L’allocation des pouvoirs dans une fédération
Pouvoirs initiaux au gouvernement fédéral
Supposons d’abord que les pouvoirs environnementaux sont initialement réservés au gouvernement fédéral. Si l’allocation spécifique de ces pouvoirs n’est pas prévue par la constitution, cette situation peut être due au fait que les pouvoirs résiduaires sont réservés au gouvernement fédéral, comme au Canada. Si l’allocation des pouvoirs prévue dans la constitution réserve au gouvernement fédéral le pouvoir de légiférer en matière d’environnement, ce dernier peut avoir la possibilité de déléguer cette responsabilité au niveau politique inférieur. J’explore les raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral pourrait vouloir se priver de la compétence en environnement si celle-ci lui échoit. Pour ce faire, j’ajoute une étape au jeu de la L’allocation des pouvoirs dans une fédération 38 section précédente. Grossman et Helpman (1995) reprennent le modèle d’économie politique employé dans Grossman et Helpman (1994). Dans leur article de 1994, le gouvernement (l’agent commun) choisit une taxe sur les importations de façon à maximiser la somme pondérée du gain de la société et des contributions qui lui sont faites par les lobbys (les principaux). Le choix de la taxe est continu, tout comme celui étudié dans la section précédente de ce mémoire. Dans leur article de 1995, le gouvernement choisit entre le libre-échange et le protectionnisme, qui y sont plutôt décrits comme des choix discrets. J’utiliserai leur approche en l’adaptant au jeu des relations intergouvernementales. Ici, le choix discret se fera entre la délégation des pouvoirs aux gouvernements régionaux (décentralisation) et la conservation de ces pouvoirs par le gouvernement fédéral (centralisation). Soit 𝜔𝑗𝐶 et 𝛺𝐶 les utilités nettes d’équilibre respectives des politiciens locaux de la juridiction 𝑗 et des politiciens fédéraux lorsque la politique environnementale est centralisée. Et soit 𝜔𝑗𝐷 et 𝛺𝐷 les utilités nettes d’équilibre lorsque la politique environnementale est plutôt décentralisée. Un choix de régime 𝑅 ∈ {𝐶,𝐷}, où 𝐶 représente la centralisation et 𝐷 la décentralisation, est un équilibre du jeu d’agence s’il existe un ensemble de contributions {𝛬𝑗𝐶, 𝛬𝑗𝐷} pour chaque juridiction 𝑗 telle que : 1- 𝛬𝑗𝐾 ≥ 0 pour 𝐾 = 𝐶,𝐷; 2- 𝛬𝑗𝐾 ≤ max[0, 𝜃𝑗 −1 (𝜔𝑗𝐾 − 𝜔𝑗𝐿)] pour 𝐾 = 𝐶,𝐷, 𝐿 = 𝐶, 𝐷 et 𝐿 ≠ 𝐾; 3- ∑ 𝛬𝑗𝑅 𝑛 𝑗=1 + 𝜃𝐹 −1𝛺𝑅 ≥ ∑ 𝛬𝑗𝐾 𝑛 𝑗=1 + 𝜃𝐹 −1𝛺𝐾 pour 𝐾 = 𝐶,𝐷; 4- pour chaque juridiction 𝑗, il n’existe pas de contributions 𝛬̂ 𝑗𝐶 ≥ 0 et 𝛬̂ 𝑗𝐷 ≥ 0 ni de régime 𝐾 ∈ {𝐶, 𝐷} tels que : a. 𝛬̂ 𝑗𝐾 + ∑ 𝛬𝑖𝐾 𝑛 𝑖=1 + 𝜃𝐹 −1𝛺𝐾 ≥ 𝛬̂ 𝑗𝑅 + ∑ 𝛬𝑖𝑅 𝑛 𝑖=1 + 𝜃𝐹 −1𝛺𝑅; et b. 𝜔𝑗𝐾 − 𝜃𝑗𝛬̂ 𝑗𝐾 ≥ 𝜔𝑗𝑅 − 𝜃𝑗𝛬̂ 𝑗𝑅. 33 Les conditions 1 et 2 spécifient que pour tout 𝑗, la contribution versée au gouvernement fédéral doit être non négative, mais qu’elle ne doit pas dépasser le gain de cette juridiction advenant que son régime favori soit adopté : la contribution 𝛬𝑗𝐾 est bornée entre 0 et le gain net de la juridiction 𝑗. Les conditions 3 et 4 indiquent que les contributions conduisent le gouvernement fédéral à choisir le régime 𝑅 au lieu de son alternative car ce choix maximise son objectif. Il n’y a pas d’alternative pour aucune juridiction qui permettrait à cette juridiction d’améliorer son gain net, étant données les 33 Ces conditions sont une simple adaptation de la définition de Grossman et Helpman d’un tel équilibre. 39 contributions des autres juridictions et l’optimisation du gouvernement fédéral. Grossman et Helpman identifient deux types génériques d’équilibres pouvant exister pour un ensemble de paramètres donné. L’équilibre sans pression survient lorsque le gouvernement fédéral choisirait le régime d’équilibre même si aucune contribution ne lui était offerte. À l’inverse, un équilibre avec pression caractérise une situation où le gouvernement fédéral tiendrait compte des contributions que les juridictions lui offrent. Résultat : Il existe une position sans pression en soutien au régime 𝑅 si et seulement si 𝜃𝐹 −1 (𝛺𝑅 − 𝛺𝐾) ≥ max [0, max 𝑗∈ℱ 𝜃𝑗 −1 (𝜔𝑗𝐾 − 𝜔𝑗𝑅)]. (3.1) Démonstration : Je suppose que toutes les contributions sont nulles à l’équilibre. En conséquence, le gouvernement fédéral choisit le régime 𝑅 ∈ {𝐶,𝐷} qu’il préfère, c’est-à-dire celui pour lequel 𝛺𝑅 − 𝛺𝐾 ≥ 0, où 𝐾 ≠ 𝑅. Si (3.1) est satisfaite, il n’est profitable pour aucune juridiction d’offrir une contribution assez élevée pour pousser le gouvernement fédéral à changer de régime, étant donnée la contribution nulle de chaque autre juridiction. Pour qu’une telle contribution soit rentable pour une juridiction 𝑗, il faudrait que le gain net de cette juridiction soit positif, et donc que 𝜔𝑗𝐾 − 𝜃𝑗𝛬𝑗𝐾 > 𝜔𝑗𝑅, ce qui est équivalent à 𝛬𝑗𝐾 < 𝜃𝑗 −1 (𝜔𝑗𝐾 − 𝜔𝑗𝑅). Pour que le gouvernement accepte de choisir le régime 𝐾, il faut que son gain soit au moins le même qu’avec le régime 𝑅, et donc que 𝛺𝐾 + 𝜃𝐹𝛬𝑗𝐾 ≥ 𝛺𝑅. De façon équivalente, on doit avoir 𝛬𝑗𝐾 ≥ 𝜃𝐹 (𝛺𝑅 − 𝛺𝐾). Conséquemment, la seule situation où cet échange pourrait survenir est celle où 𝜃𝑗 −1 (𝜔𝑗𝐾 − 𝜔𝑗𝑅) > 𝜃𝐹 (𝛺𝑅 − 𝛺𝐾), ce qui viole (3.1). Ce résultat signifie qu’en présence d’un équilibre sans pression, le gouvernement fédéral préfère le régime 𝑅 à son alternative lorsque le gain qui y est associé est suffisamment élevé. De plus, aucune juridiction préférant le régime alternatif n’est assez perdante sous 𝑅 pour exiger unilatéralement du gouvernement fédéral qu’il choisisse 𝐾. La condition (3.1) est donc suffisante pour un équilibre sans pression en faveur du régime 𝑅. Dans cet équilibre, 𝛬𝑗 = 0 pour tout 𝑗. Il apparait naturel de s’interroger sur la nature de l’équilibre sans pression, si ce dernier devait survenir. Proposition : Un équilibre sans pression supporte toujours le régime constitutionnel de centralisation (𝑅 = 𝐶) si les pouvoirs en question sont initialement centralisés.
Pouvoirs initiaux aux gouvernements régionaux
Dans la plupart des fédérations, les pouvoirs résiduaires sont réservés aux gouvernements infranationaux. Il est également possible qu’une compétence environnementale leur soit réservée dans la constitution. Dans tous les cas, ces derniers peuvent toutefois choisir collectivement de déléguer cette responsabilité. Parfois, un amendement constitutionnel peut être nécessaire. J’observe dans cette sous-section les mécanismes par lesquels un ensemble de gouvernements locaux peuvent choisir de modifier une répartition initiale des pouvoirs. Afin d’apporter de la cohérence dans la structure du modèle, je dois préserver une hypothèse qui a été implicitement posée dans les sections précédentes : les juridictions ne peuvent s’offrir de compensations entre elles. Cette hypothèse, qui peut sembler restrictive, caractérise les jeux d’agence commune basés sur les modèles de Berheim et Whinston (1986) ou Grossman et Helpman (1994). Puisque les gouvernements régionaux ne peuvent s’offrir de contributions, j’utilise un cadre institutionnel plutôt simple pour prédire l’allocation finale des compétences. Dans un article portant sur le choix du niveau de centralisation fiscale dans une fédération, Lockwood (2002) explore deux règles : la majorité simple et l’unanimité. D’autres règles peuvent toutefois exister. Au Canada, la formule générale pour un amendement requiert qu’au moins deux tiers des provinces représentant au moins 50% de la population du pays soient d’accord pour proposer un amendement. 34 Soit 𝜉 ∈ (0, 1] la proportion nécessaire de gouvernements régionaux pour qu’un pouvoir initialement décentralisé soit relégué au gouvernement fédéral. Alors, 𝜉 = 0.5 + 1 𝑛 si la règle pertinente est la majorité simple. Par exemple, si 𝑛 = 10, on aura 𝜉 = 0.6. Il est donc nécessaire qu’au moins 60% des juridictions (ou 6 juridictions sur 10) soient d’accord pour que l’amendement soit adopté. En suivant la même logique, on doit observer 𝜉 = 1 si l’unanimité est exigée pour qu’un amendement soit apporté à la constitution. Au Canada, ce sont sept des dix provinces qui doivent être en accord pour qu’une telle modification soit apportée à l’allocation des pouvoirs.