La technologie se fait de plus en plus présente dans le domaine policier, que ce soit par le biais des caméras de surveillance, des caméras ANPR – Automatic Number Plate Recognition – ou encore des Bodycams. En Belgique, à la suite des attentats de Bruxelles et de Paris, la décision d’installer un réseau de caméras ANPR, géré par la police fédérale, le long des autoroutes et des axes principaux, fut prise. Ce réseau de caméras a été financé par le gouvernement fédéral et la première phase consistant en la mise en place du bouclage frontalier est achevée. Les zones de police ne sont pas en reste, un certain nombre de zones ont également acquis ce dispositif. En effet, cette technologie se répand dans les zones de police belge et devant une telle augmentation du nombre de dispositifs ANPR en service, nous sommes en droit, non seulement, de nous demander pourquoi la police a décidé de se tourner vers une telle technologie, mais aussi de se poser la question de comment elle l’utilise et quelles en sont les résultats.
Les caméras ANPR – ou ALPR, LPR, LAPI selon les articles– ne constituent pas une nouveauté, contrairement à ce que l’on pourrait croire (La Meuse, 2019). C’est en 1976 que cette technologie a été développée et sa première utilisation, dans le domaine policier, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme irlandais (Haines, 2009, p.54), date des années 1990 en Grande-Bretagne (Gutierrez-Alm, 2015, p.131). L’ANPR n’est pas seulement utilisé dans le domaine policier – enquêtes et roulage –, mais aussi dans les parkings et dans des études en rapport avec la circulation, la mobilité et le trafic (Koper, Taylor & Woods, 2012, p.26). L’ANPR est également utilisé dans le cadre du contrôle du stationnement et de l’accès à certaines zones (Ozer, 2010, p.30).
Dans le cadre du travail policier, le principal atout de l’ANPR est la vitesse d’utilisation. En effet, sans cette technologie, un policier rencontrant un véhicule suspect doit relever la marque d’immatriculation du véhicule, demander au dispatcheur d’effectuer une recherche sur la plaque et puis seulement, revenir vers le policier avec la réponse (Ozer, 2010, p.30). Un autre avantage concerne le nombre de plaques pouvant être lues. Cette technologie permet de photographier jusqu’à 3600 plaques par heure, de jour comme de nuit, et ce peu importe les conditions météo (Cohen, Plecas & McCormick, 2007, p.1). Aussi, une caméra ANPR peut être montée sur un véhicule ou sur un mât ou alors être fixe (Lum et al., 2016, p.9). Un autre atout consiste dans la charge de travail absorbée par le système ; celuici pouvant remplacer plusieurs policiers (Hubbard, 2008, p.6). Les caméras ANPR peuvent être utilisées aussi bien dans les enquêtes proactives que dans les enquêtes réactives ou encore dans le domaine de la prévention (Kirby et al., 2007, pp.37-38).
Théories criminologiques
Les caméras ANPR, comme tout dispositif de vidéosurveillance, se basent sur une approche situationnelle (Koper, Taylor & Woods, 2012, p.28). Selon Cusson (1998) : « la notion de prévention situationnelle sert à désigner les mesures non pénales ayant pour but d’empêcher le passage à l’acte en modifiant les circonstances particulières dans lesquelles des délits semblables sont commis ou pourraient l’être» (p.65). La prévention situationnelle a pour objectif de « rendre le crime plus difficile, plus risqué et moins profitable » (Bonnet, 2012, p.26). Une telle approche s’inscrit dans le cadran des théories rationnelles : la théorie de l’activité routinière de Cohen et Felson (1979) et celle du choix rationnel de Clarke et Cornish (1986). Ces théories reposentsur le postulat que si l’on augmente le risque de « se faire prendre », passer à l’acte devient moins intéressant et par conséquent le délinquant potentiel se détournera de la cible (Koper, Taylor & Woods, 2012, p.28). Ainsi, le dispositif ANPR peut contribuer à augmenter l’effort à fournir par le délinquant potentiel en contrôlant l’accès à certains lieux. Cette technologie peut également contribuer à augmenter les risques pris par le délinquant potentiel en réduisant l’anonymat et en augmentant la surveillance formelle – par le biais de caméras visibles et de policiers sur les lieux. La récompense peut aussi être réduite ou plus difficilement dissimulable en marquant les biens (Haines, 2009, pp.33-37).
Certains avancent également que l’ANPR peut s’inscrire dans la mouvance de la fonction de police guidée par l’information/renseignement (intelligence-led policing ou ILP) (Servais, 2019). Cette doctrine donnerait un rôle central à l’information et permettrait un travail policier efficace. C’est suite aux événements terroristes que l’ILP s’est progressivement imposé (De Maillard, 2014, p.75). Les résultats de cette pratique policière sont intéressants d’après plusieurs rapports (Maguire & John, 2006, pp.67-85 ; Clarke & Newman, 2007, pp.9-20). En effet, on note que le taux de criminalité a chuté de 25 % en trois ans (Ozer, 2010, p.109). Ratcliffe définit cette mouvance comme :
Un modèle organisationnel et une philosophie de management dans lequel l’analyse des données et le renseignement criminel jouent un rôle central dans la prise de décision relative à la réduction de la criminalité et des désordres et la prévention de la délinquance, grâce à la fois à une stratégie d’organisation et une doctrine judiciaire pragmatique ciblant les délinquants sérieux et récidivistes (Ratcliffe, 2008 as cited in De Maillard, 2014, p.79).
Par ailleurs, l’importance de l’information est rappelée dans le rapport annuel de la police fédérale de 2017 sur la gestion de l’information : « la gestion de l’information constitue un élément clef dans la lutte contre les phénomènes criminels. L’information est quasiment l’instrument de travail le plus important de la police. Elle est à la base des actions policières ». (Rapport annuel 2017 de la police fédérale).
Cette importance de l’information est également rappelée par la création du SICAD (Servais, 2019, p.113). L’ANPR s’inscrit tout à fait dans cette doctrine, car en passant devant les dispositifs ANPR, notre plaque est enregistrée – même s’il n’y a pas de hit – ce qui génère une information qui pourra peut-être, par la suite, se révéler utile pour la police. Cette technologie pourrait aider les forces de l’ordre à créer des profils et des cartes des délinquants, le tout dans une perspective de détection et de prévention plus efficace de la criminalité (Haines, 2009, p.37).
La crime pattern theory – théorie des activités routinières – (Cohen & Felson, 1979) peut également s’avérer utile dans l’explication de l’ANPR (Haines, 2009, p.45). Ainsi selon Brantingham et Brantingham (1993 as cited in Clarke & Felson, 1993) le crime est un phénomène normal qui se produit non aléatoirement dans le temps et l’espace. Cette théorie fait intervenir la trilogie : nœuds, chemins et bords (Clarke & Felson, 1998). Les nœuds correspondants aux : « lieux où sont réalisées une ou plusieurs activités routinières : résidence, lieu de travail, de loisirs… » (Dantinne, 2016, pp.132). Les chemins sont les routes entre les différents nœuds d’activités. C’est autour de ces nœuds que peuvent se produire les faits criminels et c’est là tout l’intérêt des caméras ANPR qui peuvent se placer sur les chemins reliant ces nœuds (Haines, 2009, p.47). Les recherches sur l’ANPR ont également permis de confirmer certaines hypothèses en ce qui concerne le vol de véhicule. Par conséquent, lorsqu’un véhicule est déclaré volé, il faut d’abord vérifier les zones proches de là où celui-ci a été dérobé (Koper, Taylor & Woods, 2012, pp.26-27).
On peut également avancer que l’ANPR se base sur le principe du panoptique et des théories du contrôle (Haines, 2009, p.24). Dans une perspective foucaldienne, on attend qu’un individu corrige son comportement, car il est susceptible d’être vu et surveillé à tout moment. Pour ce qui est de ces théories, si le potentiel pour la création d’une société de surveillance par le biais de l’ANPR existe sur papier, il est possible d’énoncer plusieurs éléments qui empêchent la mise en place de ce type de société. Ainsi, on peut citer des problèmes technologiques, opérationnels, institutionnels, légaux… Par ailleurs, l’utilisation qui est faite des caméras et les objectifs qui y sont reliés, à l’heure actuelle, constituent une forme de protection contre le développement d’un État Big Brother (Servais, 2019, pp.75-76). Aussi, l’ANPR étant limité aux véhicules et tout le monde ne possédant pas de véhicule, une partie non négligeable de la population échappe à ce contrôle (Haines, 2009, p.28).
A. Introduction |