Langue maternelle, langue native, langue source

Langue maternelle, langue native, langue source

 La langue maternelle (LM) est la langue qu’une personne apprend à la naissance, typiquement dans son milieu familial. Elle est aussi appelée première langue (L1) ou langue native (LN). Puisque c’est inévitablement le « connu », la langue dans laquelle l’apprenant puise ses connaissances pour construire la langue qu’il apprend (l’« inconnu »), on l’appelle également langue source (LS). Ces termes seront utilisés avec des sens équivalents dans notre thèse. 

Langue étrangère, langue seconde, langue cible 

Dans la terminologie anglophone, le terme langue étrangère (foreign language) est généralement employé pour définir une langue apprise en dehors du pays ou de la communauté linguistique où elle est parlée. En contraste, la langue seconde (second language) réfère à la langue pratiquée ou apprise à l’intérieur de la communauté linguistique où elle est traditionnellement employée (Stern 1983 : 9). Ce qui distinguerait la langue seconde de la langue étrangère est également le medium par lequel elle est apprise, si on maintient une différence entre acquisition (dans le premier cas) et apprentissage (dans le deuxième) – voir la section suivante. Cependant, si la distinction entre langue seconde et langue étrangère est certainement utile dans certains cas – lorsqu’on s’intéresse à la pratique d’enseignement par exemple, comme le remarque Freed (1991 : 5), « [elle] a eu pour résultat d’induire certains en erreur, d’en satisfaire d’autres, et de plonger un encore plus nombre dans la confusion »88. Pour compliquer davantage les choses, langue seconde a dans la terminologie francophone une acception sociolinguistique précise car ce terme renvoie à une langue apprise qui a un rôle indispensable dans la communauté linguistique en question – car langue de l’état, de l’administration, de l’enseignement (Ngalasso 1992), tandis que langue étrangère définit une langue autre que la langue maternelle, qu’elle soit apprise par immersion sociale ou dans le cadre d’un enseignement, mais en dehors des contextes sociolinguistiques que nous venons de mentionner. Dans notre thèse, nous utilisons indistinctement les termes langue seconde ou langue étrangère, abrégés en L2, au sens large, pour désigner toute autre langue acquise après l’acquisition de la langue première89. Comme nous le verrons en 2.8.2, nos apprenants sont des locuteurs adultes qui ont bénéficié d’un apprentissage guidé suivi par une période d’immersion sociale, étant donné qu’ils ont tous résidé pendant une période importante (3 ans en moyenne) dans le pays où la langue cible est parlée habituellement. Puisqu’il s’agit de la langue que l’apprenant « vise » dans son processus acquisitionnel, la L2 est également appelée langue cible (que nous abrègerons en « LC »), en contraste avec la langue source (2.1.1). Au cours de notre travail, nous emploierons également ce terme comme synonyme de « L2 ».

Acquisition et apprentissage

Dans son influent Second Language Acquisition and Second Language Learning de 1981, Stephen Krashen propose de distinguer entre l’apprentissage (learning) et l’acquisition (acquisition) d’une langue étrangère, et estime que l’apprentissage ne joue qu’un rôle mineur dans le développement de la compétence communicative. L’acquisition réfère à un mécanisme inconscient, spontané et non observable, qui ressemble au processus intérieur de l’enfant qui apprend sa langue maternelle. Ce processus se déroule généralement dans le milieu naturel. D’autre part, l’apprentissage se fait explicitement et consciemment : il s’agit d’un processus observable, que l’on peut qualifier d’« artificiel », lequel implique un enseignant, un input métalinguistique et un apprenant-participant. Or, plusieurs chercheurs ont remis en cause cette dichotomie90. Comme l’explique Ellis (1994) : « some researchers (for example, Krashen 1981) distinguish between ‘acquisition’ and ‘learning’. The former refers to the subconscious process of ‘picking up’ a language through exposure and the latter to the conscious process of studying it. According to this view, it is possible for learners to ‘acquire’ or to ‘learn’ rules independently and at separate times. Although such a distinction can have strong face validity – particularly for teachers – it is problematic, not least because of the difficulty of demonstrating whether the knowledge learners possess is of the ‘acquired’ or ‘learnt’ kind » (Ellis 1994 : 14). 

En effet, l’appropriation langagière en situation d’immersion sociale n’est pas exclusivement implicite, car l’apprenant est toujours amené à formuler des considérations métalinguistiques sur la langue qu’il apprend. A l’inverse, dans le contexte typiquement explicite d’apprentissage qu’est le milieu scolaire, le processus d’appropriation langagière ne se passe pas complètement de mécanismes implicites, car l’apprenant extrapolera inconsciemment certaines régularités de la langue étrangère sur la base de l’input dont il dispose, par exemple (Hilton 2014). Comme le formule Véronique (1992) : « Acteur social et partenaire communicationnel, l’apprenant, au contact d’un locuteur compétent, saisit des informations linguistiques grâce à la collaboration de ce dernier mais aussi grâce à la mise en œuvre de « stratégies » de communication et d’apprentissage. Etre dialogique, il dispose de stratégies cognitives pour prélever, traiter et stocker de l’information linguistique. Ses opérations sont déterminées par l’influence de la langue première et par un ensemble de représentations métalinguistiques » (Véronique 1992). Le rôle et la nature des représentations métalinguistiques que l’apprenant met en œuvre lorsqu’il développe ses compétences dans la L2 seront approfondis dans la section 2.3.

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Transfert et interférence

 Terme emprunté à la psychologie, le concept de transfert se fonde sur l’idée que le locuteur qui apprend une langue seconde possède des acquis et un savoir-faire dans sa langue maternelle qui interfère nécessairement dans l’apprentissage de la langue étrangère. Pour les aspects où la L1 diffère de la L2 on aura pour résultat un transfert négatif ou interférence. Si les configurations de la L2 et de la L1 sont similaires, on aura un transfert positif. Il en ressort que la langue source peut à la fois freiner ou faciliter l’acquisition de la langue cible. Ce point de vue est résumé ainsi par Lado, dans son ouvrage fondateur Linguistics Across Cultures (1957) : « individuals tend to transfer the forms and meanings, and the distribution of forms and meanings of their native language and culture to the foreign language and culture – both productively when attempting to speak the language and to act in the culture, and receptively when attempting to grasp and understand the language and the culture as practiced by natives » (Lado 1957 : 2). La linguistique contrastive qui s’est développée dans les années d’après-guerre a essayé de conduire une analyse des erreurs basée sur la comparaison entre les systèmes linguistiques. Dans ce 103 cadre théorique, les difficultés sont essentiellement dues à la distance entre les systèmes langagiers impliqués, dont la confrontation génère une interférence. Par conséquent, on pensait pouvoir prédire les zones de difficulté que l’apprenant rencontrerait inévitablement dans son processus d’apprentissage, en faisant une comparaison entre les deux systèmes linguistiques en présence (Fries 1945, Lado 1957). A partir des années 1970, ces considérations ont été remises en cause, principalement parce que leurs prévisions ne correspondaient pas à la réalité. En effet, l’apprenant n’absorbe pas l’input linguistique (2.1.5) de manière passive pour le reproduire mécaniquement, mais il est un sujet actif du processus d’apprentissage car il élabore continuellement des hypothèses sur le fonctionnement de la langue qu’il apprend. Ce processus se réalise dans le développement de l’interlangue (2.1.6), système en construction mais régi par des principes provisoires de régularité. Bien sûr, cela ne signifie pas que dans les productions des apprenants il n’y ait pas d’erreurs ni de formes attribuables aux caractéristiques de la langue maternelle. Ces interférences sont évidentes à tous les niveaux linguistiques et peuvent persister dans certains cas chez les apprenants avancés. Cependant, on considère aujourd’hui que le transfert est un phénomène complexe et qu’il représente seulement l’un des divers facteurs impliqués dans l’acquisition de la L2 (Færch et Kasper 1987 : 121). Ellis (1994) définit le transfert de la L1 comme l’incorporation de traits propres à la L1 dans le système en construction de la L2 (« the incorporation of features of the L1 into the knowledge systems of the L2 that the learner is trying to build », 1994 : 28). Certains auteurs, depuis Sharwood-Smith et Kellerman (1986 : 1) et Odlin (1989 : 27), utilisent le terme plus neutre de cross-linguistic influence pour référer à tout type de transfert linguistique ou à l’absence de transfert linguistique. En général, le terme d’interférence est désormais utilisé dans la littérature sur l’acquisition sans qu’on lui attribue le fonctionnement « mécanique » théorisé dans le cadre de l’analyse contrastive mentionnée supra.

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