L’aménagement forestier écosystémigue
Puisque les espèces ont eu à survivre dans un paysage façonné par les perturbations naturelles, il est sensé d’aménager la forêt de façon à ce que les attributs des paysages naturels soient conservés (Bergeron et al. 1999; Seymour and Hunter 1999). Ainsi, l’aménagement forestier écosystémique (AFE) semble être une alternative encourageante à cet égard, car il vise à maintenir les processus de 1’écosystème à l’intérieur des limites de variabilité naturelle (Bergeron et al. 2002; Cisse! et al. 1994). En forêt boréale, les caractéristiques du régime des feux peuvent servir de guide pour l’implantation de l’aménagement écosystémique en raison de leur rôle majeur sur la dynamique forestière (Bergeron et al. 2007). Le régime des feux peut être défini en termes de fréquence, de taille et de sévérité (Bergeron et al. 2002). La combinaison de ces différentes caractéristiques fait en sorte qu’il existe un régime de feu particulier pour chaque écosystème ou chaque région. Ce régime de perturbations entraîne une variété d’habitats dans une région ce qui permet de déterminer les paramètres du filtre brut sur lequel le maintien de la biodiversité peut être basé (Seymour and Hunter 1999). Par exemple, pour maintenir la structure du paysage, les connaissances sur la taille, la distribution spatiale et temporelle des aires en régénération créées par les feux peuvent servir de lignes directrices pour le design de chantiers de coupe agglomérées en termes de taille et de dispersion dans le temps et l’espace (Bergeron et al. 2007). Ainsi, les attributs clés des écosystèmes seront probablement mieux conservés dans les paysages aménagés avec une approche écosystémique, mais plusieurs incertitudes demeurent quant à la réponse des espèces face à ce nouveau régime forestier au cours du temps.
Le projet Tembec: vers la mise en œuvre de l’aménagement forestier écosystémigue
L’entreprise forestière Tembec est devenue chef de file en 2002 dans la mise en application d’un projet d’aménagement écosystémique au sein de l’unité d’aménagement forestier (UAF) 085-51 situé dans la région de l’Abitibi et du Norddu Québec. Tembec souhaite adapter cette approche aux contraintes industrielles tout en respectant les enjeux présents sur le territoire et les exigences de la certification forestière de 1 ‘entreprise (Belleau and Lé garé 2008). Le portrait préindustriel du territoire, le régime des perturbations ainsi que la dynamique forestière du territoire ont fait l’objet d’études (Nguyen, 2000; 2002; Gauthier et al., 2004; cités par Belleau and Lé garé 2008) au cours de la première phase du projet. Par la suite, les enjeux et objectifs d’aménagement ont été ciblés en comparant le portrait préindustriel avec celui actuel, ce qui a permis d’établir les stratégies qui permettent de répondre à ces enjeux et objectifs.
Depuis 2005, les normes en vigueur imposent la coupe en mosaïque (CMO) comme modèle de répartition spatiale des interventions de coupe au Québec (Règlement sur les normes d’intervention dans les forêts du domaine de l’état (RN!)). Toutefois, suite aux demandes de dérogation à la CMO, un nouvel objectif de protection et de mise en valeur des ressources du milieu forestier (OPMV 5) prend en considération l’alternative d’un nouveau modèle de répartition spatiale des coupes qui serait mieux adapté à l’écologie de la pessière à mousses (Jetté 2007). Ce modèle prévoit l’agglomération des coupes sur de grandes superficies (30 à 150 km2 ) afin de reproduire l’effet des feux. De plus, les agglomérations de coupes doivent être séparées de 1,5 km (minimum 1 km). La planification à long terme de cette nouvelle stratégie pose plusieurs défis aux aménagistes forestiers et soulève des questionnements à l’égard du maintien de la biodiversité .
La connectivité du paysage
La connectivité des habitats de qualité est considérée comme étant importante pour le mouvement des gènes, des individus, des populations et des espèces à différentes échelles temporelles (Minor and Urban 2008). La connectivité du paysage réfère au degré auquel celui-ci facilite ou empêche le mouvement des orgamsmes entre les parcelles d’habitat (Taylor et al. 1993; Tischendorf and Fahring 2000). Pour prendre des décisions de gestion du territoire, comme par exemple des stratégies d’aménagement forestier, nous devons comprendre la réponse des organismes face à un changement de composition ou de configuration du paysage en terme de potentiel de mouvement (Taylor et al. 1993). Une telle réponse aux caractéristiques et aux patrons du paysage est connue comme étant la connectivité fonctionnelle puisque le processus dépend du comportement de mouvement et de dispersion des organismes (Tischendorf and Fahring 2000; With et al. 1997). Toutefois, l’évaluation directe de la connectivité fonctionnelle demande beaucoup de données et d’expérimentations sur le terrain si on veut représenter le vrai besoin des organismes dans les modèles, car ceux-ci doivent constamment dépenser un coût (e.g. énergie, risque de prédation) dans leurs déplacements (Bélisle 2005; Bélisle and Desrochers 2002; Bélisle et al. 2001). D’une autre part, la connectivité structurelle fait plutôt référence à la liaison des parcelles d’habitat par leur adjacence physique ce qui représente une analyse de patron du paysage (F ali et al. 2007). Pour les espèces à large domaine vital, il est alors plus facile d’évaluer la connectivité structurelle des habitats (Urban and Keitt 2001 ). Somme toute, il existe une relation ambiguë entre les mesures de connectivité fonctionnelle et structurelle (With et al. 1997).
La théorie des graphes est une méthode qui peut permettre de faire le pont adéquatement entre les mesures de connectivité fonctionnelle et structurelle et dans les cas les plus simples requière peu de données au préalable (Calabrese and Fagan 2004; Fall et al. 2007; O’Brien et al. 2006; Wagner and Fortin 2005). Cette théorie a notamment été appliquée pour l’étude de la paruline orangée (Protonotaria citrea) (Bunn et al. 2000), du vison d’Amérique (Mustela vison) (Bunn et al. 2000), de la chouette tachetée (Strix occidentalis) (Sutherland et al. 2007; Urban and Keitt 2001), du caribou forestier (O’Brien et al. 2006), de l’autour des palombes (Accipiter gentilis) (Saura and Pascual-Hortal2007), de la grive des bois (Hylocichla mustelina) (Minor and Urban 2007) et du grand tétras (Tetrao urogallus) (Pascual-Horta! and Saura 2008). Les mesures de connectivité basées sur les graphes peuvent également permettre d’orienter la prise de décision dans le design d’un réseau d’aires protégées (Rayfield et al. 2008; Rothley and Rae 2005).
Avec l’approche de la théorie des graphes, la connectivité structurelle d’un paysage est représentée par un graphe mathématique où des nœuds représentent les parcelles d’habitat et des arêtes linéaires représentent le lien entre les parcelles (Bunn et al. 2000; Urban and Keitt 2001 ). Les paysages sont donc perçus comme un réseau de parcelles d’habitat connectées par les organismes en dispersion (Bunn et al. 2000). En majorité, les études mentionnées précédemment utilisent la distance euclidienne pour établir les liens entre les parcelles d’habitat, ce qui est plutôt approprié pour les espèces spécialistes (O’Brien et al. 2006). Par contre, puisque la matrice peut influencer fortement le déplacement des organismes entre les parcelles d’habitat (Bélisle and Desrochers 2002), la distance effective (mesurée par le coût moindre) est plus appropriée pour refléter la résistance au mouvement des organismes dans les différents milieux de la matrice (surface de coûts) (Fall et al. 2007; O’Brien et al. 2006). Il est donc plus réaliste de mesurer la distance des déplacements en unités de coûts afin de refléter le comportement des organismes (Bélisle 2005). Cet ajout de précision nécessite toutefois plus de données afin de faire connecter les parcelles d’habitat par le chemin le plus court lors de la modélisation. Ce type d’ajout de détails ainsi que la possibilité de référencer spatialement les composantes des graphes a mené aux fondements de la théorie des graphes spatiaux (sensu Fall et al. 2007) et de mettre au point certains concepts.
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