L’analyse des homologies

Cadre d’analyse et méthodologie

L’analyse des homologies

Le concept d’homologie permet d’établir une comparaison entre deux modèles et de déterminer leurs caractéristiques communes. La notion d’homologie, empruntée à la biologie de l’évolution, désigne un même caractère observé chez deux espèces différentes, qui a été hérité d’un ancêtre commun, mais dont la fonction chez chacune des espèces n’est pas forcément la même. Dans le cadre de la recherche sociologique, ce concept se retrouve dans les travaux de Panofsky (Panofsky, 1967) et de Bourdieu (Bourdieu, 1989) sous la forme de l’homologie structurale, qui suppose une similarité entre deux champs de l’espace social. Cette méthode a été reprise par Tanguy (1994), dans le cadre d’une étude sur les parallèles entre le développement des discours et des pratiques entourant les compétences dans l’entreprise et l’institutionnalisation de la pédagogie par compétences dans le système éducatif français. (Tanguy, 1994). Comme elle l’indique, il s’agit de : « […] mettre en évidence le parallélisme de changements qui « travaillent » deux sphères d’activité sociale, de susciter des analyses sur les similitudes et les différences entre cette double série de changements afin de les rendre intelligibles et d’en saisir la signification. » (Tanguy, 1994, p. 206)

Pour Doray et Maroy (1995), le concept d’homologie permet de concevoir la relation entre éducation et travail comme un objet empiriquement observable. (Jones et Moore 1993; Moore, 1987, 1990 Tanguy 1994; Tanguy et Ropé 1994; Bernstein 1977) Il permet théoriquement d’établir « une relation entre des catégories ou des formes symboliques qui structurent, d’une part, la réalité du travail et, d’autre part, la réalité de l’éducation. » (Doray et Maroy, 2005, p. 674). Pour Tanguy et Ropé (1994), il y a un rapprochement, lorsque l’univers du travail est bouleversé par la venue d’un nouvel instrument ou d’une nouvelle pratique, qui se traduit en catégories dans le champ éducatif. Par exemple, la généralisation du modèle de la compétence dans l’entreprise affecte l’école car elle répond aux exigences de la nouvelle économie tout en apparaissant pour les législateurs comme un moyen légitime de rendre compte de la « réalité » de l’entreprise, du travail et de l’industrie. (Tanguy et Ropé, 1994)

La légitimation des matériaux sélectionnés, à des fins d’analyse, est une étape cruciale de ce type de méthode, car l’objectivation des homologies n’est possible que dans la mesure où ces derniers sont représentatifs des points de vue dominants. La sélection effectuée par Ropé et Tanguy est univoque, l’accord Cap 2000 fait figure de référence lorsque vient le temps d’étudier le processus d’incorporation de la compétence en entreprise.
L’accord Cap 2000 signé en octobre 1990 par le Groupement des entreprises sidérurgiques et minières (GESIM) d’une part et les organisations syndicales de salarié d’autre part […] fait figure de référence dans le monde des entreprises et des grandes entreprises notamment. Il se présente en effet à la fois comme une doctrine et un programme qui systématisent et mettent en cohérence des changements qui ont cours ici et là, mais séparément. […] De fait, il tend à faire figure de modèle dans la mesure où il sert de référence pour définir des modalités d’organisation du travail et d’administration des salariés fondée sur les compétences. (Tanguy, 1994, p. 207)

La mise en rapport des référentiels de compétences transversales et d’employabilité ne semble pas suffisante pour saisir la complexité des médiations nécessaires afin d’expliquer les homologies observables. Les représentations sociales, qui ont, au-delà des conditions purement matérielles, affecté la réforme et permis un « potentiel rapprochement entre travail et école, serviront à combler cet angle mort.

La médiation ou l’imparfaite correspondance

L’analyse par médiation, repose sur le postulat théorique, que l’influence de l’économie sur l’éducation est indirecte et tributaire des interactions et des relations entre le champ éducatif et l’espace social. La médiation du système politique permet d’expliquer en partie les reconfigurations du rapport entre le travail et l’éducation, par une analyse des missions idéologiques et des finalités éducatives attitrées à l’école par le pouvoir politique. Les changements apportés au système éducatif sont la résultante des rapports de force entre les différents agents : les partis politiques, les syndicats, les organisations patronales ou les agents ayant une position de responsabilité effective sur la prise de décision.5 Ces facteurs expliquent partiellement l’imparfaite adéquation, et permettent de souligner que le lien entre système éducatif et travail n’est pas influencé exclusivement par ce dernier. Les missions idéologiques et les finalités éducatives attitrées au champ éducatif, par les pouvoirs politiques, constituent la première forme de médiation. La difficulté que représente une définition objective des besoins de l’économie et du marché en est une autre.
Tiré des travaux de Lenoir, Esquivel, Froelich et Jean (2012) les figures 1 et 2 illustrent la relation entre les concepts d’options idéologiques, finalités éducatives, objectifs et buts. Cette figure nous permet d’opérationnaliser la médiation et de définir un peu mieux la relation qui peut exister entre les représentations, les finalités éducatives et les moyens mis en place pour atteindre les objectifs et les buts de la réforme.

Une lecture sommaire des matériaux a permis de produire la figure (voir figure 2) à portée heuristique permettant d’organiser et de structurer l’analyse du noyau des représentations sociales institutionnelles dominantes du champ éducatif québécois.
Figure 2 : Fonctions, finalités, objectifs et buts de la réforme scolaire québécoise.
Ce cadre d’analyse vise à produire une objectivation de la conception subjective des besoins de l’économie privilégiée par les agents sociaux chargés de la réforme. À cette fin, l’analyse de la correspondance entre éducation et travail s’attarde aux missions idéologiques, aux finalités éducatives, et la conception de la réalité économique et du travail mobilisés dans le cadre des rapports qui précèdent la réforme. Par conséquent, l’opérationnalisation du concept de représentation sociale permet de déterminer le point de vue dominant identifiable dans les textes.
Le Guide d’éthique pour le partenariat affaires-enseignement publié en 1998 par le Conference Board du Canada souligne que l’une des règles fondamentales d’un partenariat éthique est qu’ : « [il] se fondent sur des objectifs communs ou harmonisés qui appuient les buts de chacun des partenaires » (Le Conference Board du Canada, 1998, p. 3). Par cette affirmation, il est possible de formuler l’hypothèse que les points de vue dominant dans le monde du travail et dans le système éducatif doivent converger et s’entendre sur une conception commune de l’économie, des finalités éducatives et idéologiques du système éducatif. Dans ces conditions, la relation entre travail et système éducatif ne peut reposer sur l’idée d’une subordination au marché ou d’une domination directe. Dans ce cas, la domination est indirecte et témoigne d’une incorporation des valeurs et des représentations sociales dominantes dans le champ éducatif par les agents sociaux chargés de la réforme.

Dans cette perspective, il semble pertinent d’identifier les représentations sociales présentes dans les rapports qui précèdent la réforme, afin de comprendre le processus par lequel les principales institutions et agents chargés de réfléchir sur la réforme ont considéré que l’implantation des compétences transversales constituait la meilleure réponse possible face aux problèmes touchant l’école, tout en répondant aux nouvelles finalités éducatives et aux nouvelles réalités du travail. Comme le propose Becker : « Face à des actions apparemment incompréhensibles, c’est probablement faire une excellente hypothèse que de poser qu’elles semblaient être une bonne idée pour les gens qui les ont faites au moment où ils les ont faites. Le travail d’analyse consiste alors à découvrir les circonstances qui ont poussé l’agent à penser que c’était une bonne idée. » (Becker, 2002, p.8). Notre travail se résume alors à analyser les discours portés par les différentes institutions et agents, chargés de réfléchir et de mettre en place la réforme (le gouvernement du Québec, le ministère de l’Éducation du loisir et du Sport et le conseil supérieur de l’éducation), et d’identifier quels sont les facteurs ayant eu une portée effective. Conséquemment, l’analyse se décline sur trois axes : la conception de l’économie; les finalités éducatives; et les réponses mobilisées aux « problèmes de l’école ».

Ces médiations peuvent être désignées comme des représentations sociales dominantes, car elles ne représentent pas la diversité des points de vue légitimes exprimés dans le cadre de la réforme, mais bien la forme achevée des débats et discussions, ayant eu lieu à l’intérieur des Groupes de travail et autres instances décisionnelles ou consultatives. Bien que certaines de ces recommandations n’aient pas été mises en place de manière intégrale (certaines recommandations n’ayant pas passé le test du politique), elles restent des marqueurs indélébiles des courants de pensée et des tendances ayant marqué le système éducatif Québécois à un moment particulier de son histoire.

Les représentations sociales

Le contenu des représentations sociales est extrêmement divers : des opinions, des images, des stéréotypes ou des croyances que l’on classe sous terme de doxa. Pour Abric les représentations sociales sont un « ensemble organisé et hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet » (Abric, 1996, p.11). Les représentations sociales sont la rencontre des habitudes, des expériences et des trajectoires des acteurs qui les amène à développer certaines opinions ou conceptions. Pour Jodelet, (1991) elles sont « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1991, p.36). Ces dernières « se constituent à partir de nos expériences, mais aussi des informations, savoirs, modèles de pensée que nous recevons et transmettons par la tradition, l’éducation, la communication sociale. » (Jodelet, dans Moscovici, 1984, p.360-361) Si chaque sphère sociale est susceptible d’avoir des opinions et des idées sur la réalité sociale, certaines idées circulent et transcendent ces sphères pour être plus largement partagées par l’ensemble de la société. Les représentations ont donc un caractère collectif ce qui les rend susceptibles d’être intéressantes d’un point de vue sociologique.

Mais chaque sphère sociale possède un éventail de représentation.
Les représentations sont organisées en deux systèmes, le noyau central et le système périphérique. Le noyau central constitue le cœur de la représentation, il est formé de quelques éléments qui ont un statut d’évidence au sein d’un groupe et il fait figure de fondement stable autour duquel se construit l’ensemble des représentations (Rouquette et Rateau, 1998). Ce noyau est directement lié au contexte dans lequel les individus évoluent, car il est cohérent avec la culture et les normes sociales ambiantes en plus d’être lié aux conditions sociohistoriques. Le concept de représentation sociale est assez semblable au concept de doxa.

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