L’altruisme et le XIX siecle

L’ALTRUISME ET LE XIX SIÈCLE 

CADRE SOCIOHISTORIQUE ET NATURALISME

Le cycle des Rougon-Macquart a comme société de production la Troisième République française (1870); le cadre historique des romans est toutefois l’époque du Second Empire (1852-1870). Ces deux régimes ont été accompagnés d’un lot de nouveautés, d’évènements et de nouvelles doctrines, qui se sont répercutés dans les œuvres d’Émile Zola et qui l’ont mené au naturalisme. La chercheuse Colette Becker décrit ces décennies comme fleurissantes d’« hypothèses et découvertes dans tous les domaines des sciences, médicales, naturelles, physiques, etc. […] » Cette fécondité n’est pas venue seule; elle a aussi amené des déceptions, des guerres et d’importants changements sociaux.

Le Second Empire et la Troisième République

Dans les Rougon-Macquart, les personnages évoluent dans un milieu intense, tant au niveau économique que politique. C’est par une extraordinaire fièvre que l’auteur Georges Bafaro décrit la vie économique du Second Empire, affirmant « qu’en vingt ans, la France change de visage et que la première moitié du siècle appartient à un passé révolu. Les mentalités s’en trouvent nécessairement affectées». Années animées où les affaires comme le chemin de fer et les nouvelles technologies se développent  rapidement. Le Second Empire est une période où les fortunes peuvent se bâtir vite, mais aussi s’écrouler brusquement, Paris devenant la « capitale brillante des grandes affaires, des élégances et des plaisirs ». Mais derrière cette apparence de faste, des scandales éclatent, des révoltes grondent et les sujets de mécontentement à l’égard du régime augmentent. Celui-ci s’écroule après la défaite à Sedan, décrite dans La Débâcle. La Troisième République s’instaure alors, non sans devoir affronter certaines difficultés. Après l’écrasement de la Commune, qui s’est déroulée de mars à mai 1871, le régime républicain se raffermit, « solidement fondé en 1879 ». C’est au sein de ce régime qu’Émile Zola écrit, s’inspirant à la fois du passé et des avancements du siècle. Le dix-neuvième siècle se caractérise par la multiplication des trouvailles scientifiques ainsi que par « […] les applications pratiques qui en sont tirées. L’essor des méthodes mises en œuvre et leur fécondité ouvrent une ère nouvelle, placée sous le signe de la machine, indéfiniment perfectible, et marquée par la conviction que les secrets de l’univers finiront un jour par être percés ». Cette conviction a une importance considérable sur le développement de certaines théories, qui s’appuieront sur la science. Les écrivains y trouvent une « […] méthode, des sujets, une nourriture pour leur imaginaire  ». Mais avec cette place importante occupée par la science et sa popularité grandissante auprès de certains auteurs du dix-neuvième siècle viennent aussi la désillusion et les attaques : on l’accuse de ne pas avoir « satisfait les espoirs  mis en elle […] ». C’est dans cette ambiance et dans ces grands bouleversements que le naturalisme s’instaure.

Le Naturalisme

Bien qu’il soit décrit comme le père du naturalisme, Zola ne s’en est pas attribué la création. Le terme n’est en effet pas nouveau, utilisé au cours des siècles, notamment en peinture. C’est en 1865 que l’auteur reprend le mot, alors qu’il « mène campagne dans des articles de journaux, pour un nouveau roman adapté à l’époque contemporaine ». Cette époque où la science occupe une place importante verra donc le naturalisme prendre de l’ampleur, attirant autant l’approbation que les critiques. Bafaro définit le naturalisme comme « […] la volonté d’observer de façon purement scientifique en vue de les représenter dans une œuvre littéraire, des caractères et des comportements humains, de la même façon qu’un savant naturaliste étudie objectivement une roche, une plante ou un animal ». Par cette prétendue objectivité, le naturalisme se permet d’étayer les plaies, les misères, les vices et les hypocrisies, à la recherche d’une vérité. Zola insiste sur le fait que ce n’est pas une école, mais une méthode, où il n’y a « plus de personnages abstraits dans les œuvres, plus d’inventions mensongères, plus d’absolu, mais des personnages réels, l’histoire vraie de chacun, le relatif de la vie quotidienne ». C’est un champ d’observation, un désir de montrer toute la société, sans se limiter à la seule bourgeoisie.

Revendiquant l’héritage de Stendhal, Balzac, Flaubert et Taine, les naturalistes se veulent les anatomistes « de l’âme et de la chair », disséquant les hommes et leurs comportements pour les comprendre en profondeur, refusant aux foules « les beaux mensonges, les sentiments tout faits, les situations clichées » auxquels les écrivains romantiques et leurs émules les ont habituées. […] Enfin, les naturalistes prétendent s’intéresser à la peinture de tous les milieux sociaux et des personnages moyens dans chacune des classes, dont ils donneront une représentation scientifique, comme s’ils étaient médecins ou juges d’instruction .

On retrouve le roman expérimental, qui sera décrit plus tard, dans ce désir de disséquer les foules. Voulant faire une représentation scientifique, les naturalistes prennent énormément de notes, s’informent, observent et se renseignent à diverses sources. Décrivant les caractères constitutifs du roman naturaliste, Zola mentionne qu’il faut d’abord partir de la prémisse que la nature suffit, qu’il ne faut pas la rogner et que l’œuvre « n’a que le mérite de l’observation exacte, de la pénétration plus ou moins profonde de l’analyse, de l’enchaînement logique des faits ». Ce type d’œuvre en dit pour lui davantage sur la nature de l’homme que celles où tout n’est qu’imagination. L’impersonnalité du roman naturaliste, qui doit se garder de juger et de conclure, est selon lui son second caractère. Il affirme : Le rôle strict d’un savant est d’exposer les faits, d’aller jusqu’au bout de l’analyse, sans se risquer dans la synthèse […] Eh bien le romancier doit également s’en tenir aux faits observés, à l’étude scrupuleuse de la nature, s’il ne veut pas s’égarer dans des conclusions menteuses. Il disparaît donc, il garde pour lui son émotion, il expose simplement ce qu’il a vu.

Ce rôle objectif, idéal du roman naturaliste, est toutefois impossible à tenir et des traces de la pensée de l’auteur sont bien présentes dans ses œuvres. Le naturalisme étant une méthode, tous n’y traitent pas des mêmes sujets sous le même angle, influencés – qu’ils le veuillent ou non – par les idéologies de l’époque auxquelles ils adhérent. Toutefois, cette volonté d’objectivité et d’impersonnalité contribue à rendre les œuvres de Zola particulièrement intéressantes dans le cadre d’une étude de l’altruisme : par sa volonté de n’exposer que des faits, avec neutralité, l’auteur expose des personnages humains, aux réactions crédibles, proches de la réalité qu’il voulait décrire.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE UN L’ALTRUISME ET LE XIX SIECLE
1.1 CADRE SOCIOHISTORIQUE ET NATURALISME
1.1.1 Le Second Empire et la Troisième République
1.1.2 Le Naturalisme
1.2 ZOLA ET LES THÉORIES SCIENTIFIQUES DE SON SIÈCLE
1.2.1 La médecine expérimentale
1.2.2 L’hérédité, la science et l’influence du milieu
1.2.3 Le positivisme d’Auguste Comte
1.2.4 Le pessimisme de Schopenhauer
1.2.5 Darwin et Spencer (le darwinisme social)
1.3 L’ALTRUISME ET L’ÉGOÏSME; ORIGINE ET DÉFINITIONS
1.3.1 Auguste Comte, altruisme, pitié, fraternité et charité
1.3.2 Égoïsme psychologique et La Rochefoucauld
1.3.3 Darwin, Wilson et Sober, l’altruisme évolutionniste
1.3.4 Samuel et Pearl Oliner, les traits altruistes
1.3.5 L’altruisme en psychologie
1.4 RICARD ET BATSON, L’ALTRUISME PSYCHOLOGIQUE
1.4.1 Théorie générale et principales caractéristiques
1.4.2 L’empathie
1.4.3 L’amour altruiste de Ricard
1.5 CRITÈRES RETENUS ET PRÉCISIONS
CHAPITRE DEUX LA JOIE DE VIVRE, L’ALTRUISME DANS LA SOUFFRANCE
2.1 ANALYSE DES PERSONNAGES ALTRUISTES ET ÉGOÏSTES
2.1.1 Personnage à fortes dispositions égoïstes; la mère
2.1.2 Les personnages ambivalents; Lazare, Véronique et le père
2.1.3 Personnage à fortes dispositions altruistes; Pauline
2.2 LES FACTEURS QUI PEUVENT INFLUENCER L’ALTRUISME ET L’ÉGOÏSME
2.2.1 Schopenhauer
2.2.2 L’hérédité et les gènes communs
2.2.3 Le milieu social
2.2.4 Les sentiments amoureux et l’amour des autres
2.2.5 La personnalité et les valeurs
2.2.6 Empathie
2.3. L’AMOUR DE LA VIE ET LA VICTOIRE D’UNE ALTRUISTE
2.4.1. Mise en parallèle de l’évaluation et de l’idéologie
2.4.2 La souffrance, moteur idéologique et les oppositions
2.4.3 Impact des gestes
2.4.4 Les fins des personnages
CHAPITRE TROIS LA TERRE ET LA DÉBÂCLE, UN HOMME ORDINAIRE
3.1 ANALYSE DES PERSONNAGES ALTRUISTES ET ÉGOÏSTES
3.1.1 Personnages à fortes dispositions égoïstes ; Buteau et Chouteau
3.1.2 Personnage à fortes dispositions altruistes ; Jean
3.2 DES FACTEURS INTERRELIÉS
3.2.1 Hérédité, expériences passées et personnalité
3.2.2 Influence des pairs
3.2.3 Fraternité
3.2.4 Le contexte
3.2.5 L’empathie
3.3. IDÉOLOGIE ET SURVIE DU PLUS FORT
3.3.1. Impact des gestes, survie et coopération
3.3.2. Évaluations et traces de subjectivité; Jean, un symbole
3.3.3 Fins des personnages et fins des romans
CONCLUSION

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