L’anosognosie en neurologie
Sévérité de la démence
Assez rapidement, les recherches se sont concentrées sur l’étude des variables responsables de l’apparition de l’anosognosie et notamment sur le lien avec la sévérité de la démence. L’hypothèse repose alors sur le fait que si l’anosognosie s’aggrave avec l’avancée de la démence, elle pourrait être considérée comme un symptôme suivant le cours de la maladie. Si un consensus se dégage nettement dans la littérature autour de l’aggravation de l’anosognosie avec le temps et donc de l’avancée des troubles démentiels, il existe une polémique autour de l’interprétation qui en est faite dans le domaine de la progression de la maladie : détérioration parallèle à la dégradation cognitive ou non. De nombreuses recherches ont relié l’altération de la conscience des troubles avec la sévérité de la démence. Schneck et al. (1982) décrivaient déjà trois phases correspondant à l’évolution de la conscience au travers des différents stades de la démence. La première phase, nommée « forgetfulness », l’oubli, correspond à la phase où la personne est tout à fait consciente de ses difficultés naissantes, ce qui se traduit par une anxiété croissante. La deuxième phase se caractérise par une phase « confusional » – de confusion – de diminution progressive de l’anxiété remplacée par une altération de conscience croissante sur ses troubles clairement installés. 86 La dernière phase correspondant à la démence ou « dementia » montre une anosognosie de l’état pathologique par la personne en lien avec des troubles cognitifs importants. L’avancée de la démence et ainsi des troubles cognitifs y est décrite comme responsable de l’apparition de l’anosognosie. Contrairement à Schneck et al. (1982), des auteurs ont mis en évidence la présence d’anosognosie dès les stades précoces de la démence (Frederiks, 1985). D’autres études rapportent le même type de lien significatif entre sévérité de la démence et aggravation de l’anosognosie (Anderson & Tranel, 1989 ; Freidenberg, Huber, & Dreskin, 1990 ; Gambina et al., 2014 ; McDaniel et al., 1995 ; McGlynn & Kaszniak, 1991 ; Seltzer, Vasterling, & Buswell, 1993 ; Starkstein et al., 1997a ; Sultzer, Levin, Mahler, High, & Cummings, 1992 ; Vasterling, Thompson, & Seltzer, 1996 ; Verhey et al., 1993 ; Vogel, Waldorff, & Waldemar, 2015 ; Zanetti et al., 1999). Toutefois, d’autres études ne retrouvent pas ce lien (Auchus et al., 1994 ; DeBettignies et al., 1990 ; Derouesné et al., 1999 ; Feher et al., 1991 ; Giovannetti, Libon, & Hart, 2002 ; Green et al., 1993 ; Howorth & Saper, 2003 ; Michon et al., 1994 ; Reed et al., 1993). Cette variabilité dans les études implique une étendue importante de la fréquence de présence d’anosognosie qui est ainsi estimée entre 20% et 80% dans la maladie d’Alzheimer (Feher et al., 1991 ; Migliorelli et al., 1995 ; Reed et al., 1993 ; Sevush & Leve, 1993). Cependant, plusieurs études tendent à prouver que cette fréquence augmente avec l’avancée de la démence (Aalten et al., 2006 ; Clare et al., 2012b ; Mograbi et al., 2012c ; Starkstein et al., 2006b). Bien que la plupart des études se soient concentrées sur la maladie d’Alzheimer, le lien entre la sévérité de la maladie et l’anosognosie est difficile à objectiver et ainsi à généraliser. Doivent être considérées l’influence des objets étudiés (conscience de la maladie, conscience d’un trouble spécifique) et la difficulté d’observer une évolution de manière longitudinale et de ne pas comparer des groupes à des stades différents. De plus, selon une conceptualisation multidimensionnelle, un objet de conscience trop abstrait ou trop large pourrait masquer ou, au contraire, mettre en évidence un effet qui ne serait pas représentatif du phénomène.
La durée de la maladie
Au regard des recherches sur les liens avec la sévérité de la démence, la durée d’évolution de la maladie a également été étudiée dans la perspective où la probabilité de la présence d’anosognosie serait plus importante dans le cas d’une maladie ayant évolué plus longtemps. La même dissociation existe concernant la présence d’anosognosie et l’âge de début ou la durée de la maladie, sans que ce lien ne puisse être clairement spécifié. Certains auteurs montrent que la présence d’anosognosie est corrélée significativement avec un âge de début précoce de la maladie (Migliorelli et al., 1995), d’autres avec un âge tardif (Derouesné et al., 1999 ; Weinstein, 1991). Et d’autres ne trouvent aucune corrélation (Giovanetti et al., 2002 ; Sevush & Leve, 1993 ; Vasterling et al., 1995). Toutefois, Starkstein et al. (1996b) relève qu’une durée plus longue de la maladie est en réalité associée seulement à l’anosognosie cognitive mais pas à l’anosognosie comportementale. Ce résultat se situe dans la lignée des travaux suggérant une hétérogénéité de l’anosognosie, c’est-à-dire qu’il pourrait exister une variation dans les facteurs liés à l’anosognosie selon l’objet spécifique de conscience.
Les diagnostics
À l’image de très nombreuses études en neurologie et neuropsychologie ne concernant pas l’anosognosie, la maladie d’Alzheimer a été, dans un premier temps, largement investiguée. Puis s’est naturellement posé la question, d’une part, de l’existence de l’anosognosie pour d’autres maladies neurodégénératives et, d’autre part, de la comparaison entre ces différentes pathologies. Plusieurs études ont tenté de comparer les diagnostics entre eux et ont retrouvé des résultats là encore disparates, ne reflétant pas nécessairement une différence concernant l’anosognosie mais davantage de questions méthodologiques (Aalten, Van Valen, Clare, Kenny, & Verhey, 2005). Le consensus s’est tout d’abord orienté vers une prédominance d’une altération de conscience dans la maladie d’Alzheimer, par rapport aux démences plutôt sous-corticales (Debettignies et al., 1990 ; Kaszniak & Christenson, 1996 ; Seltzer, Vasterling, Mathias, & Brennan, 2001). 88 Ainsi, de nombreuses études n’ont étudié l’anosognosie qu’au travers du spectre de cette seule démence. Toutefois, plusieurs auteurs constatent la présence d’une anosognosie équivalente dans la démence vasculaire (Giovannetti et al., 2002 ; Verhey et al., 1993 ; Zanetti et al., 1999). La présence de ce symptôme est même devenue un critère diagnostique de la démence frontotemporale (Neary et al., 1998). D’autres recherches ont regroupé plusieurs diagnostics tels que la maladie d’Alzheimer, la démence vasculaire ou mixte compte tenu de l’absence d’effet du diagnostic sur les scores d’anosognosie mesurés (Aalten et al., 2006 ; Clare et al., 2012b). Même si le MCI est le plus souvent considéré comme la phase prodromale de la maladie d’Alzheimer, l’émergence et la course de l’anosognosie ne sont pas similaires. Les personnes ayant un MCI se plaignent plus souvent de leur mémoire, surestiment leurs difficultés au quotidien et évaluent leurs performances relativement correctement au regard de leur fonctionnement réel (Perrotin, Belleville, & Isingrini, 2007). Les processus de consolidation semblent préservés à ce stade et provoquent l’apparition d’une plainte mnésique, en lien avec le vécu conscient d’erreurs. Toutefois, les auteurs constatent déjà une altération du monitoring online dans les tâches de métamémoire (Perrotin et al., 2007).