L’ANALYSE DANS LES PHILOSOPHIES DU CONTRAT SOCIAL JEAN-JACQUES ROUSSEAU

L’ANALYSE DANS LES PHILOSOPHIES DU CONTRAT SOCIAL JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Il n’y a pas chez Rousseau de texte méthodologique similaire à la Logique, première partie de De Corpore dans laquelle Hobbes se réclame ouvertement de la méthode analytique, dont il souhaite la généralisation. Affirmer que nulle mention explicite à la démarche analytique n’étaye les écrits rousseauistes serait toutefois inexact. Tout au contraire : les opérations symétriques de diagrèse (analyse) et de syncrèse (synthèse) sont au cœur des Institutions chimiques, œuvre rousseauiste de jeunesse récemment révélée au grand public grâce à la réédition effectuée par les soins de Bruno Bernardi et Bernadette Bensaude-Vincent377. L’histoire de ce texte largement méconnu et longtemps négligé mérite à cet égard d’être rappelée. Probablement rédigé entre 1747 et 1754, ce traité a été retrouvé tardivement par Théophile Dufour, en 1882, pour n’être publié pour la première fois que presque quarante ans plus tard, dans les tomes XII (1918–1919) et XIII (1920–1921) des Annales Jean-Jacques Rousseau. Ladite édition, relativement peu accessible, a été exclusive jusqu’en 1999, année de la réédition des Institutions chimiques au format livre. Puisque le texte est resté dépourvu de tout appareil critique comme d’une préface, qui le situerait tout au moins dans son contexte (historique et/ou biographique), le lecteur a intérêt à se reporter aux quelques textes secondaires qui n’ont pas tardé à pallier ce manque. Dans leur « Rousseau chimiste »378, Bernadette Bensaude-Vincent et Bruno Bernardi se sont d’ailleurs eux-mêmes acquittés de cette tâche, revenant sur certaines péripéties historiques – notamment intellectuelles – néfastes au texte au point de l’exclure des Œuvres complètes rousseauistes de l’édition Pléiade.

Bien juger cet ouvrage – méjugé par le passé à cause de son premier éditeur, Maurice Gautier, qui en aurait orienté la réception ultérieure, selon B. Bensaude-Vincent et B. Bernardi – nécessite la prise en compte du contexte scientifique qui fut le sien. Aux dires de ces auteurs, reprocher à Rousseau la hardiesse (c’est en chimiste amateur et en puisant à des sources diverses qu’il a rédigé son traité) ou le manque d’originalité de son entreprise serait refuser de voir qu’il ne s’écartait en réalité nullement des habitudes scientifiques et éditoriales de l’époque. À bien y réfléchir, il faudrait plutôt lire en ce texte un témoin alors « au cœur de l’actualité chimique379 ». Loin de vouloir faire des Institutions chimiques un chef-d’œuvre, il s’agit pour B. Bensaude-Vincent et B. Bernardi de ménager à cet ouvrage une place au sein des travaux rousseauistes, ainsi que de réévaluer l’ampleur de la culture et – et peut-être surtout – de la pratique scientifiques de l’auteur380. Pour nous, ce texte singulier présentera un intérêt à la fois plus ciblé – en tant que nous nous concentrerons sur la notion d’analyse qu’y développe son auteur – et plus général dans la mesure où nous tenterons d’en tirer une impulsion nouvelle et puissante à l’interprétation d’ensemble de la pensée rousseauiste.

Le fait que la chimie procède par méthode analytique semble à Rousseau à ce point solidement établi qu’on ne pourrait que l’affirmer, non le discuter. Complémentaire à la physique qui étudie la surface des corps (par l’observation de leurs mouvements, de leurs figures et de leurs modifications), la chimie s’intéresse à la « construction interne » de la matière – raison pour laquelle elle doit être analytique : L’objet de la Chymie étant donc la résolution des corps naturels dans les principes matériels dont ils sont composés, la reunion de ceux ci pour le rétablissement des prémiers, et leur combinaison pour la production de nouvelles substances, il s’agit d’abord de trouver, pour parvenir à la connoissance de ces principes quelque moyen d’en rompre l’union dans les corps mixtes et L’analyse est donc d’abord présentée comme un procédé de rupture d’union dans les corps mixtes et composés et de séparation de leurs principes ; elle correspond stricto sensu au premier mouvement du savoir chimique, qui consiste en la résolution des corps et en leur réunion, ainsi qu’en la production de nouvelles substances. L’identification des moyens d’analyse, dont l’auteur exprime ici le besoin, représentera pour nous l’occasion de mieux saisir son concept. De ce point de vue, les pages que Rousseau consacre au feu, l’agent principal de l’analyse, sont particulièrement instructives. Le feu383 est-il propre ? N’ajoute-t-il pas quelque chose au corps qu’il dissout ? Ne lui ôte-t-il rien ?

 

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