L’amour inconditionnel dans la littérature
La revue de la littérature existante est limitée par le fait qu’il y a peu d’études sur ce concept en psychologie et en médecine. Elle commence avec Fromm qui est l’un des premiers à l’avoir élaboré, puis elle continue avec quelques autres auteurs.
Selon Fromm. Fromm (1968) définit l’amour comme un art qui demande connaissance et effort. L’amour « consiste en une attitude [ … ] en vertu de laquelle la personne se sent reliée au monde comme un tout» (p. 65). Trop souvent dans notre société, l’amour est orienté vers trouver le « bon objet» d’amour et non sur la« faculté» d’aimer (p. 16). Ainsi, «l’amour consiste essentiellement à donner, non à recevoir » (p. 39). Mais « en donnant véritablement, il ne peut éviter de recevoir ce qui lui est donné en retour» (p. 42), « car le don constitue comme tel une joie exquise» (p. 41-42). L’amour implique, selon lui, 4 composantes : la sollicitude (prendre soin pour favoriser la croissance de l’autre), la responsabilité (vouloir répondre aux besoins d’autrui), le respect (être capable de percevoir et d’accepter l’autre tel qu’il est, unique, en le laissant libre, pour qu’il « puisse croître et s’épanouir à partir de son propre fonds» (p. 45)) et la connaissance (profonde de soi et de l’autre, de façon intime, le plus objectivement possible, tout en sachant que chacun restera une énigme).
Pour Fromm (1968), l’amour répond au problème existentiel de l’angoisse de séparation que l’être humain ressent dès sa naissance lorsqu’il vit de la solitude, puisque l’être humain est un être de relation. Selon lui, « l’amour accompli est une union qui implique la préservation de l’intégrité [et] de l’individualité» (p. 37) de la personne qui aime et de celle qui est aimée. Il permet d’éviter de se sentir isolé en étant uni à l’autre, tout en restant soi-même. L’amour fraternel est celui qui s’étend à tous les êtres humains sans exception, même aux étrangers. Cet amour nécessite de dépasser le superficiel (source des différences individuelles) pour atteindre le noyau (lieu de la fraternité dans ce qu’il y a d’identique à chacun). C’est un « amour entre égaux» (p. 67), puisque la personne aidée est l’égale de l’aidant, car nous aurons tous besoin d’une aide, éventuellement. Selon Fromm, l’amour inconditionnel n’a pas à être mérité et peut se résumer par : « Je suis aimé pour ce que je suis, parce que je suis» (p. 58).
Selon Maslow et Bergner. Maslow mentionne en 2006 que l’amour « permet de s’épanouir, de s’ouvrir, d’abaisser ses défenses» (p. 38) et de se montrer tel qu’on est. Selon Maslow, l’amour devient pur et intense lorsque c’est le bien de l’être aimé qui prime, donc lorsque l’amour devient une finalité en soi. Selon Maslow, l’amour authentique n’envahit pas et n’est pas exigeant; il permet de VOlr l’être aimé globalement, comme un individu unique, dans l’ensemble de sa structure humaine, y compris ses imperfections. Bergner (2000) note que le fait d’être aimé permet d’élargir son potentiel, par une sorte de transcendance qui favorise une transformation de soi.
Selon Kübler-Ross et Mullin. Kübler-Ross, interviewée par Kramer (2005), parle de l’amour inconditionnel comme d’une compassion et d’une compréhension incroyables. Selon elle, le fait d’accepter la personne telle qu’elle est, avec respect et non de la façon qu’on aimerait qu’ elle soit, est également de l’amour inconditionnel. Mullin (2006) défInit l’ amour inconditionnel comme un amour où les soins et l’attention sont absolus et ne sont pas retirés si la personne aimée ne répond pas aux espoirs. Il est également absent de jugement ou de comparaison.
Selon Shamasundar. Shamasundar (2001) décrit l’ amour sur un continuum entre un pôle égocentrique et matérialiste, et de l’autre côté, l’amour idéal. Cet amour idéal correspond à l’oubli de soi, la générosité, l’empathie, l’acceptation inconditionnelle de l’autre et la loyauté. Selon lui, la majorité des êtres humains se situe au milieu de ce continuum et très peu atteignent le pôle de l’amour idéal. Les quatre caractéristiques de cet amour idéal sont qu’il s’agit d’un amour asexué, qui ne dépend pas de la proximité physique, qui favorise le sacrifIce de soi pour l’être aimé et qui est caractérisé par la liberté, la paix, l’absence de marchandage, le don de soi, l’absence de peur et qu’il constitue l’idéal à atteindre.
Selon Hawka. Hawka (1986) a fait une étude qualitative, sous l’angle de la personne qui se sent aimée inconditionnellement. Cette étude décrit trois thèmes principaux. Le premier thème se résume par le fait que les participants qui se sentent aimés inconditionnellement, se sentent acceptés sans condition, comme une personne unique, reconnue et respectée, ce qui leur permet d’expérimenter leur être. Le deuxième thème, soit l’ouverture vers plus de liberté, correspond à la capacité de la personne de débloquer ses potentiels en dépassant les situations difficiles, pour aller au-delà de l’expérience par un processus de création. Le troisième thème est cette sensation de pouvoir sur soi que les participants vivent en ressentant l’amour inconditionnel, ce qui augmente leur confiance en soi et leur courage d’être eux-mêmes et qui débloque une énergie jusque-là insoupçonnée. Ce processus permet de passer d’une existence restreinte et rigide, à une existence plus libre, spontanée et autodéterminée, amenant des relations interpersonnelles beaucoup plus satisfaisantes.
Conditions pour aimer
Pour Fromm (1968), il est possible d’apprendre comment aimer par l’importance et la constance de l’énergie déployée pour acquérir un niveau de maturité suffisant pour épanouir sa personnalité et atteindre « la maîtrise» (p. 19) de l’art d’aimer. L’amour est un acte volontaire et courageux, demandant de la discipline (dans l’ensemble de sa vie), de la concentration (pour éviter de se disperser), de la patience (car cela prendra du temps pour y arriver) et un impérieux désir de maîtriser cet art (en surmontant les résistances du début et en y consacrant une bonne partie de sa vie). Cette expérience personnelle permet à la personne de devenir l’instrument de pratique de cet art, par une attitude réflexive, dans un « état d’ attention flottante» (p. 135), en demeurant sensible à elle-même et à l’autre. L’aptitude à aimer est favorisée par la capacité à rester seul avec soi-même, ce qui est possible grâce à la pratique quotidienne de la méditation. De plus, l’aptitude à se concentrer sur ce que nous faisons dans le moment présent donne une nouvelle dimension à la réalité, « dans le ici et maintenant» (p. 135), ce qui permet d’apprendre à écouter réellement l’autre.
Selon Fromm (1968), la société occidentale ne favorise pas l’art d’aimer, parce que la personne est décentrée d’elle-même par la consommation et des contacts superficiels avec les autres. Il considère que pour être capable d’aimer, il faut surmonter son narcissisme (cette façon de voir la réalité selon notre point de vue). Selon lui, l’objectivité est le « remède au narcissisme » (p. 138), puisqu’elle permet de voir les personnes telles qu’elles sont, en minimisant notre tendance à déformer la réalité de façon subjective. L’aptitude à aimer est aussi reliée au respect de la dignité humaine et s’exprime dans la capacité de percevoir et de croire aux « virtualités» (p. 144) de l’autre, dans tous ses potentiels de croissance. Selon lui, « une attitude aimante » (p. 149) doit se manifester envers chacun, autant avec ses proches qu’au niveau professionnel et social. Il conclut que « ceux qui sont capables d’amour sont forcément des exceptions» (p. 152), puisque « le principe sous-tendant la société capitaliste et le principe de l’ amour » (p. 152) sont incompatibles. Il conclut également que la société aurait avantage à être changée par l’amour, qui « est la seule réponse saine et satisfaisante au problème de l’existence humaine », puisque c’est « un besoin ultime et réel en chaque être humain» (p. 153).
Introduction |