POURQUOI LA PSYCHANALYSE?
Quelle étrange et obscure raison nous a poussé à choisir la psychanalyse comme approche théorique de la littérature? Il faut être un peu fou, ou peut-être masochiste, pour se lancer dans une telle aventure. Prêter une psychologie aux personnages d’une oeuvre littéraire est aujourd’hui contesté par plusieurs, et depuis qu’un groupe de théoriciens ont mis à mort tous les auteurs du monde présent, passé et futur, il est plutôt inconvenant de parler des réflexions qu’ont pu avoir ceux-ci dans leurs écrits. Et pourtant, c’est bel et bien ce que nous entendons démontrer ici, et peut-être plus encore: nous annonçons la résurrection des auteurs, la naissance du personnage fictif et affirmons l’existence des mondes imaginaires. Qu’ils soient ou non tangibles ne nous importe que bien peu tant ils peuvent influer sur notre vie par leur seule existence au travers des mots. Ne sont-ils pas, après tout, le fruit d’un être bien vivant, apte à réfléchir et à doter ses personnages d’une identité particulière? En ce sens, l’émotion transmise à l’écrit, elle, est tout à fait réelle et perceptible, si nous voulons bien nous laisser toucher par elle.
Seule la psychanalyse nous pennet d’accéder à l’oeuvre de façon à explorer pleinement les angoisses et obsessions des personnages, et de tirer de l’oeuvre certains enseignements susceptibles de nous aider à structurer notre propre vie psychique. Nous ne prétendons bien entendu pas reconstituer la pensée de l’auteur; nous laissons cette ambition à d’autres critiques plus aventureux ou insouciants que nous. L’espoir qui nous anime est celui de redonner à une oeuvre littéraire le droit d’être dépositaire des réflexions et des angoisses de son auteur: à propos de la vie, de la mort et de la création. Par là, nous démontrerons que les critiques qui ont accusé Tolkien d’avoir créé des personnages « plats » et une histoire ayant évacué toute « conscience de la sexualité », sans contenu ni «sens véritable des conflits internes lO », avaient torts: les conflits psychiques des personnages sont complexes, leurs personnalités riches et l’histoire est marquée par de nombreux conflits dont les origines sont éminemment et agressivement sexuelles.
LA NAISSANCE DE LA PSYCHANALYSE
Les auteurs sont, généralement du moins, des gens d’esprit ayant réfléchi, d’une façon ou d’une autre, sur l’être humain et ce qui l’anime. D’une manière pas si différente de celle de Freud, le fondateur officiel de la psychanalyse, lui qui s’est inspiré de la littérature pour théoriser ses découvertes, pour lesquelles il ne s’attribuait qu’une part du mérite: Ce n’est pas à moi que revient le mérite – si c’en est un – d ‘ avoir mis au monde la psychanalyse. Je n’ai pas participé à ses premiers commencements. J’étais encore étudiant, absorbé par la préparation de mes derniers examens, lorsqu’un médecin de Vienne, le Dr. Joseph Breuer, appliqua pour la première fois ce procédé au traitement d’une jeune fille hystérique (cela remonte aux années 1880 à 1882). Il Peut-être s’agit-il d’un élan de modestie de la part de Freud si au début de son Interprétation des rêves il prend tant de peine à rattacher ses découvertes à celles de ses nombreux prédécesseurs. Cette modestie colle cependant bien mal au personnage et il est peu probable que ce soit vraiment le cas. Il est bien plus plausible de penser que pour donner une crédibilité scientifique à ses découvertes, il se devait de rattacher ces dernières à quelques observations déjà existantes, provenant de certains textes de l’Antiquité, des recherches sur l’hystérie de Charcot ou même des hypothèses parfois farfelues de Fhess l2 .
En tant que toute nouvelle science, la psychanalyse avait besoin d’ assises, et Freud s’est assuré de lui en donner. Certaines contribuèrent aux critiques et Freud dû se détacher de son plus grand mentor, Fliess, quand il comprit que son attachement à ce dernier tenait davantage du transfert qu’il avait lui-même théorisé que d’une association scientifique bénéfique. Bref, les origines de la psychanalyse furent marquées par ce paradoxe : en voulant assurer un statut de science à celle-ci, Freud s’est associé à des gens qui ont nui à sa crédibilité. Il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui encore la psychanalyse reçoive un accueil partagé dans le domaine des sciences. D’un côté, un grand nombre de personnes acceptent les découvertes sur l’inconscient et le rêve. D’un autre, beaucoup rejettent ces mêmes découvertes au rang de religion ésotérique païenne ou bourgeoise. Nous nous surprenons encore de lire que l’enfance serait marquée par de profonds désirs considérés comme sexuels, comme s’est efforcé de le démontrer Freud tout au long de sa vie : [ … ] l’instinct sexuel ne pénètre pas dans les enfants à l’époque de la puberté (cOlmne dans l’Évangile, le diable pénètre dans les porcs). L’enfant présente dès son âge le plus tendre les manifestations de cet instinct; il apporte ces tendances en venant au monde, et c’est de ces premiers germes que sort, au cours d’une évolution pleine de vicissitudes et aux étapes nombreuses, la sexualité dite normale de l’adulte. ‘ 3 Malgré tout, la psychanalyse survit et continue de prendre de l’ampleur.
La psychologie et la psychiatrie s’en inspirent, la médecine prend en compte les découvertes sur le rêve et l’inconscient, le matériel refoulé du patient étant désonnais envisagé pour expliquer certaines maladies. Même la littérature n’échappe pas à son influence, que ce soit en critique littéraire ou en création, et les ramifications sont très nombreuses. L’histoire de la psychanalyse a également été marquée par l’éloignement qu’ont pris certains «disciples» de Freud à l’égard de ce dernier. Lacan, par exemple, a décidé d’explorer le langage en donnant à ce dernier une plus grande importance, pendant que Jung, lui, a fait déborder l’inconscient individuel pour en an-iver à l’inconscient collectif. La liste des descendants spirituels de Freud est nombreuse, et plus nombreux encore sont ceux qui ont repris ses découvertes pour enrichir les leurs. Un théoricien en particulier se démarque cependant par son intention de continuer Freud, de pousser plus loin les théories de ce dernier. Avec la micro psychanalyse, Sylvio leurs propres découvertes. La micropsychanalyse est bien entendu différente de la psychanalyse, mais la filiation qu’elles partagent est très forte, semblable à celle que partagent un fils et un père. Un fils qui a poli et affiné le joyau de son père. C’est ainsi qu’en 1953, Sylvio Fanti fonda la micropsychanalyse, en continuité des découvertes de Sigmund Freud. C’est après des années de pratique et d’observation qu’il en vint à proposer d’autres modèles et des appoints techniques – au fil de ses propres essais – qu ‘ il mit en pratique au cours de ses séances d’analyse. Le mot n’apparut cependant qu’en 1973 au moment de la fondation de la Société internationale de Micropsychanalyse 14
LE VIDE ENERGETIQUE ET LES ESSAIS
Il peut cependant sembler étrange, même ridicule, de prétendre que l ‘homme soit constitué de «vide ». Comment agglutiner ce qui n’est pas pour former un tout? Comment peut-on prétendre que chacun de nos gestes, chacune de nos relations, est vide? Plus encore, comment croire qu’une oeuvre aussi riche et vaste que celle de Tolkien puisse avoir un quelconque rapport avec le vide? Rien n’est plus compréhensible que le froncement de sourcils de la personne qui, pour la première fois, lit que tout est essai. Et rien encore n’est plus compréhensible que son sourire incrédule et moqueur (pour dire peu !) quand elle apprend que les essais ont lieu dans le vide. (L ‘homme , p. 23) Cette théorie semble peut-être paradoxale (comment est-il possible de créer quelque chose depuis l ‘absence de chose ?) et il est évident qu ‘elle peut prêter à confusion, étant donné qu ‘on associe généralement le vide à un sentiment de simple perte Ge possédais une chose, plus maintenant), sentiment qui n’a en fait que peu à voir avec le vide énergétique. Le vide commence, ici et là, à entrer dans le vocabulaire psychanalytique, mais de façon floue, soit comme symbole, soit pour exprimer la perception d’une perte ou d’un manque (par exemple, le sentiment d’hypothèque psychique en cas de rupture d’un lien affectif ou le sentiment d’hypothèque somatique en cas d’amputation). (Dictionnaire, p. 43)
Il est impûrtant de comprendre que le vide en micropsychanalyse est entièrernent neutre et non pas associé à une quelconque sensation, qu’elle soit psychique ou somatique (physique), ni à aucun sentiment de perte, ni même au néant : «Au cours d’une micropsychanalyse, non seulement le vide devient scientifiquement identifiable psychiquement et somatiquement, mais il s’impose en réalité omniprésente» (Dictionnaire, p. 43). Le vide micropsychanalytique est, sans plus, et ne découle pas de nos sensations. Il existe, il est constitutif de notre être, tant physique que psychique ou énergétique. De lui nait la trame énergétique d’où proviennent les essais. S’il est difficile d’accepter une telle réalité, nous pouvons cependant nous pencher sur la question d’un point de vue métaphorique: est-il possible que nous soyons, au point de vue de l’univers, vides, insignifiants? En ce sens, le vide micropsychanalytique peut servir à relativiser notre existence par rapport aux innombrables existences qui nous entourent. Ce que nous faisons, ce que nous sommes n’est en réalité que la somme de nos essais et de ceux de nos ancêtres. Sans leurs innombrables tentatives d’exister et de prendre place dans le monde, d’asseoir leur existence dans le vide de l’univers, nous ne serions pas là, chacun des essais composant notre existence contribuant à nous échapper du vide, à combler notre existence. Fanti illustre le vide en invoquant le point de vue de l’astronome: Le vide cosmique ! ‘ » un vaisseau spatial qui, en vingt ans, voudrait effectuer un aller-retour entre la Terre et une planète gravitant autour d’une des étoiles les plus proches de nous .. . par exemple, l’étoile de Barnard situé à six années-lumière de la Terre [ … ] ce vaisseau devrait se déplacer à plus de cent quatre-vingts mille kilomètres par seconde … à cette vitesse, le choc avec les particules disséminées dans le cosmos provoquerait une explosion atomique qui détruirait le vaisseau … (L ‘homme, p. 24)
Quelle meilleure image que celle du vide cosmique pour illustrer notre vide constitutif? Bien entendu, les récentes découvertes scientifiques tendent à contredire [‘idée voulant que l’univers soit «vide ». Pensons à la matière sombre 17 , entre autres, qui constituerait une bonne partie de l’espace. Cependant, métaphoriquement parlant, l’espace séparant la Terre du Soleil est bel et bien vide. Et même si ce n’était pas le cas, « le vide cosmique est ponctué de particules … bourrées de vide ponctué de particules .. . bourrées de vide ponctué d’énergie» (L ‘homme, p. 24) ! En d’autres tennes, même ce qui nous semble plein, comme un être humain ou un astre, une fois regardé au microscope, est en fait constitué d’atomes, eux-mêmes séparés par un vide potentiellement constitué de matières plus petites, elles-mêmes réductibles à autre chose, jusqu’au moment où il n’y aura plus qu’un vide« identifiable ». Le vide ne se limite pas qu’à l’espace interstellaire et interplanétaire: notre Terre n’est pleine qu’en apparence. En supprimant le vide des molécules et des atomes qui la composent, elle aurait un diamètre de cent mètres au lieu de treize millions. (L ‘homme, p. 25) Tout n’ est qu’atome, réductible en énergie, réductible en vide énergétique neutre. Cette première définition nous mènera maintenant sur le chemin des essais, qui tendent à (ou tentent de) nous éloigner du vide.
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