L’anxiété aux évaluations: un phénomène en hausse
Depuis la dernière décennie, il est possible de constater une hausse du nombre et de la sévérité des problèmes de santé mentale chez les étudiants de niveau collégial et universitaire (Beiter et al., 2015; Dadonna, 20 Il; Hunt et Eisenberg, 2010). Entre autres, l’enquête américaine menée par Hunt et Eisenberg (2010) auprès de 189 étudiants âgés de 18 à 25 ans révèle que les problématiques reliées à l’anxiété affectent, à différents niveaux, un peu plus de la moitié d’entre eux (53 %). Pour 36% des jeunes adultes, la détresse perturbe leur façon habituelle de vivre (Hunt et Eisenberg, 2010). À ces statistiques s’ajoutent les résultats d’une étude menée par Bordeleau, Cazale et Du Mays (20 Il), qui montre que 23 % des personnes canadiennes âgées de 15 ans ou plus . qualifient la majorité de leurs journées comme étant «assez stressantes ». Au Québec, ce même constat se retrouve chez 26,9 % des filles de 15 à 19 ans et chez 19,8 % des garçons de la même tranche d’âge (Bordel eau et al., 2011). Plus étonnant encore, dans cette même étude, on y révèle que le stress, l’anxiété et l’épuisement émotionnel apparaissent comme des motifs d’abandon scolaire pour 25 % des cégépiens et pour 16 % des universitaires. La transition qui s’effectue entre le passage de la dernière année du secondaire à l’entrée au collégial est porteuse de nombreux changements pour les jeunes adultes et donc, de stress (Lee, OIson, Locke, Michelson et Odes, 2009; Price, McLoed, Gleich et Rand, 2007). En effet, ces derniers font face à de nombreuses adaptations sur les plans personnel, socioenvironnemental et scolaire. D’un côté, la majorité de ces jeunes entament un processus d’autonomisation (Godeau, Navarro et Arnaud, 2010), développent de nouvelles relations d’amitié, revoient leur rapport à l’enseignant et se modulent aux attentes parentales (Goetz, Preckel, Zeidner et Schleyer, 2008). De l’autre côté, selon ces auteurs, certains ressentent un niveau élevé de compétitivité de leur institution, ou encore tentent de composer avec le rythme de travail soutenu (Perrenoud, 2013). Il va sans dire que pour plusieurs étudiants, cette période est synonyme de remises en question quant à leur choix de domaine d’études, de programme et de persévérance scolaire. L’ensemble de ces facteurs peut expliquer le nombre élevé d’étudiants du collégial anxieux aux évaluations, c’est-à-dire ceux qui appréhendent fortement toute situation où une performance académique doit être rendue (Lee et al., 2009; Price et al., 2007; Spielberger, 1972), car ils perçoivent leurs résultats comme le reflet de leur valeur personnelle (Bluteau et Dumont, 2014). Non seulement ils redoutent d’échouer, mais en plus ils n’ont pas confiance en leurs capacités du réussir (Bluteau et Dumont, 2014). En conséquence, leurs émotions et leurs pensées perturbent leur capacité à centrer pleinement leur attention sur la tâche et peuvent porter atteinte à leurs résultats (Dumont, 2018).
Les facteurs qui alimentent la problématique d’anxiété aux évaluations
Le phénomène d’anxiété aux évaluations est maintenu et renforcé par la présence de plusieurs agents culturels et de valeurs éducatives propres à chaque individu, famille, institution scolaire et pays. Par exemple, les données statistiques et les constats précédemment exposés démontrent que les étudiants nord-américains sont plongés dans une société où la performance, la réussite et le dépassement de soi sont hautement valorisés (Goonan, 2003; Jeammet, 2007; Stephan, 2011). Même en contexte d’éducation au primaire et au secondaire, il est question de renforcements positifs pour les performances qui tendent vers l’excellence, tandis que celles qui ne répondent pas aux attentes s’accompagnent de pratiques disciplinaires d’exclusion, telles que des punitions et des périodes de retrait (Nese et McIntosh, 2016). En classes de niveau collégial et universitaire, la valorisation de cette philosophie éducative donne lieu à des évaluations omniprésentes et décisives en ce qui a trait aux possibilités de carrière des étudiants et donc, à leur qualité de vie immédiate et future (Graziani, 2008). Les étudiants en situation d’échec scolaire, parce qu’ils performent sous la norme, se retrouvent souvent exclus et stigmatisés pour leur dit «problème» (Berger, 2016). L’impossibilité pour tous de répondre au rythme de travail soutenu et aux exigences élevées associées aux évaluations (Stephan, 2011) en contexte d’études supérieures peut générer de l’anxiété. Or, en contexte secondaire, Osborne et Kenny (2005) observent que l’anxiété aux évaluations est vécue tant pour les élèves qui excellent que pour ceux en situation de difficulté.
Par ailleurs, Lee et al. (2009) et Price et al. (2007) montrent que le stress de sélection apparaît comme un facteur contribuant à la manifestation d’anxiété aux évaluations. En effet, la compétition s’exerçant entre les étudiants et la présence de critères d’admission élevés pour certains programmes d’études universitaires, comme ceux issus du domaine de la médecine (Dyrbye, Thomas et Shanafelt, 2006) et de la psychologie (Bouteyre, Maurel et Bernaud, 2006; Leahy et al., 2010), peuvent induire des sentiments de stress et d’anxiété pour les étudiants désirant y accéder.
Le stress de sélection, précédemment explicité, s’intensifie si le milieu met peu de ressources d’aide et de soutien à la disposition des étudiants et que les enseignants maintiennent leurs attentes de performance élevées (Mulvenon, Stegman et Ritter, 2005; Zakari, Walburg et Chabrol, 2008). Cassady (2004), Bodas et Thomas (2005) et Bodas, Thomas et Sovani (2008) précisent qu’un étudiant soumis à une évaluation où les attentes parentales et de l’enseignant sont hautes et qu’il en est de même pour la pression de réussite de l’institution scolaire ressent considérablement plus d’anxiété aux évaluations que si le contexte évaluatif n’est pas accompagné de ces contraintes externes. Mulvenon et al. (2005) constatent même une variation négative du niveau de performance; conséquence qui s’inscrit parmi les impacts cognitifs de l’anxiété aux évaluations et qui est abordée plus en profondeur dans la section qui suit.
L’anxiété aux évaluations peut également être influencée par plusieurs caractéristiques propres à l’étudiant, telles qu’une faible estime personnelle (Siddique et al., 2006), des traits perfectionnistes (Eum et Rice, 2011), un tempérament anxieux, une préoccupation accrue pour ce que les autres pensent de lui et une lacune sur le plan de la gestion émotionnelle (Speirs Neumeister et Finch, 2006). À cette liste de facteurs contribuant à l’anxiété aux évaluations s’ajoutent les enseignants qui résistent à l’idée d’adapter ou de modifier leurs pratiques en fonction d’une classe comprenant des étudiants ayant des besoins particuliers. Dans les faits, Zeidner, Klingman et PelegPoupko (1988)2 expliquent que la planification d’un enseignant œuvrant auprès d’étudiants anxieux aux évaluations ne peut se restreindre au volet scolaire de la tâche; l’enseignant doit également pouvoir apparaître comme une figure de soutien auprès de ceux-ci. Cette responsabilité, qui est davantage de l’ordre du volet affectif et relationnel du métier d’enseignant, en effraie plusieurs. Le manque de compétences et de connaissances au sujet de la problématique d’anxiété aux évaluations et des interventions liées alimente cette peur (Peleg, 2009). Dans les propos qui suivent, il est question de l’incidence que peut avoir l’anxiété aux évaluations sur la vie des jeunes qui en vivent.
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