L’analyse réflexive de la pratique d’éducateur de la petite enfance selon Perrenoud

Le contexte de l’arrivée des Centre de la petite enfance

Au cours du dernier siècle, à raison de nouveaux modes de vie, la situation des familles québécoises a changé (Daniel, 2003). Avant 1850, la garde des enfants ne laisse aucune place au questionnement. Impliqués dès le jeune âge dans la vie familiale et agricole, les enfants prennent soin les uns des autres ou sont confiés à l’occasion à la famille élargie. Vers 1850, animées du désir de prendre part à la nouvelle ère de l’industrialisation qui leur promet une vie plus facile, les familles rurales migrent massivement vers les villes et les zones dites urbaines. Ces déplacements poussent les femmes à modifier leur mode de vie et permettent une croissance importante de leur présence sur le marché du travail. Ce moment marque le début d’un long combat qu’elles devront mener pour assurer la prise en charge de leurs enfants, créant ainsi de grands bouleversements au sein de la structure familiale traditionnelle (Daniel, 2003). Devant les nouveaux besoins des familles, la communauté des Soeurs grises de Montréal, en 1858, élabore le concept des premières garderies, connues sous le nom de « salles d’asiles ». Faiblement subventionnées par le gouvernement provincial, ces salles, majoritairement fréquentées par les enfants de la classe ouvrière, gagnent très vite en popularité.

La Première Guerre mondiale perturbe à nouveau le mode de vie des Québécois en mobilisant les hommes à l’étranger. Les femmes doivent alors se réorganiser. C’est en 1919 que les Soeurs franciscaines de Montréal fondent la première vraie garderie. L’établissement, ouvert sept jours par semaine, propose un programme éducatif inspiré de l’approche Montessori, et coûte un sou par semaine par enfant. Très vite, les enfants provenant de familles aisées seulement fréquentent ces institutions (Daniel, 2003). Les années passent et les bouleversements familiaux prennent de l’ampleur. De nouvelles réalités sociales telles que de sévères inflations, une baisse des mariages et l’augmentation des familles monoparentales due à la hausse des divorces marquent la décennie des années 1970. En réponse à ces nouvelles réalités, les garderies deviennent un important moyen de socialisation pour les enfants. À l’époque, le rapport fédéral de la commission Bird, pionnier dans l’organisation du système de garde québécois, envoie un message clair à la population : il faut faire des garderies une responsabilité collective. Après plusieurs années de luttes et de remaniements dans le domaine de la petite enfance, Pauline Marois, ministre de l’Éducation (1996-1998), puis ministre de la Famille et de l’Enfance (1998-2001), posera les bases des nouvelles orientations des centres de la petite enfance (CPE), tels que nous les connaissons aujourd’hui au Québec.

La mission des CPE Grâce à la contribution des parents, les CPE sont des entreprises d’économie sociale régies par des lois gouvernementales. Au Québec, les membres éducateurs des CPE se sont dotés d’une triple mission d’éducation familiale : voir au bien-être, à la santé et à la sécurité des enfants qui leur sont confiés ; offrir un milieu de vie propre à stimuler le développement des enfants sur tous les plans, de leur naissance à leur entrée à l’école et, enfin, prévenir l’apparition ultérieure de difficultés d’apprentissage, de comportement ou d’insertion sociale (Gouvernement du Québec, 2008). Cette triple mission découle de quatre principes fondamentaux : 1) l’enfant est le premier agent de son développement ; 2) les parents sont les premiers responsables du développement de leur enfant ; 3) l’enfant et ses parents ont le droit de recevoir des services de garde éducatifs de qualité, confidentiels et adaptés à leurs besoins, et 4) les parents doivent être consultés relativement aux mesures destinées à leurs enfants. L’expérience vécue dans ces centres doit favoriser le développement global et harmonieux des enfants sur les plans physique, affectif, social et cognitif. Les CPE sont tenus, actuellement, d’appliquer un programme éducatif nommé « Accueillir la petite enfance », qui respecte les prescriptions législatives en la matière. Les enfants sont accueillis dans les CPE jusqu’à leur entrée à la maternelle. Généralement considérées comme contribuant à des projets de développement de l’enfant et à des projets économiques, les institutions de la petite enfance jouent un rôle important dans la construction de la société en favorisant la visibilité, l’inclusion et la participation active du jeune enfant dans la société (Dahlberg et al., 2012).

Le rôle des CPE dans le développement global des enfants est précieux. L’impact positif produit par la fréquentation de ces centres par ceux provenant de milieux socio-économiques précaires a été grandement démontré (Couturier, 2017). Les CPE sont également le premier barreau de l’échelle de la scolarisation. Non considérés comme une étape préparatoire ou marginale, les centres de services de garde forment une institution sociale à part entière, par leur production de pratiques pédagogiques et d’éducation familiale. L’éducation familiale, comme définie par During (1995, cité dans Fablet 2004), est entendue au sens large comme une pratique sociale et un champ de connaissances qui comprennent, outre l’activité familiale d’éducation, l’ensemble des interventions sociales mises en oeuvre pour préparer, soutenir, aider, voire suppléer aux parents dans leurs tâches éducatives auprès de leurs enfants. Autrement dit, toute personne en dehors du noyau familial, tel que les membres éducateurs des centres de la petite enfance, peut également faire office d’éducateur familial auprès des enfants qui lui sont confiés. En 2012, la proportion d’enfants qui fréquentaient le réseau des services de garde éducatifs du Québec était de 54,4 % (Statistiques officielles, ministère de la Famille, 2014). C’est donc dire qu’un peu plus de la moitié des enfants âgés de 0 à 5 ans bénéficie de ces services éducatifs. Néanmoins, malgré l’implantation de ces CPE à caractère éducatif et leur taux élevé de fréquentation, des inégalités d’ordre social et scolaire sont toujours d’actualité dès l’entrée au préscolaire. Quelles en sont les causes ? Que se passe-t-il à l’intérieur de ces centres, et qui y travaille ?

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L’identité professionnelle et la formation des éducateurs en CPE

L’identité professionnelle de l’éducateur à l’enfance incarne une construction sociale. Tout comme le domaine de l’enseignement, tel que décrit par Gohier, Anadon, et Chevrier (2007), l’identité professionnelle se construit à partir de l’image que l’individu a de lui-même comme professionnel éducateur, de sa manière particulière d’être éducateur, de ses valeurs, de sa propre histoire de vie, de ses désirs, etc. Les relations entretenues avec les collègues de travail, la direction et les autres groupes sociaux contribuent également à la construction de l’identité professionnelle de l’éducateur. Le développement professionnel de ce dernier ne peut échapper à la réflexion critique de sa pratique. Selon Urban et al. (2011), développé consciencieusement, ce type de réflexion mène l’éducateur vers l’optimisation de ses compétences. Or, la qualité des services de garde repose, entre autres, sur les compétences développées des éducateurs (Urban et al. 2011). Qui plus est, la formation initiale contribue également à la construction de l’identité professionnelle, notamment en forgeant une culture commune, ainsi que des savoirs partagés. Qu’en est-il de cette formation ? Au Québec, 29 établissements collégiaux offrent le programme de techniques d’éducation à l’enfance menant à un diplôme d’études collégiales. Ce programme comporte trois stages dans différents milieux de garde. Il vise à former des éducateurs de la petite enfance qui travailleront auprès d’enfants de 0 à 12 ans dans les différents services de garde du Québec. D’une durée de trois ans, ce programme prétend assurer une haute qualité de formation théorique et pratique aux éducateurs de la petite enfance. Pour être admis à ce programme, il faut satisfaire aux exigences d’admission aux études collégiales, c’est-à-dire être titulaire d’un diplôme d’études secondaires (DES) ou avoir suivi une formation jugée équivalente par l’établissement collégial où le candidat souhaite s’inscrire (Gouvernement du Québec, 2000).

À la suite de l’obtention du diplôme, l’éducateur à l’enfance en CPE intervient majoritairement auprès des enfants âgés de 0 à 5 ans. Il doit principalement créer un lieu de vie propice au développement global (physique, psychomoteur, cognitif, langagier, socioaffectif et moral) des enfants, en établissant avec eux une relation riche et signifiante sur le plan affectif. La qualité de cette relation importe grandement, car ces enfants séparés de leurs parents et accueillis par une personne initialement étrangère à leur vie n’ont pas les ressources intérieures nécessaires pour gérer l’insécurité née de cette situation (Doucet-Dahlgren et Catarsi, 2012). Également, tel que le décrit Bronfenbrenner (1993), le développement global idéal d’un enfant repose sur la qualité de ses relations interpersonnelles. L’éducateur doit, en adéquation avec la mission du centre et le degré de développement des enfants, concevoir, organiser, animer et évaluer des activités éducatives favorisant le développement global des enfants. Par le biais de ces activités, l’éducateur aide l’enfant à reconnaître et à développer ses capacités, tout en considérant les limites et les fragilités de chacun (Preissing et Wagner, 2006). L’éducateur doit prodiguer des soins de base répondant aux besoins de santé et de sécurité de l’enfant tels que donner les soins d’hygiène, superviser l’alimentation, procurer à l’enfant des périodes de sommeil et de repos et répondre aux besoins particuliers de chacun.

Table des matières

Résumé
Abstract
Liste des tableaux
I. Variables mises en relation
II. Choix phénoménologiques
III. Fiche individuelle 1
IV. Fiche individuelle 2
V. Fiche individuelle 3
VI. Fiche individuelle 4
VII. Fiche individuelle 5
VIII. Fiche individuelle 6
IX. Fiche individuelle 7
X. Modèle de base issue de l’échantillon des éducatrices en CPE de Rouyn-Noranda
XI. Source des inégalités sociales et scolaires
XII. Solutions pour enrayer les inégalités dans les CPE
Liste des sigles et abréviations
CHAPITRE 1 La problématique de recherche
1.1 Contexte de la recherche
1.2 Le contexte de l’arrivée des Centre de la petite enfance
1.3 La mission des CPE
1.4 L’identité professionnelle et la formation des éducateurs en CPE
1.4.1 L’éveil à la culture
1.4.2 Les relations entre éducateurs et parents utilisateurs
1.5 La perpétuation des inégalités sociales et scolaires en CPE
1.6 Pertinence et objectifs de recherche
CHAPITRE 2 Le cadre théorique
2.2 La sociologie des inégalités sociales
2.3.1 L’analyse réflexive de la pratique d’éducateur de la petite enfance selon Perrenoud
2.3.2 La transformation de l’habitus professionnel et l’analyse réflexive
2.4 Les travaux sociologiques de Pierre Bourdieu
2.4.1 Le concept d’habitus
2.4.2 Le champ, lieu de luttes
2.4.3 Les formes de capital et le champ de l’éducateur
2.4.4 Le sens pratique
2.6 La question spécifique de recherche et l’hypothèse
CHAPITRE 3 La méthodologie
3.1 Type de recherche
3.2 Techniques et outils de collecte des données
3.3 Population à l’étude et stratégie d’échantillonnage
3.3.1 Taille et répartition de l’échantillon
Chapitre 4 : Analyse des données
4.1 Notre rapport à l’objet d’étude
4.2 L’analyse qualitative
4.3 Les méthodes d’analyse
4.3.1 L’analyse structurale de Lévi-Strauss (1958)
4.3.2 L’analyse phénoménologique
4.4 L’interprétation des données au moyen de l’analyse structurale
4.4.1 Profil personnel
4.4.2 Profil professionnel de l’éducateur
4.4.3 Occupation des proches
4.4.4 Rapports au travail
4.4.5 Formation continue
4.4.6 Pratique réflexive
4.4.7 Perception des inégalités
4.4.8 Modèle de base produit de l’analyse structurale
4.5.1 Il n’y a pas d’inégalités liées au statut économique : le premier groupe
4.5.2 Les inégalités provenant du statut économique des parents sont omniprésentes : le deuxième groupe
Chapitre 5 : Discussion
5.1 Les formes de capital, le sens pratique et le champ de l’éducation à la petite enfance
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES A
Le guide d’entretien

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