L’aménagement de la vallée du Bouregreg : une préoccupation ancienne
Des propositions antérieures se heurtant au manque de moyens et de portage politique
Depuis plus d’un demi-siècle, six propositions d’aménagement de la vallée de l’oued1 Bouregreg se sont succédées pour la mise en valeur des berges du fleuve au cœur de l’agglomération de Rabat-Salé . En effet, l’intérêt pour les rives du Bouregreg date de l’année 1954 lorsqu’un un arrêté viziriel est défini afin d’établir un plan de sauvegarde du site visant la préservation de la vallée. Ce plan des années 1950 permettra par la suite d’empêcher toutes initiatives d’aménagement pouvant avoir des conséquences graves quand à la dégradation des qualités environnementales et patrimoniales du site. Suite à l’établissement de ce plan, plusieurs propositions ont vu le jour, telles que la proposition « Zevaco » ou encore le « projet national de la jeunesse » en 1966, à l’initiative de la direction de l’aménagement du territoire du ministère de l’intérieur et qui prévoyait la construction d’un lieu dédié au sport, à l’animation et aux loisirs du côté de Rabat. Puis d’autres propositions visant, elles aussi, la création d’espaces sportifs et touristiques ont été formulées mais n’ont jamais été réalisées. Il s’agit notamment du « plan d’aménagement du Bouregreg » proposé en 1972 par la division de l’urbanisme qui prévoyait la création d’une zone d’équipement touristique ainsi que d’une « zone de camping » puis la proposition « Partex », faite en 1983, d’un centre de plaisance à l’embouchure du fleuve. Dix ans plus tard, en 1994, l’architecte français Michel Pinseau présentera un nouveau « plan d’aménagement du Bouregreg » qui, cette fois, englobera un important territoire, de l’embouchure du fleuve jusqu’aux limites de la plaine de l’Oulja4 dont il prévoyait de préserver la « vocation agricole, dans un environnement touristique, culturel, d’animation et de loisir » (Bensmain, 2002). En 1998, l’agence urbaine de Rabat-Salé , nouvelle autorité locale en charge de l’élaboration des documents d’urbanisme réglementaire, réalise un plan d’aménagement de la vallée à partir du plan de référence de l’IAU Île de France dont l’appui technique avait été sollicité. La volonté de l’agence urbaine est alors de lancer une démarche globale d’aménagement de la vallée du Bouregreg afin, avant tout, d’éviter des conséquences d’une forte pression urbaine exercée sur le site depuis la construction du barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah qui, en annihilant les risques majeurs d’inondation dans la vallée, a fait naître la convoitise des promoteurs immobiliers sur le site. Ainsi, ce plan constitue avant tout un ensemble de préconisations et de recommandations essentielles à prendre en compte afin de « garantir un développement respectueux des valeurs paysagères et patrimoniales identitaires » (IAU île de France, 2010) de la vallée du Bouregreg. Selon les documents d’aménagement qui régissent le PAVB, l’ensemble de ces propositions préalables à l’actuel « projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg » à la fois d’initiatives nationale ou locale, n’a jamais réellement bénéficié d’un portage politique assez fort ni de moyens humains et financiers suffisants pour être réalisé.
L’émergence d’un projet royal dans une gestion urbaine locale difficile
Les raisons du non aboutissement des propositions d’aménagement antérieures résultent en partie d’une gestion urbaine difficile au Maroc jusqu’à aujourd’hui. En effet, les méandres administratifs issus notamment d’un découpage électoral de la ville parfois déséquilibré et complexe puis les chevauchements de compétences entre les différents acteurs institutionnels se présentent comme de réels obstacles à une gestion cohérente de la ville. En ce qui concerne le découpage électoral des villes du Maroc, les critères pour la délimitation des circonscriptions sont laissés à l’appréciation exclusive des autorités locales ce qui mène, dans certains cas, à des incohérences importantes dans la délimitation des différentes circonscriptions. De plus, au sein de ces mêmes circonscriptions, les stratégies électorales des candidats se basent davantage sur les bénéfices du clientélisme ou encore sur les survivances du tribalisme, que sur l’établissement d’un réel programme politique assurant une gestion locale effective. L’électorat marocain est d’ailleurs décrit comme « un tissu désagrégé, fluctuant et décousu qui n’observe aucune règle de discipline » (Abbadi, 2005). Ainsi, cette absence de projet politique local (propre à un parti) et l’inconstance des revendications des candidats aux élections à l’échelon local peuvent par la suite constituer une contrainte significative dans l’élaboration de projets urbains à l’échelle de la ville, tels que ceux proposés dans la vallée du Bouregreg. L’efficacité de l’action publique au sein de la ville est encore plus altérée par les chevauchements de compétences dus à l’existence de plusieurs collectivités locales avec plusieurs niveaux de responsabilités au sein d’une même ville : plusieurs communes urbaines, communautés urbaines, préfectures , wilaya et régions qui s’enchevêtrent.Cette superposition des institutions, des responsabilités et des statuts rend difficile la définition d’une stratégie cohérente et concertée sur l’ensemble de la ville et illisible les niveaux de responsabilité et de décision. En 2002, une nouvelle charte communale a été adoptée afin de faciliter la gouvernance urbaine des grandes villes. Celle-ci a en effet instauré le système de conseil communal constitué d’arrondissements afin de remplacer les communes urbaines au niveau des grandes villes (villes de plus de 500 000 habitants) et en abrogeant les communautés urbaines. Cependant, de nombreuses confusions subsistent dans la gestion locale décentralisée, notamment entre les fonctions délibératives des conseils communaux (planification du développement socio-économique de la ville) et les fonctions purement administratives relevant de la responsabilité des services municipaux. Une gestion cohérente de l’ensemble de la ville reste compromise par les chevauchements de compétences au sein d’un système d’acteur diversifié et complexe. En effet, Béatrice Allain-el-Mansouri3 , constate dans son « Profil de Rabat », que « le découpage institutionnel de l’agglomération en plusieurs centres de pouvoir se traduit par une absence de véritable leadership pourtant essentiel à la définition et à l’impulsion d’une vision globale de son développement. » (Allain-el-Mansouri, 2006). Elle ajoute que malgré la réforme de la charte communale en 2002 qui vise l’unité de la ville et la mutualisation des efforts au niveau des grandes municipalités, il subsiste une « multiplicité des acteurs institutionnels dont les compétences peuvent se chevaucher [et qui] complique encore la prise de décision » (Allain-el-Mansouri, 2006) du fait que cette réforme cette réforme ne prévoit, en réalité, rien à l’échelle de l’agglomération. En effet, le développement local des villes de Rabat et Salé subit des blocages en raison d’une superposition des échelles de compétences au niveau à la fois de la région RabatSalé-Zemmour-Zaër dont Rabat est le chef-lieu, les préfectures de Rabat et de Salé, les conseils communaux des communes urbaines de Rabat et Salé, les conseils d’arrondissements composant ces communes urbaines puis les communes rurales. Tout d’abord, les rôles et les prérogatives entre les walis de régions, les gouverneurs des préfectures et les présidents des conseils communaux ne sont pas clairement définis et suscitent un débat important entre les acteurs du développement local. De même, le wali de la région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër est également le gouverneur de la préfecture de Rabat. De plus, les effets de la réforme de 2002 au niveau des grandes villes, comme Rabat et Salé, qui replacent des anciens présidents de communes urbaines en tant que présidents d’arrondissements sous l’autorité du président du conseil communal, suscitent également des débats allant à l’encontre d’un développement local efficace.
Un enjeu phare : redorer l’image de la capitale du royaume
Le projet d’aménagement des rives de l’oued Bouregreg se veut d’une ampleur nationale et de portée symbolique à la demande de sa Majesté le Roi Mohamed VI qui a donné « […] ses hautes instructions pour un aménagement du site exceptionnel de la vallée du Bouregreg, un aménagement qui soit digne de la capital du Royaume, à l’aube d’un nouveau règne et d’un nouveau millénaire. » (Commission royale, 2003). Cette volonté royale se matérialise de manière immédiate au sein de la politique urbaine locale, par la désignation, dès octobre 2001, d’un groupe de travail ou encore d’une commission royale, composée de hauts représentants de l’État, de spécialistes et d’experts de diverses disciplines (ingénieurs, urbanistes, architectes, historiens, bureaux d’études nationaux, économistes, géographes, …). La mobilisation des compétences nationales mais aussi de « professionnels internationaux de haut rang et de cabinets d’architecture, d’urbanisme et d’aménagement de réputation mondiale » (Commission royale, 2003) au sein de cette commission royale s’est rapidement mise en place autour d’une question principale : comment valoriser les attraits touristiques des rives du Bouregreg ? Dès les prémisses du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg, ce groupe d’experts a notamment bénéficié de l’apport de certaines associations, telles que celle de Bouregreg3 spécialement par l’organisation de rencontres et d’une table ronde en 20021 . Elle s’est ensuite clairement impliquée auprès du groupe de travail (commission royale), en participant à l’élaboration d’un état des lieux sur les aspects institutionnel, historique, écologique et urbanistique ainsi qu’aux différentes réflexions sur les vocations futures de la vallée. Le travail mené simultanément par les experts au sein de la commission royale et par l’association Bouregreg – notamment autour d’actions de « sensibilisation » de la population sur le devenir de son environnement quotidien – a permis de développer une vision partagée des composantes essentielles du futur aménagement de la vallée. Cette vue d’ensemble s’est matérialisée en 2003 par l’élaboration du parti d’aménagement global (PAG) établi selon les axes principaux suivants : La sauvegarde écologique de la vallée, La création d’un pôle d’animation en matière de détente, de loisirs et de culture, La continuité historique du site, La création d’une œuvre architecturale nationale à grande portée symbolique L’ouverture vers des activités à rentabilité économique sûre La sauvegarde écologique de la vallée est ici placée en premier plan, le tourisme par l’offre de loisirs et de patrimoine semble devoir servir de support aux investissements « à rentabilité économique sûre ». Par ailleurs, aucune allusion n’est faite quant au devenir des populations de la vallée et de la question sociale en général. Le 12 mai 2004, le projet Bouregreg a été présenté à sa majesté le roi Mohamed VI et en novembre 2005, comme le préconisait le PAG, une société de droit privé bénéficiant des prérogatives de la puissance publique a été désignée comme l’opérateur unique de l’ensemble du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg. Cette société a été créée sous le nom de l’agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg (AAVB). Cette dernière bénéficie donc de « […] pouvoirs, prérogatives et de moyens adéquats pour mener à terme les opérations programmées […]» (Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg, 2003) au sein d’un projet « […] porteur d’une charge symbolique de portée nationale et internationale […] » (Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg, 2003). Les travaux sont ensuite officiellement lancés par le roi le 7 janvier 2006. Ainsi, jusqu’à cette date finale de lancement des travaux, l’initiative royale aura permis de mobiliser rapidement et efficacement une diversité de spécialistes et d’experts au sein d’une entité commune, la commission royale, et autour d’un objectif commun, la concrétisation d’une vision globale des possibilités d’aménagement de la vallée du Bouregreg en vue de la valorisation économiques de ses attraits touristiques.