Lana Marconi avant Guitry
Lana Marconi est la seule des cinq épouses de Sacha à n’avoir strictement rien révélé de son enfance et de ses parents, ce qui justifie sans doute nos recherches. Les déclarations de son frère Mirel à la presse, les articles des magazines de cinéma consacrés à sa mère l’actrice Mirela Marcovici dont la Bibliothèque nationale conserve les nombreuses photos, deux biographies consacrées à son beau-père le roi Carol de Roumanie nous ont permis d’en savoir davantage. Nous savions que Madame Lysès était, à juste titre, détestée par sa fille. Madame Hiver, pratique, lança Yvonne dans les bras de « Mossieur Guitry ». La mère de Jacqueline Delubac épiait le couple depuis le trottoir d’en face et celle de Geneviève de Séréville était à l’origine, par sa mort, du déséquilibre affectif de de sa fille. En revanche, nous ignorions tout jusqu’à une date récente de Mirela Marcovici, mère de Lana Marconi, actrice de talent et maîtresse du roi Carol de Roumanie pendant toute l’enfance de la cinquième épouse de Sacha Guitry. Dans les mémoires laissées par le couple Guitry, Lana Marconi apparaît, telle Minerve, casquée, guerrière et parfaitement adulte, à 28 ans seulement. L’enfance implique une certaine fragilité souvent révélatrice mais, chez Lana Marconi, cette période est totalement occultée. Elle ne parla jamais ni de sa mère actrice, ni de sa jeunesse.
Fille d’une actrice de cinéma
Née en 1917 à Bucarest, Lana Marconi s’appelait en fait Ecaterina Lana Marcovici. Rappelons qu’elle se nomme Ecaterina dans Toâ, ce qui n’ajoute qu’un « collage » de plus, à un film qui en contient tellement. Elle émigra en France avec sa mère vers 1920. Le Prince Carol de Roumanie, futur roi Carol II, qui n’était pas le père de Lana, vint les y rejoindre de temps en temps et eut, avec Mirela Marcovici, mère de Lana, un fils Mirel, en 1924. Lana vécut donc toute son enfance avec le fils de Carol et fréquenta nécessairement le prince, personnage haut en couleurs, qui vécut avec la mère de Lana une idylle d’une dizaine d’années, pendant toute l’enfance de la petite fille.On ne saurait donc négliger l’influence de ce royal amant qui avait tout pour figurer dans un feuilleton de quatre sous. Il était beau, élégant, intelligent, faible, amoureux et infidèle ! C’était aussi un politicien retors, célèbre pour le renoncement au trône exigé de lui par son père qui ne lui faisait pas confiance, pour le putsch qu’il organisa pour revenir au pouvoir, pour son règne agité qui dura 10 ans, pour son flirt ambigu avec les nazis et son exil final au Portugal où il mourut. L’enfance de Lana fut bercée par les récits des aventures extraordinaires de ce beau-père impossible. Elle vécut donc, un temps, grâce à son beau-père, mais aussi grâce à l’argent gagné au cinéma et au théâtre par sa mère Mirela qui était actrice. Dans son école suisse de Vevey, elle se sentit un peu abandonnée, comme le constate son demi-frère Mirel qui écrit, avec candeur et cruauté, dans ses mémoires : « Ma sœur était jalouse de la préférence que m’accordait notre mère336 ». Lana eut du mal à supporter ce couple mère-fils, si passionné et elle quitta bientôt la maison maternelle. Elle trouva plus tard un emploi modeste d’interprète, à l’âge de 21 ans. Si le beau-père de Lana Marconi était original, sa mère ne l’était pas moins. Mirela fut la belle-mère de Sacha Guitry qui s’occupa de ses obsèques, en 1956,comme il l’avait fait pour Charlotte Lysès. On ne parle jamais de Mirela Marcovici.
Lana Marconi et son époque
Ses rapports relativement étroits avec l’histoire de son temps eurent, semblet-il, une certaine influence sur son comportement dans l’existence. Lana Marconi savait bien que le roi Carol, son beau-père avait été contraint de pactiser avec les nazis. La constitution qu’il avait adoptée en 1938 était d’inspiration nettement mussolinienne et supprimait les partis politiques. Toute allusion à Carol ou à Mirela, maîtresse du roi félon, n’aurait fait qu’aggraver la situation de Guitry à la Libération. C’est sans doute aussi ce qui explique la discrétion absolue des deux femmes à ce sujet. Seul le fils Mirel, assez impécunieux et libéré par la mort de ses deux parents se décida à parler du passé dans un journal en 1955. On imagine la 312 fureur et l’inquiétude de Lana Marconi découvrant ces indiscrètes confessions qui se poursuivirent pendant deux mois, de février à avril 1955. Cette familiarité de Lana avec l’histoire de son temps lui apprit beaucoup. L’épopée haute en couleurs de son beau-père l’avait aguerrie. Les excès de la Libération ne l’impressionnèrent donc pas au point de renoncer à prendre pour compagnon Guitry, ce paria rejeté par le Tout-Paris. l Milena Marco-Vici dans Colomba (J.Hervé, 1920) Le « couple » Mirel et Mirela (Cannes,1953) Ici-Paris (24.2-23. 1955) Elle en avait vu d’autres et les difficultés la stimulaient, comme elle l’explique, lors de sa première apparition en public, dans Le Comédien. « Le coup de sifflet à roulette qui marqua dans une salle entière d’admirateurs, la présence d’un unique détracteur, me donna un aplomb extraordinaire », écrit-elle, « j’étais en scène près de Sacha, lorsque l’incident se produisit. Dès lors, jouer fut, pour moi, un jeu d’enfant343 ». Elle savait se défendre et sa pugnacité, façon Popesco, éclata dans Toâ, où, dit-elle : « Sans cesse, je devais ouvrir et fermer des portes avec violence et donner libre cours à une nature qui réclame volontiers le mouvement et ne déteste pas l’invective 344», ce qui prouve qu’elle se connaissait bien. Elle se montra même 343 Lana MARCONI, op.cit., p.72. 344 Lana MARCONI, ibid., p. 84. 313 parfois très courageuse. La vie avec Guitry n’était pas très facile à la Libération et même après. Un jour de 1950, un trio constitué de Sacha, de son chauffeur Chalifour et d’elle-même fut honteusement arrêté et molesté par d’anciens résistants douteux, à Lyon. Le témoignage du chauffeur est formel : Sacha se laissa faire mais Chalifour et Lana combattirent vaillamment. « Lui, ne bronchait pas » dit Chalifour, « Il n’y avait que moi et Madame Marconi à nous défendre345 ». Lana qui avait été enfermée à Fresnes par les nazis pendant la guerre sans qu’on sache vraiment pourquoi, ulcérée d’être considérée comme une vulgaire collabo, ne fut pas du tout impressionnée. Pour la remercier, Guitry lui écrivit une tendre dédicace sur le programme du film projeté officiellement à Lyon, ce soir-là. (Il s’agissait de Le Comédien) : « Avec mon amour et mon émotion devant ton merveilleux courage !346 » De même, quand elle se promenait sur le Champ de Mars avec Sacha et qu’elle entendait dire autour d’elle : « Tiens, voilà le salaud avec sa salope 347 ! », elle ne bronchait pas. Plus tard, elle comprit parfaitement le personnage de MarieAntoinette que Guitry lui confia par deux fois, car la reine, exilée comme elle, avait connu, comme elle aussi, les aléas de la politique. Lorsqu’on lui disait qu’elle avait été « très bien » dans le rôle de Marie Antoinette, elle répondait avec simplicité : « Ce n’est pas un rôle difficile à jouer. Vous entrez habillée comme une reine, le regard dominant tous les autres personnages. On va poser, à la mère que vous êtes, la question la plus ignoble qui soit au monde. Ensuite de quoi, on vous tranchera un cou que les dentelles ont rendu encore plus délicat. Comment voudriez-vous, avec tout ça, n’être pas bien348 ? »