L’analyse de l’activité de formateurs des enseignants en salle de cours

Au Québec comme en France, la demande sociale envers l’École est forte et des réformes successives invitent celle-ci à modifier ses pratiques et ses fondements. Parmi ces réformes, citons notamment, au Québec, la Loi sur l’instruction publique de 1997 et la réforme des curricula mise en œuvre depuis 1999, et en France, les lois d’orientation de 1989 et de 2004 (Loi Fillon, issue de la consultation nationale de 2003) ainsi que les programmes de 2002. L’école se transforme : pratique reflexive, professionnalisation du métier d’enseignant, travail en équipe et par projets, autonomie et responsabilités accrues des enseignants, pédagogies différenciées, centration sur les dispositifs et les situations d’apprentissage, cycles d’apprentissage, référentiels de compétences, rapport au savoir, à la loi, intégration… Ces changements suggèrent-ils « un scénario » (Meirieu 1989) pour un métier impossible? «Métier impossible» (Boumard 1992) ou seulement tâche complexe pour tous les acteurs de l’éducation qui exigerait pour être menée à bien un haut niveau de maîtrise? Devant ces exigences et face à la complexité de la tâche d’enseignement, les systèmes de formation sont légitimement interpellés comme un agent potentiel de changement.

Ainsi, aujourd’hui, la formation des enseignants se doit d’être à la fois universitaire et professionnelle et se voit enjointe de développer un haut niveau de compétences. Aussi, depuis plus de 40 ans, l’université au Québec et, depuis plus de 15 ans, les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres en France, se retrouvent à la fois lieu de formation universitaire et professionnelle et doivent chercher un équilibre entre transmission des savoirs théoriques, une mission initiale des universités, et développement de compétences professionnelles à l’enseignement. Cette mission prend place dès la formation initiale et représente un vrai défi pour ces deux institutions de formation si elles veulent contribuer réellement à l’activité enseignante et diffuser des savoirs universitaires et professionnels articulés et reconnus comme identitaires d’un métier.

C’est dans ce contexte et autour de cette question complexe du passage de l’alternance à l’articulation des savoirs en formation que nous mènerons notre travail de recherche, profitant d’une opportunité de travail à l’étranger pour contribuer au débat sur la formation des enseignants. Un engagement personnel universitaire à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) au Québec en maîtrise en éducation pour l’année 2004 dans le cadre d’un congé professionnel obtenu de l’IUFM d’Auvergne où j’exerce en tant que formatrice m’a offert cette opportunité de travail. Le cadre d’une réflexion dans deux contextes contrastés pouvait ainsi me permettre la distanciation nécessaire et l’occasion de lever les implicites « pour que les usages ne deviennent pas des obstacles à l’analyse » (Plaisance, 1999, p. 17).

Car, si aujourd’hui des évolutions existent, indice d’un dialogue nouveau et nécessaire entre les différents savoirs à enseigner, en raison d’une formation visant des compétences, c’est une vieille opposition autour des savoirs théoriques et pratiques dont traite Barbier (1996) qui se réactualise autour de la question des savoirs de la formation par alternance et que l’on retrouve de manière récurrente dans les discours des formés en formation initiale (IUFM 2001). Des malentendus demeurent persistants, ils sont source de malaises et de confusions dans les discours sur la formation, auxquels s’ajoutent les transformations des dispositifs de formation et les concepts évolutifs autour de cette question. Or, nous faisons l’hypothèse qu’une alternance, ou plutôt une articulation réussie des différentes composantes de la formation devrait favoriser le dialogue entre les différents savoirs et modifier les conceptions et les représentations sur les liens « théorie/pratique » au service de la formation.

L’activité de formateurs des enseignants en formation initiale universitaire et professionnelle 

L’exigence d’une formation des enseignants universitaire et professionnelle à l’enseignement représente pour les institutions (université et IUFM) une double mission et un vrai défi à relever si elles veulent contribuer à l’activité enseignante. Perrenoud (1988) explorant ce sujet suggère que si l’on pense que la formation peut influencer certaines pratiques, mais à certaines conditions, et dans certaines limites, alors le travail est d’envergure.

Plusieurs réformes importantes ont balisé la « formation des maîtres » depuis les années 1990; cependant, la volonté actuelle est de former des experts de haut niveau, forts d’autonomie et d’éthique, qui soient capables de se référer dans des savoirs scientifiques et professionnels. Le débat est prometteur car, interroger les formations universitaires sous l’angle des compétences et en fonction de référentiels, ne peut que contribuer à renouveler le curriculum et les démarches de formation (Perrenoud, 1998).

Aujourd’hui la formation ne se limite plus à l’acquisition de savoirs, on parle de développement de compétences et cela nécessite une posture reflexive à acquérir, capable de préparer les enseignants en formation à un développement professionnel et personnel tout au long de leur vie.

Alors, une des questions qui se pose est de savoir si l’enseignant professionnel, praticien réflexif qui utilise les savoirs théoriques pour lire sa pratique, et réciproquement qui utilise son expérience de terrain pour lire la théorie, et qui détient une identité professionnelle forte, symbole d’une articulation réussie entre théorie/pratique, est encore un mythe ou une réalité en construction.

Un contexte de travail en mutation : des acteurs, des missions, des dispositifs

Des formateurs : des compétences à expliciter et à mutualiser

En France, la formation professionnelle des professeurs des écoles (réformée en 2006) dure une année et a lieu dans les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres créés en 1989. Le rapport Bancel (1989) a piloté la création des instituts et la loi Fillon de 2005 a prolongé les orientations initiales en prévoyant une intégration complète de ces établissements autonomes à l’université pour janvier 2008. Le cahier des charges de décembre 2006 invite les IUFM à revisiter leurs dispositifs dans un double objectif : l’entrée à l’université avec la mise en place explicite d’un continuum de formation pour les futurs enseignants et la transformation de cette formation des enseignants selon un référentiel de dix compétences. C’est au niveau licence et par voie de concours que l’Éducation nationale recrute les enseignants et les fait accéder au statut de fonctionnaire. Ensuite, une seconde année de formation, cette fois professionnelle, à l’lUFM (PE2) rassemble tous les lauréats du concours qui deviennent professeurs des écoles stagiaires. Avant son entrée en IUFM, un module préprofessionnel peut être suivi par l’étudiant à l’université et une première année en IUFM, non obligatoire, peut préparer au concours annuel de recrutement du personnel enseignant. Les formateurs en IUFM viennent de niveaux différents : primaire, secondaire et universitaire. Ils sont donc porteurs des compétences issues de ces multiples terrains d’exercice professionnel ainsi que, souvent, d’une pratique de recherche. Ces enseignants d’origines diverses, spécialistes de disciplines multiples, actuellement en poste dans les IUFM, peuvent offrir un potentiel riche et varié et c’est parmi eux que seront issus les formateurs contribuant à notre recherche. Parmi eux, on trouve des formateurs à temps plein ou temps partagé entre l’école et l’IUFM, et des formateurs maîtres-formateurs ayant une classe dans le premier degré et associés pour un tiers de temps de service aux formations professionnelles mises en place dans les IUFM. Ces derniers ont passé un Certificat d’aptitudes aux fonctions de maîtres formateurs.

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Au Québec, la formation initiale à l’enseignement est assurée par les universités depuis la fin des années 60. Elle a traversé des changements importants depuis une dizaine d’années et, aujourd’hui, trois dimensions la structurent : un référentiel par compétences (et, plus généralement, les orientations de la réforme de l’éducation du MEQ, l’objectif de formation d’un praticien réflexif et de formation en partenariat entre les universités et les milieux de pratique. Durant quatre années, ce sont les professeurs d’université qui ont la responsabilité de mettre en œuvre la formation des étudiants qui préparent un brevet d’enseignement (niveau baccalauréat, soit le niveau licence français). Les cours et la supervision des stagiaires sur le terrain sont assurés par des professeurs d’université secondés d’autres enseignants (chargés de cours, superviseurs de stages…). Ceux-ci sont choisis sur la base de leur expérience professionnelle d’enseignement et de leurs diplômes universitaires. Par ailleurs, certains cours, confiés à des enseignants de terrain, invités comme professeurs à l’université pour une courte période (professeurs invités ou en prêts de service), visent à améliorer le lien entre la théorie (du fait du lieu de formation, des diplômes universitaires du professeur) et la pratique (du fait de son expérience de terrain et de la visée pédagogique du cours).

Des évolutions dans les missions de formation des enseignants

Les tâtonnements actuels en formation sont le résultat de missions évolutives en ce qui concerne le type de professionnel de l’enseignement à développer. En effet, ces dernières années, les missions allouées aux instituts de formation et aux universités tentent de rapprocher les savoirs théoriques et d’action de manière différente. Les travaux de catégorisation de Hargreaves (cité dans : Martin, 2003) peuvent nous aider à comprendre le processus d’évolution en cours dans l’enseignement depuis les années 1950. En schématisant, selon le type de professionnalisation que ces missions ont valorisé, quatre périodes distinctes sont mises en évidence : d’un modèle applicationniste dans une structure individuelle, en passant par une demande d’innovation individuelle, puis collaborative pour arriver aujourd’hui à former un praticien réflexif muni de compétences professionnelles :

• l’âge préprofessionnel dominé par la tradition et les routines séculaires;
• l’âge du professionnel autonome, libre d’innover sur les plans pédagogiques et curriculaires (l’âge d’or de la profession);
• l’âge du professionnalisme collectif: dynamisme professionnel positif et cultures de collaboration entre enseignants afin de s’adapter aux exigences et difficultés;
• l’âge post-professionnel et post-bureaucratique : valorisation de relations interprofessionnelles et partenariales (Martin, 2003, p. 4).

Aujourd’hui, les programmes de formation des enseignants sont clairement professionnels puisqu’ils visent à développer des compétences. Cependant, pour les acteurs, ces compétences sont encore difficiles à référencer, leur formulation et leur évaluation restent en partie implicites, surtout en France, ce qui rend leur connexion avec les savoirs disciplinaires encore floue. Pourtant, cette nouvelle approche par compétences a dû et devra contribuer à notre débat sur la liaison théorie/pratique en raison de la réflexion qu’elle provoque sur la complémentarité de différents savoirs en formation dans le développement de celles-ci. Dans cette optique de formation universitaire et professionnelle et dans le but de former un enseignant polyvalent, il s’agit de repenser, non seulement en termes de compilation mais d’articulation, les types de savoirs transmis et leurs formes de transmission (parmi lesquelles le cours occupe une place privilégiée).

Aujourd’hui la question du dialogue entre les savoirs disciplinaires et la formation par compétences est donc posée et elle se traduit dans les programmes de formation d’un enseignant polyvalent. Aussi, ce sont des dispositifs sous tension forte qui se mettent en place pour concilier les deux missions universitaire et professionnelle.

Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Problématique de la recherche : état des lieux et pertinence du sujet
1.1 L’activité de formateurs des enseignants en formation initiale universitaire et professionnelle
1.2 Un contexte de travail en mutation : des acteurs, des missions, des dispositifs
1.2.1 Des formateurs : des compétences à expliciter et à mutualiser
1.2.2 Des évolutions dans les missions de formation des enseignants
1.2.3 Recherche de connexions entre formation universitaire et professionnelle, entre disciplines et formation par compétence
1.3 Des confusions et un malaise qui traversent l’activité des formateurs
1.3.1 Des confusions et un malaise dans le discours des formés et enseignants en exercice
1.3.2 Quelques constats de ce malaise dans les programmes de formation et un modèle de liaisons théorie/pratique : l’alternance?
1.4 Notre question spécifique et nos objectifs de recherche
Chapitre 2 : Cadre conceptuel
2.1 Une formation professionnelle et universitaire
2.2 Liaisons théorie/pratique
2.3 L’activité de formation des formateurs
Chapitre 3 : Méthodologie
3.1 Perspective épistémologique et choix d’approche méthodologique
3.2 Échantillon
3.3 Choix d’une méthode collecte des données
3.4 Un choix : une approche clinique de l’activité permettant un entretien en auto-confrontation
3.5 Collecte et analyse de données
3.6 Place du chercheur au cours de l’entretien
3.7 Démarche d’analyse
Chapitre 4 : Présentation des données, analyse et interprétation des résultats
4.1 Formateur A
4.1.1 Contexte de travail
4.1.2 Analyse de l’activité du formateur A
4.2 Formateur B
4.2.1 Contexte de travail et description du cours
4.2.2 Analyse de l’activité du formateur B
4.3 Formateur C
4.3.1 Contexte de travail
4.3.2 Analyse de l’activité du formateur C
4.4 Formateur D
4.4.1 Contexte de travail
4.4.2 Analyse de l’activité du formateur D
4.5 Synthèse
4.5.1 Motiver les étudiants et stagiaires : un combat, une légitimité à gagner, des obstacles à lever
4.5.2 Mobiliser différents types de savoirs
4.5.3 Adopter différents types de formes pédagogiques en formation d’adulte : des conséquences sur le dialogue théorie/pratique
4.5.4 Analyses de la tradition et de l’innovation : des outils et pratiques de références
4.5.5 Faire lepari du transfert
Conclusion

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