Les notions d’harmonisation, d’unification et d’uniformisation
Face à une situation de départ caractérisée par la disparité des législations nationales relatives aux contrats, les autorités communautaires disposent d’un choix concernant l’attitude à adopter. Elles peuvent décider d’éliminer de manière totale les différences qui existent entre ces législations, ou, au contraire, décider de réduire les différences les plus marquées, tout en laissant subsister les spécificités nationales. Il s’agit en fait de choisir entre la voie de l’unification et celle de l’harmonisation. La doctrine s’est beaucoup exprimée sur les notions d’harmonisation, de coordination, d’uniformisation et d’unification que ce soit de façon générale 511 ou concernant spécialement le droit des contrats 512. Les opinions des auteurs ausujet des différences entre ces notions ont fortement varié en fonction, notamment, de la grille d’analyse utilisée pour la comparaison de ces concepts. En effet, selon que l’on cherche à différencier ces notions au regard des dispositions expresses des Traités ou plus prosaïquement en fonction de l’objectif qu’elles poursuivent, la conclusion ne pourra être identique. Mais dans cette confusion sémantique, il est toutde même possible de dégager quelques grandes lignes. Tout d’abord, les notions de coordinationet d’harmonisation sont souvent employées comme des synonymes. Ensuite, si les termes uniformisation et unification semblent proches, leur signification est réellement différente. Uniformiser c’est « rendre semblable ou équivalent ». Et qu’il s’agisse de l’adjectif ou du nom, le terme « uniforme » vise des choses ayant une apparence identique, or « les mêmes uniformes endossés n’impliquent pas l’identité des individus qui les portent… » 513. Ces questions dépassent largement le cadre de notreétude, nous nous en tiendrons donc à la distinction que nous percevons comme la plustranchée, celle qui selon nous 514 correspond le mieux au choix que doivent opérer les autoritéscommunautaires est celle qui existe entre harmonisation et unification, laissant toute la difficulté des sous distinctions aux spécialistes de la matière. Dans le vocabulaire usuel, unifier signifie « faire de plusieurs éléments une seule et même chose » alors qu’harmoniser, c’est « mettre en harmonie, en accord ». Et dans le contexte du droit communautaire il s’agit effectivement des deux types d’action qui s’opposent de la façon la plus flagrante. L’unification peut se définir comme « la substitution à des droits formellement distincts ou à des corps de règles de droits distincts, d’un droit unique ou d’un corps unique dedispositions » 515. Cette méthode ne semble acceptable que lorsque la synthèse entre les différents droits est réalisable, et au contraire se conçoit difficilement dans certains domaines complexes ou politiquement sensibles, dans lesquels une réduction des compétences nationales ne peut se faire que par étapes et avec un maximum de souplesse. Prenant l’exemple du droit pénal le professeur Delmas-Marty illustre parfaitement cette réalité et affirme que, dans le cas contraire, l’unification « conduit au risque d’un droit commun impérialiste ou hégémonique » 516. L’harmonisation au contraire consiste à rapprocher, autours de principescommuns, les règles nationales qui par ailleurs peuvent rester différentes 517. Contrairement à l’unification, cela consiste en « la réalisation dans le respect de la pluralité des droits étatiques, d’une équivalence des règles nationales » 518. L’objectif est visiblement plus limité mais aussi plus réaliste et s’adresse selon certains auteurs, à qui « a perdu ses illusions sur l’unification du droit » . Cette voie s’impose lorsque la synthèse des droits nationaux est soit irréalisable soit inutile. Le choix opéré, qui est essentiellement fonction de la base juridique choisie,commande l’utilisation d’instruments juridiques différents.
La place prépondérante de la directive
Les autorités communautaires ont à leur disposition une palette d’instruments juridiques destinés à atteindre les objectifs des Traités. Un système assez diversifié découle de l’article 249 du Traité CE (ex-article 189). La nomenclature prévoit l’adoption de règlements, de directives, de recommandations et d’avis. Sans qu’il soit besoin de revenir sur lescaractéristiques respectives du règlement et de la directive communautaire, il est possible denoter que si le règlement se présente comme un instrument législatif direct, la directive, en laissant les États libres des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à l’objectif visé, représente un instrument de législation indirecte. Quant aux recommandations et avis, il s’agit d’instruments dépourvus de valeur obligatoire. Or, en matière contractuelle c’est précisément la directive qui détient la place prépondérante parmi les différents actes à la disposition desCommunautés, puisque comme nous l’avons déjà indiqué, plus de quinze spécimens ont été adoptés. Si l’article 249 se borne à énoncer les différentes catégories d’actes sans préciser leur domaine d’application respectif, l’usage de chacun d’eux, par les autorités communautaires, ne résulte pas d’un choix discrétionnaire. Quelques rares dispositions imposent l’utilisation d’un acte déterminé : c’est le cas par exemple de l’article 89 du Traité CE (ex article 94) qui impose le règlement concernant les aides d’États 520. Dans la plupart des cas, les dispositions du Traité s’abstiennent de mentionner la forme juridique des dispositions à prendre.
Toutefois, ce choix doit être guidé par le respect du principe de proportionnalité. Le choix entre les différents instruments juridiques à la disposition des institutions communautaires doit privilégier le « moyen le plus opérant et le moins contraignant » 521. Leprotocole n°7 annexé au Traité d’Amsterdam précise que la forme de l’action communautaire doit être « aussi simple que le permettent la réalisation adéquate de l’objectif de la mesure et la nécessité d’une exécution efficace » et « toute chose égale par ailleurs, il convient de donner lapréférence à des directives qu’à des règlements, et à des directives-cadres plutôt qu’à des mesures détaillées ». Le choix d’un instrument juridique et donc d’une méthode de réduction des disparités nationales doit donc se faire au regard de ce principe général du droitcommunautaire. L’exigence de proportionnalité peut donc facilement être opposée à l’élaboration d’un acte communautaire obligatoire, en raison du fait que l’objectif poursuivi, le bon fonctionnement du marché commun, pourrait probablement être atteint par des moyens moins contraignants.
L’harmonisation des législations nationales, quant à elle, peut passer par certaines interdictions, comme celles des discriminations sur la nationalité ou celles des mesuresd’effets équivalent aux restrictions quantitatives, c’est ce que l’on nomme « l’harmonisation négative ». Mais l’harmonisation s’effectue, le plus souvent, par le biais d’actes de droit dérivé, c’est l’aspect positif de l’harmonisation. En règle générale, l’instrument de l’harmonisation est la directive et c’est exceptionnellement que l’on a recours au règlement ou à la recommandation voire à des conventions internationales 529. Comme l’affirme en effet, W. Van Gerven, ancien avocat général à la Cour, « alors que les règlements communautaires […] produisent du droit unifié dans l’ordre national des États membres, les directives […] mènent donc seulement à une harmonisation des règles nationales » 530. L’article 249 (ancien 189) prévoit que « la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». C’est en raison de cette souplesse que la directive constitue l’instrument idéal de l’intervention communautaire dans les domaines de compétences non exclusives de celle-ci. Il s’agit aussi de l’instrument du rapprochement des législations. D’ailleurs l’article 94 habilite les autorités communautaires à prendre des mesures d’harmonisation exclusivement sous la forme de directive : « le Conseil statuant à l’unanimité […] arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives… ». Par ailleurs, si l’article 95 laisse, quant à lui, la liberté du choix de l’instrument du rapprochement des législations, il peut s’agir aussi bien de règlement de directive ou de décision, la directive constitue l’instrument de droit commun pour l’article. Celle-ci se présente comme l’instrument le plus approprié pour opérer un rapprochement normatif dans la mesure où la matière harmonisée ne devient pas totalement communautaire mais reste dans le domaine national. C’est la raison pour laquelle le professeur Kovar a pu écrire que « la directive a pour fonction essentielle d’être l’instrument du rapprochement des législations » 531. Les termes d’harmonisation et de rapprochement des législations semblent d’ailleurs être équivalents. Daniel Vignes, ancien Directeur du Service juridique du Conseil des Communautés européennes, a pu à ce propos affirmer : « Après avoir beaucoup écrit en la matière, nous nous demandons si ce n’est pas pour des raisons sémantiques que les auteurs du Traité de Rome ont utilisé les deux termes : selon les cas, l’un des deux sonne mieux. On n’aurait pas idée de parler de dispositions rapprochées alors qu’on parle aisément de dispositions harmonisées ; pour ceux qui n’aiment pas le vocabulaire trop imagé, rapprocher des législations semble à proscrire ». Sans pour autant être totalement exclue 533, l’adoption d’un règlement communautaire sur la base de l’article 95 est une question qui demeure très controversée, d’autant que dans l’Acte final de la conférence convoquée pour l’adoption de l’Acte unique européen, il a été affirmé que « la Commission privilégiera, dans ses propositions au titre de l’article 100A§1 le recours à l’instrument de la directive, si l’harmonisation comporte, dans un ou plusieurs États membres, une modification de dispositions législatives » 534. Mais il ne faut pas pour autant être dupe. L’usage de la directive ne résulte pas uniquement du choix opéré par le législateur communautaire au bénéfice de la souplesse et du maintien de la diversité. L’adoption d’une directive est aussi assez souvent la conséquence de l’importance des disparités existant entre les législations nationales. C’est souvent la marque du réalisme juridique des institutions si, lorsque les droits nationaux se révèlent particulièrement différents, la directive se révèle l’instrument privilégié. Or, en matière contractuelle, les législations nationales sont justement marquées par de fortes différences.
D’après la typologie établie, on peut constater que la directive a servi à réglementer une grande partie des dispositions applicables aux contrats. Les techniques contractuelles jugées agressives ou dangereuses sont régies par des directives. Ainsi ce sont des directives qui ont été adoptées pour réglementer les contrats conclus en dehors des établissements commerciaux ou à distance, mais aussi le commerce électronique et la question des signatures électroniques.
531 – KOVAR (R.), Ordre juridique communautaire, JCL Europe, Fasc. n° 410, p. 15. 532 – VIGNES (D.), Le rapprochement des législations mérite-t-il encore son nom ?, in : L’Europe et le droit, Mélanges en l’honneur de Jean Boulouis, Dalloz, Paris, 1991, p. 533. 533 – Dans la mesure où celui ci se révèle approprié et nécessaire pour le fonctionnement du marché intérieur, il est envisageable que les autorités communautaires puissent adopter un règlement en vue du rapprochement des législations. Il suffit pour s’en convaincre de citer le cas du règlement 1768/92 concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments qui avait été fondé sur l’ancien article 100 A, et qui a été attaqué pour défaut de base juridique et que la CJCE n’a pas même contesté au regard de la possibilité d’adopter une directive. 534 – JOCE du 29 juin 1987, n° L-169 p. 24.
L’ensemble des contrats « très spéciaux » conclus par les consommateurs ont aussi fait l’objet de directives communautaires : c’est le cas des contrats dits de timeshare, de voyage à forfait, de crédit à la consommation. Il en va de même pour la réglementation des contrats d’agence ou d’assurance. Dans ces domaines où il s’agit de promouvoir le marché commun en protégeant la partie faible au contrat, l’objectif n’est donc pas d’aboutir à des législations nationales identiques mais simplement à des législations qui protègent de façon équivalente le contractant en position de faiblesse. Pour certains auteurs qui semblent le regretter, l’usage desdirectives ne permet d’opérer qu’une harmonisation « en surface » 535 le résultat final n’étant, en conséquence, que partiellement obtenu. Les plus ardents partisans de la construction d’un véritable droit communautaire des contrats vont même jusqu’à affirmer qu’ « une effective intégration culturelle ne se réalise que dans la mesure où les normes directement applicables sont en jeu, soit les dispositions du Traité de Rome, soit celles des règlements, c’est à dire des dispositions qui rendent les juristes nationaux conscients de leur vocation européenne. Ceci est a priori exclu en cas de rapprochement des législations au moyen de directives » 536. Au contraire, pour d’autres comme le professeur Jamin, cette méthode présente l’avantage de« préserver, du moins dans une certaine mesure, les susceptibilités et les cultures nationales, tout en assurant la promotion d’un rapprochement entre les divers droits nationaux ».
Le caractère « minimal » de l’harmonisation
Le choix d’un instrument d’harmonisation ne présuppose pas de l’intensité de celle-ci.
La distinction entre unification et harmonisation, pour être réelle, n’en a pas moins des limites : l’adoption d’une directive pourrait parfaitement aboutir à une réelle unification desdroits nationaux si la directive en question réalisait une harmonisation totale. Une harmonisation est dite « totale » lorsque la mesure communautaire impose des règles qui sesubstituent entièrement aux règles nationales existantes en la matière. Les États membres nepeuvent plus, dans le secteur réglementé, appliquer des règles nationales différentes, ni des règles plus strictes, ni des règles moins strictes que les règles communautaires 538. « Auxantipodes de l’harmonisation complète se situe l’harmonisation minimale » 539. Une harmonisation est dite minimale lorsque les autorités communautaires se contentent de fixer des prescriptions minimales à suivre et laisse les États libres d’adopter des mesures plus strictes 540. Si l’harmonisation complète est courante dans les domaines de la santé et de la sécurité publiques, c’est la forme minimale qui prévaut dans les domaines social, environnemental et consumériste. En matière contractuelle, cette logique est respectée autant du point de vue formel que matériel. L’exemple de la directive concernant les clauses abusives 535 – WITZ (C.), Plaidoyer pour un code européen des obligations, D., 2000, chron., p. 80. 536 – BASEDOW (J.), Un droit commun des contrats pour le marché commun, RIDC, 1, 1998, p. 9. 537 – JAMIN (C.), Un droit européen des contrats, in : Le droit privé européen, sous la dir. de DE VAREILLESSOMMIÈRES (P.), Economica, Paris, 1998, p. 43. 538 – Harmonisation des législations, Dictionnaire juridique des Communautés européennes, op. cit., p. 574. 539 – Commentaire article par article des Traités UE et CE, sous la dir. de LEGER (P.), p. 923. 540 – Ibid, p. 924. est significatif. Le principe de l’harmonisation minimale est formellement affirmé. Dès les considérants de la directive, il est en effet prévu que : « En l’état actuel des législationsnationales, seule une harmonisation partielle est envisageable, […] seules les clausescontractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la présente directive ; qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du Traité, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositionsnationales plus strictes que celles de la présente directive » 541. Et de fait, l’article 8 indique que les États membres sont libres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus strictes afinde protéger les consommateurs. L’étude du contenu matériel du texte fait ressortir l’évidence du choix de l’harmonisation minimale car il existait, dès avant l’adoption de la directive, deslois nationales garantissant une protection plus élevée des consommateurs. La législation française en constitue un excellent exemple. Les autorités françaises ont quant même tenu à transposer la directive, malgré la thèse soutenue par certaines auteurs selon laquelle la Francen’avait pas à adopter de texte de transposition. De fait, il est certain que la transposition de la directive sur les clauses abusives a laissé subsister des disparités entre les différents droits nationaux. Les dispositions du Code français de la consommation sur les clauses abusivesdiffèrent encore réellement de celles du droit allemand des conditions générales qui s’appliqueaussi aux relations entre professionnels. C’est ainsi que certains auteurs ont vertement critiquéle contenu matériel de la directive communautaire. Le professeur Huet s’interrogeant sur leprincipe d’un niveau de protection élevé, s’exprime en ces termes : « Son contenu apparaît, à l’arrivée, assez peu protecteur des consommateurs, et guère contraignant pour les entreprises, tout comme pour les États membres ce qui ne peut, au demeurant, que nuire sensiblement à l’harmonisation pourtant recherchée au niveau européen. […] Ceux qui déplorent que les rédacteurs de directives ne se limitent pas à fixer des objectifs généraux, en laissant aux États membres la plus grande latitude pour les aménager, en seront peut être satisfaits » 542. L’article 8 de la directive 90/314 concernant les voyages, vacances à forfait établit le même principe. Et l’on retrouve l’idée que l’intervention communautaire ne fait pas obstacle à ce que les États membres adoptent ou maintiennent des dispositions plus protectrices dans la directive sur les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (article 8), sur le crédit à la consommation (article 15).