L’ANTHROPOLOGIE
Comme la plupart de ses prédécesseurs, Pascal s’intéresse aussi à la question de l’homme. Une question à laquelle Socrate nous invitait déjà avec son fameux « connais-toi toi-même ». Pour participer à ce débat Pascal part d’une constatation pour tenter de saisir la nature humaine. Il entend montrer à l’homme qu’il est un « monstre incompréhensible1». Pour y arriver il pose comme postulat de départ que la quête de tout homme est le bonheur. Il écrit : « Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre2. »
Le désir de béatitude est le fondement de tout mouvement humain et la volonté fait tout pour y arriver. Une telle idée est nettement augustéenne. Pour saint Augustin le désir d’être heureux représente l’élément fondamental qui définit l’agir humain. Il souligne que : « Tous les hommes, quels qu’ils soient, veulent être heureux. Il n’est personne qui ne le veuille […] Les hommes sont entraînés par différentes convoitises, et l’un désire ceci, l’autre cela […] Ainsi, le désir du bonheur est le commun de tous : mais par quels moyens y parvenir, par où tendre à ce but, quel chemin suivre pour y accéder ? Ici commence les discussions. L’un dit : heureux ceux qui sont à la guerre. L’autre dit non, et affirme : Heureux seulement ceux qui cultivent le soi […] Que signifie cette diversité de sentiments sur chaque type de vie, alors que tous désirent le bonheur3 ? »
Toutefois, Pascal note que ce mouvement s’égare, impuissant : l’homme sans Dieu est laissé à lui-même, il vit dans l’erreur, dans un monde d’illusion. L’idée qu’il a du bonheur demeure inaccessible, car ses puissances trompeuses c’est-à dire l’imagination, la coutume, les impressions anciennes, les charmes de la nouveauté et les maladies, le rendent incapable de connaître la vérité qui l’entoure. Il est dans l’incapacité de saisir le vrai et le bonheur même s’il en a l’idée. Il note : « Nous souhaitons la vérité et ne trouvons en nous qu’incertitude. Nous recherchons le bonheur et ne trouvons que misère et mort. Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur et sommes incapables ni de certitude ni de bonheur1. »
La Chute
Si l’homme apparaît comme un paradoxe à lui-même, c’est précisément du fait que ces deux natures cohabitent ensemble d’où l’erreur des philosophes qui, ne pouvant pas unir les extrêmes, ont gardé l’un et rejeté l’autre. Cette contradiction, Pascal entend la résoudre. Il écrit : « La source des erreurs de ces deux sectes est de n’avoir pas su que l’état de l’homme à présent diffère de celui de sa création2» Cette explication est de nature surnaturelle. Dit autrement, cela dépasse le domaine de la science, nous devons nous tourner vers une compréhension religieuse du problème. Il faut passer à la religion pour pouvoir comprendre et résoudre les contrariétés de l’homme. Henry Gouhier note dans ce sens que :
Il faut se donner à la religion, mais à une religion qui saura nous expliquer les paradoxes de la nature humaine. Mais, quelle est la religion qui nous parlera, des étonnantes contrariétés qui sont en l’homme, de la « simplicité » de l’Absolu, auquel doivent être consacrés toutes nos puissances ? Pascal nous donne la réponse dans ce fragment: « Les grandeurs et les misères de l’homme sont tellement visibles qu’il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu’il y a quelque grand principe de grandeur en l’homme et qu’il y a un grand principe de misère. Il faut encore qu’elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés. Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes1.» Voilà, les divers aspects que l’on doit trouver dans la véritable religion.