l’anisotropie d’endommagement et ses conséquences
Variation de la raideur initiale, notion de pré-dommage Habituellement, la diminution de la raideur d’un matériau est attribuée à l’endommagement. À endommagement fixé, il est possible d’observer, sur les matériaux quasi-fragiles, le phénomène inverse. Comme par exemple lors d’une compression hydrostatique. Dautriat a effectué cet essai sur un grès de Bentheim [33]. La figure 1.1.A présente l’évolution des déformations en fonction de la pression de confinement. La proximité des courbes contrainte-déformation ε11 et ε22 montrent que le grès de Bentheim conserve un comportement plutôt isotrope sous sollicitation hydrostatique. D’autre part, une rigidification de la réponse est observée lorsque la pression augmente. Ce phénomène est interprété comme la conséquence de la fermeture sous l’influence du confinement, des porosités et microfissures initialement présentes dans ce matériau. La courbe est ensuite linéaire et le module de compressibilité correspond au comportement du matériau non endommagé. Toutes les microfissures peuvent être considérées fermées au delà d’une pression de confinement de 18 MPa. La linéarité peut être associée à l’absence d’endommagement expliquant par la même, l’hysteresis observée sur la figure 1.1 A. L’extrapolation de la partie linéaire de la courbe vers l’axe des déformations à pression de confinement nulle permet de déduire le taux de microfissure et de porosité initial (ici de l’ordre de 0,16%). Pecqueur a lui aussi réalisé un essai de compression hydrostatique sur un grès des Vosges [68]. La figure 1.1.B montre l’évolution de la pression de confinement en fonction des déformations. Les microfissures sont supposées fermées aux alentours de 20 MPa. Le prolongement de la pente du module de compressibilité vers l’axe des abscisses donne une porosité initiale de l’ordre de 0,7% Les mesures présentées par Pecqueur [69] (fig. 1.2.B) peuvent être mis en parallèle de celles réalisées par Scholz sur un granite de Weterly (fig. 1.2.A). Ce dernier a réalisé des mesures d’émission acoustique permettant d’évaluer « l’activité » liée à l’endommagement (voir aussi [63] sur un béton et [42] sur des granites et argilites). La réponse peut être décomposée en quatre phases : – phase I (fermeture des microfissures) : comme dans le cas de la compression hydrostatique, la concavité de la courbe traduit une augmentation de la raideur du matériau. Dans cette partie de la courbe, plusieurs émissions acoustiques sont enregistrées. Elles sont interprétées par la refermeture des microfissures initiales ou bien le frottement de leurs lèvres en vis-à-vis. – phase II (domaine linéaire) : la réponse est linaire. Les émissions acoustiques sont faibles ou inexistantes. Le matériau ne subit pas d’endommagement. – phase III (propagation stable des microfissures) : durant cette phase, on observe une forte activité acoustique sur le granite de Weterly. Cette activité est interprétée comme la conséquence de la création et de la propagation stable des microfissures. Compte tenu des moyens de mesure, il n’est pas possible de statuer sur l’isotropie ou non de cet endommagement. – phase IV (propagation instable et rupture de l’éprouvette) : la création, la coalescence et la propagation des microfissures s’intensifient. Elles se joignent pour former des microfissures qui conduisent à la rupture totale de l’éprouvette.Lorsqu’une phase de confinement hydrostatique est appliquée avant à la phase de compression simple (essai triaxial couramment utilisé pour caractériser les géomatériaux), la concavité positive du début de la courbe de compression disparaît. La fermeture des microfissures initiales se traduit donc par un accroissement de la raideur à l’origine avec le confinement. Les essais de torsion, plus difficiles à mettre en oeuvre, sont moins utilisés que les essais de traction ou de compression. Néanmoins, Pecqueur a réalisé des essais de torsion sur des tubes épais à différentes pressions de confinement, toujours sur le gré des Vosges. Les essais ont été réalisés pour trois niveaux de confinement différents : nul, 10 ou 20 MPa. Tous les essais ont été réalisés en conditions drainées pendant les phases de torsion et de confinement. La figure 1.3 présente l’évolution de la contrainte de cisaillement en fonction de la déformation de cisaillement jusqu’à la rupture. La pression hydrostatique influence le niveau de la contrainte à rupture du matériau, mais également le module de cisaillement à l’origine pour les faibles pressions.
Influence de la direction de chargement, notion d’effectivité
Les essais mentionnés précédemment montrent le rôle joué par le pré-dommage du matériau. Si un confinement initial permet de refermer les fissures, il ne les élimine pas. Seul leur effet sur la réponse globale est atténué lorsque la pression augmente. La connaissance du taux de dommage initial n’est donc pas suffisante. Il faut y ajouter la notion « d’effectivité », qui est dépendante de la direction de sollicitation. À titre de démonstration, mentionnons les essais de traction-compression de Ramtani sur un béton [74] (fig. 1.4). On observe une dissymétrie importante dans la réponse du matériau en traction ou en compression. Lors de la décharge et donc de la recompression, le matériau récupère son module initial. Cet exemple montre que l’effet de l’endommagement généré pendant la traction s’efface progressivement lorsque l’on repasse en compression. Supposons que chaque fissure est dans un plan de normale donnée, et classons les en « familles » de même orientation à un angle solide près. Une famille est définie par une orientation et une densité de microfissure. Lors de la traction, la famille dont la normale est orientée dans le sens de chargement voit sa densité croître. À la compression, ces fissures se referment et celles à 90° s’ouvrent. Ce n’est pas le cas lors d’un cisaillement simple comme le démontrent les essais de torsion mentionnés par Doanh sur de la kaolinite [37]. Ces essais ont été effectués à déviateur constant. Ils se décomposent en deux étapes : (1) application d’une pression de confinement de 0,5 MPa et d’une contrainte normale verticale générant un déviateur de 0,05 MPa puis (2) application d’une sollicitation de torsion cyclique à contrainte verticale et pression de confinement constantes.
Anisotropie induite de l’endommagement et ses effets
Les paragraphes précédents ont permis de montrer que même si on considère un endommagement isotrope, son effet peut varier en fonction de la direction et du mode de sollicitation. Des observations microstructurales récentes ont été effectuées sur les roches granitiques (voir par exemple les travaux d’Homand et al. [42] et de Hoxha [43]). La figure 1.6 représente l’évolution et la distribution angulaire de la densité de fissuration d’un granite de la Vienne soumis dans un premier temps à une pression de confinement à laquelle est ensuite ajoutée une compression simple (direction 90°) à plusieurs niveaux jusqu’à 5 MPa. Le paramètre PL est le nombre d’intersection des fissures par unité de longueur de la grille de test constituée de lignes parallèles. Ce paramètre est représentatif d’une orientation privilégiée du réseau de microfissures : plus sa valeur est grande, plus la microfissuration est orientée. La microfissuration initiale est quasi-isotrope. Elle s’oriente majoritairement dans la direction transversale (0° et 180°) lors de la sollicitation. Dans la direction de chargement (90°), le paramètre augmente légèrement puis il se stabilise. Cet essai montre qu’un endommagement anisotrope s’est développé. Cette anisotropie est confirmée par des mesures de célérités d’ondes ultrasonores par Marigo [63] et Berthaud [14]. L’analyse de la cinétique de microfissuration montre le rôle joué par la déformation positive (endommagement de type mode I) pour ces matériaux. Avec un microscope électronique à balayage, Zhao [86] a observé l’amorçage, le développement et la coalescence des microfissures à la surface d’un échantillon d’une roche granitique sous un chargement de compression simple. La figure 1.7 représente les longueurs cumulées et le nombre de microfissures en fonction de l’orientation pour une contrainte appliquée et croissante en valeur absolue. On observe une anisotropie de la distribution des microfissures, accentuée dans la direction transverse à la direction de sollicitation. Si les observations à l’échelle de la microstructure restent rares dans la littérature, de nombreuses études ont permis de mesurer l’anisotropie du comportement de plusieurs matériaux. On peut citer [15] [77] [84] [43] [48] [64] [60] [54]. Un résumé des études portant sur des roches peut être trouvé dans l’ouvrage de Paterson [67]. Ces essais montrent par exemple la croissance du rapport de la déformation longitudinale sur la déformation transversale (nous appellerons ce rapport le « coefficient de contraction ») lors d’essais de compression. En considérant le grés des Vosges comme un matériau élastique endommageable isotrope, le coefficient de contraction ne doit pas dépasser 0,5. Or la figure 1.8 démontre qu’il en va autrement lorsque l’on trace le coefficient de contraction en fonction de la contrainte appliquée. Une explication avancée par Pecqueur [68] et reprise par Dragon et al. [2] invoquent l’anisotropie d’endommagement induite par la sollicitation . Nous verrons plus loin que notre matériau se comporte de façon identique.