L’analyse des données
Fondements théoriques de l’analyse par les prix
Pour un agent, la valeur d’un bien ou d’un service est donnée sans ambiguïté par le prix auquel il peut l’acheter ou le vendre. Il n’en va pas de même si l’on cherche à en apprécier la valeur du point de vue de la collectivité. Pour que prix et valeur coïncident, la théorie économique stipule que les prix doivent être établis par le libre jeu de l’offre (les producteurs) et de la demande (les consommateurs), dans un environnement de « concurrence libre et parfaite ». Sous cette condition(1) les prix envoient aux agents des « signaux » leur permettant d’allouer les ressources rares (biens et services, travail, capital, environnement) de façon non seulement à maximiser leurs revenus particuliers, mais aussi à maximiser le revenu intérieur global et à induire une régulation optimale spontanée de l’économie. Si les prix ne reflètent pas les vraies valeurs, les décisions des agents se trouvent « faussées », et elles ne permettent plus de maximiser le revenu global. Deux raisons principales expliquent l’écart entre les prix constatés et la valeur véritable des flux pour la collectivité : ! les distorsions : c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes qui entravent le fonctionnement des marchés en concurrence libre et parfaite ; ➠ Les distorsions « déforment » les prix par rapport à la valeur pour la collectivité qu’ils devraient représenter. ! les externalités : c’est-à-dire tous les changements attribuables au projet qui n’apparaissent pas dans les comptes économiques des agents impliqués. ➠ L’absence de prise en compte des externalités dans le calcul, « réduit » (ou « majore ») le coût des ressources utilisées dans le projet d’un montant égal aux effets négatifs (ou positifs) externes Il existe quatre types principaux de distorsions : (1) Les transferts, c’est-à-dire l’ensemble des flux financiers effectués sans contrepartie marchande et/ou sans consommation de ressources économiques. Il s’agit de transactions qui n’ont aucune incidence sur le revenu intérieur global(1) : il y a changement de propriété mais la disponibilité de richesses n’en est pas directement affectée. Si elles constituent bien un coût pour l’agent payeur et un avantage pour celui qui les reçoit, elles ne représentent ni l’un ni l’autre du point de vue de la collectivité. Pour celle-ci, ces flux ne donnent lieu qu’à un simple transfert de richesse entre deux agents. Les deux catégories de transfert sont : • les opérations de l’Etat : taxes, impôts et subventions. Ces opérations ne changent à l’évidence pas la richesse existante ou créée mais seulement sa répartition ; • les opérations financières : réception des emprunts, service de la dette (intérêts + remboursement du principal). Ces opérations ne constituent qu’un partage entre agents (l’emprunteur et le prêteur) sans conséquence pour la création de richesse (donc pour le revenu intérieur) ni pour la rentabilité des ressources investies. Une autre catégorie apparaît parfois sous la forme de paiements unilatéraux entre agents intérieurs à l’économie, tels que les dons humanitaires, les versements sociaux (indemnités de subsistance…) ou les versements religieux (dîmes, devoir de charité…). (2) L’intervention de l’Etat dans l’économie. Les taxes et subventions constituent évidemment une forme de cette intervention qui « déforme » les prix affichés puisque les producteurs les répercutent dans leurs prix. Mais l’intervention de l’Etat se réalise également sous d’autres formes qui interfèrent avec le libre jeu des agents économiques : • le contrôle des prix, quelle que soit sa forme, impose des limites ou fixe des tarifs à respecter. S’agissant de produits de première nécessité, les prix maintenus bas découragent les producteurs et incitent les consommateurs à accroître leur demande – c’est bien là, le plus souvent, l’effet recherché par ces politiques sociales ; • le contrôle des taux d’intérêts, tant pour la rémunération de l’épargne que pour les emprunts, modifie la régulation de l’offre et de la demande sur le marché des capitaux. Certains pays mènent des politiques de taux d’intérêt négatifs (c’est-à-dire inférieurs au taux d’inflation) ce qui tend à décourager l’épargne locale mais incite à investir ; • les quotas, contingents et toutes les limites quantitatives et tarifaires imposées à la circulation des marchandises entre l’économie nationale et l’extérieur (ainsi parfois qu’au sein de l’économie nationale) protègent certaines activités productives. Elles conduisent le plus souvent à des prix supérieurs à ceux d’un marché libre, stimulant l’offre mais limitant la demande et imposant un « désavantage aux consommateurs » ; • la production directe dans laquelle sont engagées les sociétés publiques et parapubliques, en secteur concurrentiel ou protégé par un monopole de service public et dont les règles de gestion sont fondées sur des principes différents de ceux qui régissent la rationalité du marché. Cas particulier de cette intervention directe : le contrôle du marché des capitaux par le biais de banques et instituts de crédit étatiques ; • des réglementations et mesures politiques de toutes sortes conditionnent les décisions des producteurs et des consommateurs (qualité, sécurité, règles de commercialisation, codes d’investissement, taux de change…), parfois de façon discriminatoire. Il est aisé de comprendre que, du fait de ces interventions de l’Etat, les prix des biens et services peuvent ne pas refléter leur valeur de rareté et d’utilité : le fait que l’eau soit fournie aux populations urbaines gratuitement ou à un coût très faible ne signifie pas que sa production soit gratuite, ni que sa valeur d’utilisation soit nulle… (3) L’« imperfection » des structures de marché. Les marchés des différents produits peuvent être dominés par quelques vendeurs, voire un seul, ou quelques acheteurs, voire un seul – on parle alors, respectivement d’oligopole, de monopole, d’oligopsone ou de monopsone. Ces acteurs contrôlent alors certains mécanismes du marché : fixation des prix, transmission de l’information, accès de nouveaux concurrents, etc. Ainsi, l’absence de « transparence » des marchés, qui donne à certains opérateurs des informations commerciales critiques dont d’autres ne disposent pas, est-elle un facteur fréquent de dysfonctionnement des marchés, allant jusqu’à l’organisation de pénuries « artificielles ». Dans les secteurs « formels » de l’économie, les niveaux de rémunération du travail salarié sont souvent imposés plus par un rapport de force social (revendications syndicales, existence de charges sociales et de salaires minimaux légaux…) que par la seule confrontation de l’offre et de la demande sur le marché du travail. Les prix qui résultent de ces imperfections sont entachés de marges excessives, d’éléments de « rente » ou de « surprofits ».
La méthode appliquée : les prix de parité internationaux
Puisque les prix de marché des biens et services ne reflètent pas leur valeur économique « réelle » pour la collectivité, les bilans financiers et le compte consolidé ne reflètent que les bilans nets des agents et non pas le bilan global « réel » du projet pour la collectivité. L’analyste va donc entreprendre d’établir un bilan économique « véritable » en substituant aux prix de marché constatés des prix de référence, prix théoriques devant refléter les valeurs « réelles » pour l’économie nationale. En dehors de cet ajustement des prix, la définition des coûts et avantages bruts et la mécanique du calcul de l’avantage net sont similaires à ceux de l’analyse financière. (1) Mais la recherche progresse dans certains de ces domaines. Il existe deux grandes catégories de prix de référence : ! Les prix d’efficience qui devraient traduire : • pour les intrants utilisés : leur coût marginal de production ou leur coût d’opportunité ; • pour les biens et services produits : leur coût d’opportunité ou la disposition à payer des consommateurs. ! Les prix sociaux qui devraient intégrer : • l’estimation de l’impact des revenus des différents agents sur la consommation et l’épargne ; • les objectifs de la politique économique en matière de répartition des revenus (afin, par exemple, de favoriser l’épargne plutôt que la consommation). N.B. : Le calcul des prix sociaux est très complexe et aucune méthodologie n’est communément acceptée. Il n’est effectué que pour certaines recherches. D’une façon générale, l’estimation de la valeur de référence repose sur la notion de coût d’opportunité. Le coût d’opportunité d’un bien ou d’un service est mesuré par la valeur qu’il aurait dans sa meilleure utilisation alternative. Autrement dit, il est mesuré par le montant des avantages qu’il aurait apporté s’il n’était pas utilisé par le projet. Cette définition n’est pas toujours applicable simplement. Pour l’économie nationale toutefois, les échanges avec l’extérieur constituent une alternative systématique à la production ou consommation de la plupart des biens et services : si les agents intérieurs ne les produisaient ou ne les obtenaient pas, ils pourraient se tourner vers les marchés internationaux. C’est en cela que les prix internationaux expriment bien des coûts d’opportunité(2). En pratique, l’on retient : ! comme prix de référence du flux considéré son prix de parité, c’est-à-dire le prix de l’alternative possible que constitue le recours à l’importation ou à l’exportation rendu au (ou partant du) même point géographique et sous la même forme ; ➠ En appliquant les prix pratiqués sur les marchés internationaux, on place le projet dans le contexte des échanges internationaux.