souligner que la définition de la population de l’UE repose sur l’UE en 2006, c’est-à-dire l’UE à 25 pays membres, bien que nous excluions la population née française de notre population d’étude.
Un rappel de l’extension des frontières géographiques de l’UE
Le fait que nous utilisions l’UE avec ses frontières de 2006 comme espace de référence pour la définition de la population d’étude rend nécessaire une précision de la chronologie d’adhésion des 25 pays, puisque ses extensions successives interviennent au sein du cadre temporel de l’étude (1968 – 2006). Après un court exposé des premières réflexions sur la mise en place de l’UE par ses six pays fondateurs (A.2.1), nous traitons de son extension géographique, effectuée en cinq élargissements, selon trois étapes chronologiques : le premier élargissement vers le nord en 1973 (A.2.2), les trois élargissements vers une UE à 15 pays entre 1981 et 1995 (A.2.3), et enfin le cinquième élargissement vers l’est, c’est-à-dire la construction de l’UE25 en 2004 (A.2.4).
Les premières réflexions de coopération européenne
L’Allemagne , la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays Bas sont les pays fondateurs de l’UE. Ils participent en effet aux premières réflexions de coopération européenne après la seconde guerre mondiale. Cette réflexion aboutit à la rédaction du traité de Bruxelles 8 Nous utilisons dans ce paragraphe le terme : Allemagne, pour désigner, avant 1990, la République Fédérale d’Allemagne seule, puis, après 1990, l’Allemagne réunifiée. Chapitre I 31 et à l’organisation d’une coopération entre les pays au sein de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE), du Conseil de l’Europe puis à la création de trois communautés européennes. Le traité de Bruxelles9 est signé pour cinquante ans, le 17 mars 1948, par la France, le Royaume Uni et les pays du Benelux, en rappelant les valeurs essentielles de la civilisation occidentale qui méritent, selon eux, d’être défendues : les droits de l’homme, les libertés et les principes démocratiques. De plus, le traité affirme la volonté de coopérer pour reconstruire l’économie européenne et pour en assurer la sécurité. L’OECE a également été créée en 1948 ; elle est directement liée à l’aide financière10 des Etats-Unis pour la reconstruction de l’Europe après la guerre. Elle est en effet conditionnée par la mise en place d’une coopération économique entre les pays bénéficiaires.
Le général Marshall appuie cette coopération en déclarant : « Il faut que les pays de l’Europe se mettent d’accord sur les besoins qui découlent de la situation et sur l’effort qu’ils devront eux-mêmes fournir pour rendre efficaces les mesures que pourra prendre le gouvernement de notre pays » (GAUTHIER 1996, p.42). L’idée directrice est donc de mettre en place un espace économique. Pour mieux organiser l’aide économique des Etats-Unis, les pays européens s’efforcent de se réunir : après le congrès de La Haye12, la réunion d’une assemblée européenne est demandée, dont le rôle est de proposer des mesures propres à établir progressivement l’unité économique et politique de l’Europe (GERBERT 1999, p.80). La France prend l’initiative et propose la création d’une Assemblée européenne et la formation d’une union économique et douanière. Après un temps de forte discussion entre la France, le Royaume Uni et les pays du Benelux, ces pays invitent finalement les représentants du Danemark, de l’Irlande, de l’Italie, de la Norvège et de la Suède à signer les statuts du Conseil de l’Europe le 5 mai 1949. Son siège est installé à Strasbourg : un choix géographique symbolique du rapprochement franco-allemand (GERBERT 1999). Les pays participant au Conseil de l’Europe13 sont attachés « aux valeurs des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droits sur lesquels se fonde toute démocratie véritable » (GERBERT 1999, p.82) ; ils s’engagent à respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
Enfin, les trois communautés européennes, créées dans les années 1950 par l’Allemagne (RFA), la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays Bas, peuvent être considérées comme première pierre de la construction de l’UE. La première communauté européenne, celle du Charbon et de l’Acier (CECA), qui repose sur la déclaration de Robert Schumann14 du 9 mai 1950 [cf. Annexe Texte A-1], et qui propose la mise en commun des ressources de charbon et d’acier de France et d’Allemagne, a deux objectifs, politique et économique. En effet, puisque la proposition de la création de la CECA concrétise les premiers fondements d’une fédération européenne, indispensable à la préservation de la paix (DUROUSSET 2002), elle répond à la première raison du rapprochement entre la France et l’Allemagne.
Quant à l’objectif économique de création d’un marché commun, le gouvernement français prend l’initiative de réunir, le 20 juin 1950, les gouvernements intéressés par le plan de Schumann, qui est accepté d’emblée par l’Allemagne, mais aussi par l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays Bas. La création d’« un marché commun du charbon, du minerai de fer, des ferrailles et de l’acier caractérisé par l’abolition des barrières douanières, l’existence du principe de la libre concurrence, la reconnaissance d’un principe d’autorité économique permettant le contrôle de l’approvisionnement régulier du marché» (DUROUSSET 2002, p.19) est signée par les six pays et entre en vigueur le 23 juillet 1952. La CECA ne reste pas longtemps la seule communauté européenne : elle est suivie par deux autres communautés, fondées dans le cadre de deux traités, à Rome en 1957, par l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays Bas : la Communauté Economique Européenne (CEE) et la Communauté Européenne de l’Energie Atomique (CEEA)15. Le 20 mai 1955, les pays du Benelux proposent à leurs partenaires de la CECA le plan Beyen-SpaakBech qui décide la création d’une organisation commune des transports, de mise en commun des ressources énergétiques, notamment atomique, et la constitution d’une intégration économique générale par la création d’un marché commun (GAUTHIER 1996) : deux ans plus tard, en 1957, les six pays signent le traité de Rome sur la CEE16. La CEEA, fondée également en 1957 par ces six pays, est de nature différente : il ne s’agit pas de mettre en commun des activités économiques déjà existantes, mais de contribuer à la formation et à la croissance d’une industrie nucléaire européenne.
Le premier élargissement vers le nord (1973)
De 1952 à 1973, la communauté reste restreinte aux six états membres, avant le premier élargissement au Danemark, à l’Irlande et au Royaume Uni. Le Royaume Uni, qui a refusé d’adhérer à la CECA en 1951 et à la CEE en 1957, en raison du caractère supranational17 de la communauté, est finalement le premier pays qui demande l’adhésion à la communauté. Le Royaume Uni propose, en 1956, une zone de libre échange à l’échelle de l’OECE, limitée à un petit nombre d’Etats, qui ne sont pas membres de la communauté : la mise en place de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE)18, dont l’absence d’organes à caractère supranational correspond profondément au désir du Royaume Uni, est réalisée en novembre 1959, avec le traité de Stockholm, entre le Royaume Uni, l’Autriche, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Suède et la Suisse.
Mais l’AELE ne répond pas vraiment aux besoins du Royaume Uni dont les dirigeants économiques arrivent, à partir des années 1960, à la conclusion que la seule façon de stimuler l’industrie et de fournir un marché pour leurs produits est le marché commun. Le Royaume Uni demande donc, en 1961 et en 1967, l’ouverture de négociations pour son adhésion à la CEE, mais la demande est deux fois refusée par la France. C’est en 1969, à la réunion de La Haye, que le Royaume Uni présente une nouvelle demande d’adhésion puis signe enfin le traité d’adhésion en janvier 1972 au palais d’Egmont à Bruxelles, et, après une ratification du traité par le Parlement au Royaume Uni [cf. Tab. I-1], adhère à la communauté le 1er janvier 1973.
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