L’algorithme comme « objet » d’apprentissage en mathématiques

Le cadre de la transposition didactique pour étudier les apports de l’algorithmique à l’enseignement des mathématiques au lycée

Briant (2013) positionne ses recherches sur la place de la pensée algorithmique, au sens de Knuth, relativement à la pensée mathématique, en considérant l’émergence d’une pensée algorithmique lors de la résolution d’un problème issu d’un domaine spécifique des mathématiques : l’algèbre élémentaire, en mettant en place des stratégies de raisonnement et d’approche autour de la construction d’algorithmes implémentables dans un environnement numérique. Ainsi, elle définit une double transposition : de la résolution mathématique au programme informatique (Briant, Bronner, 2015). Elle part du concept de transposition didactique défini par Chevallard (1985) que Balacheff en 1994 a retravaillée en introduisant le concept de transposition informatique qui serait une conséquence des contraintes liées à l’apprentissage de savoirs dans des environnements numériques. Ainsi, le savoir enseigné dans une situation classique d’enseignement est différent du savoir enseigné avec un ordinateur (Briant & Bronner, 2015). Nous avons alors le schéma des Transpositions didactique et informatique proposé par Chevallard (1982) et Balacheff (1994) permettant d’illustrer cette double transposition (fig. 5).
Ainsi, nous avons deux types de contraintes liées à la transposition informatique : les contraintes de la modélisation computable et les contraintes logicielles et matérielles des supports informatiques. Les premières portent sur la représentation et le traitement interne des savoirs dans la machine et les secondes sur la représentation et le traitement au niveau de l’interface, autrement dit ce qui est « visible » pour le sujet (Briant & Bronner, 2015).
Partant de ce constat, les recherches de Briant l’ont conduite à étudier l’intégration récente de l’algorithmique dans l’enseignement des mathématiques au lycée, en particulier dans le domaine de l’algèbre élémentaire et plus précisément la résolution des équations algébriques. Elle reprend ainsi le concept de transposition informatique de Balacheff mais avec une adaptation, tenant compte de la singularité de l’algorithmique (Ibid.). En effet, lorsque des élèves débutants en informatique ont comme consigne de répondre à une tâche de type « concevoir un algorithme implémentable dans un environnement numérique pour résoudre un problème de mathématique », il émerge alors deux transpositions associées à des techniques différentes, justifiées par des technologies relevant du domaine mathématique spécifique, du domaine informatique, (Ibid.) mais aussi […] des deux conjointement (Ibid.). Briant et Bronner schématisent cette double transposition de la résolution d’un problème mathématique dans un domaine spécifique en vue de la construction d’algorithmes pour une résolution informatique (fig. 6).
Ceci permet de caractériser la démarche algorithmique chez l’élève selon Briant. Ainsi, Briant montre comment le détour par une pensée algorithmique peut permettre de développer une pensée algébrique et d’asseoir des concepts algébriques relatifs à la notion d’équation (Ibid.). Pour illustrer cette caractérisation, Briant (2013) propose d’élaborer une ingénierie didactique expérimentée en classe avec des élèves de Seconde.
Tenant compte des travaux menés par Briant et Bronner, nous souhaitons poursuivre l’étude de la démarche algorithmique dans d’autres domaines des mathématiques chez des élèves débutants en informatique, afin d’observer et d’analyser à travers notre cadre théorique les articulations nécessaires entre domaines mathématique et algorithmique sur une tâche relative à un domaine mathématique spécifique.

Présentation des études de recherche faites en psychologie de la programmation

Dans cette section, nous souhaitons présenter certains travaux issus de la recherche sur les difficultés qui ont pu être observées chez les élèves dans le cadre d’activités de types algorithmique et de programmation, en lien avec la conception d’algorithmes et de leurs implémentations dans des environnements numériques.

Difficultés cognitives en lien avec le concept de variables en itération chez les élèves débutants en informatique

En 1985, Samurçay s’intéresse aux problèmes cognitifs des élèves de Seconde relativement aux variables en itération. La méthode consistait à demander aux élèves de compléter des programmes itératifs dans lesquels des instructions manquaient. Les instructions manquantes étaient de trois types : l’initialisation de la variable itérative, une affectation de la variable itérative dans le corps de la boucle et l’état de sortie de la boucle. Des incompréhensions importantes sur la sémantique des variables sont identifiées. Par exemple, en ce qui concerne l’initialisation, certains élèves pensent que la valeur initiale doit nécessairement être entrée par une instruction de lecture. Tandis que d’autres, systématiquement, initialisent les variables à zéro. Ils sont clairement influencés par la préconception de la façon dont un ordinateur fonctionnerait et par des exemples antérieurs d’algorithmes qui n’auraient pas permis de contester ces idées préconçues. Samurçay conclut qu’il faudrait mettre plus d’études de recherche pour comprendre comment les élèves conceptualisent les notions associées à l’itération et la conception de situations didactiques adéquates.

Difficultés de compréhension autour des procédures récursives chez les élèves débutants en informatique

En 1990, Samurçay et Rouchier étudient chez les élèves débutants l’incompréhension en informatique sur les procédures récursives en distinguant deux aspects : l’aspect relationnel et l’aspect procédural. Ils conçoivent ainsi des séances d’enseignement ayant pour but d’aider les élèves à construire un modèle relationnel de récursivité, mettant au défi les modèles de procédure existant déjà chez les élèves. Après plusieurs séances, où les élèves prennent connaissance d’un langage graphique comme celui du LOGO, où il n’est pas fait appel au concept de récursivité, Samurçay et Rouchier proposent une première introduction sur les procédures graphiques permettant aux élèves de distinguer les récursivités de type initiale, centrale et finale, puis de les aider à généraliser les structures récursives en transférant les procédures récursives aux objets numériques pour des tâches générant les séquences. Après observation des élèves, Samurçay et Rouchier concluent qu’une introduction du concept de récursivité est un « détour » non évident du modèle procédural de l’itération déjà existant et un domaine prometteur pour la recherche.

Difficultés de compréhension des différentes représentations d’objets de base dans un langage de programmation chez les élèves débutants en informatique

En 1995, Lagrange considère la façon dont les élèves des classes de Seconde et de Première comprennent les représentations d’objets de base comme les chaines de caractères, les booléens, … dans un langage de programmation. En analysant les erreurs des élèves dans des tâches impliquant des traitements algorithmiques simples sur ces objets, il constate que les malentendus résultent de l’assimilation des objets « ordinaires » et des traitements. Par exemple, lors de la programmation de l’extraction d’une sous-chaîne à l’intérieur d’une chaîne, les élèves oublient souvent d’attribuer le résultat à une variable. La cause de ce fait en est qu’ils ne sont pas nécessairement conscients de la nature fonctionnelle de l’instruction de la sous-chaîne, étant influencé par l’action « ordinaire » orientée du langage. Un autre exemple est que les élèves ne considèrent généralement pas l’affectation à une valeur booléenne, sans comprendre que, dans un langage algorithmique, les « conditions » sont des entités calculables. Des difficultés similaires observées au cours de cette étude sont analysées en relation avec des obstacles analogues à l’accès au symbolisme algébrique au niveau du collège. Ainsi, la programmation d’algorithmes simples impliquant ces objets non numériques semble prometteuse pour surmonter ces obstacles.

Une première tentative de remédiation afin d’aider l’élève débutant en informatique autour d’une introduction d’éléments d’algorithmique et de programmation

Comme nous l’avons vu dans la section 3.2, Nguyen (2005) s’interroge sur une introduction d’éléments d’algorithmique et de programmation dans l’enseignement mathématique du secondaire. En effet, il montre que, d’une part, il existe un lien fondamental entre les mathématiques et l’informatique basée sur l’histoire et la pratique récente de ces deux disciplines et que d’autre part, l’écologie de l’algorithmique et de la programmation dans les classes de l’enseignement secondaire n’est pas évidente. En mettant l’accent sur l’enseignement et l’apprentissage de la structure de boucle et des notions variables informatiques dans les lycées français18, Nguyen propose une unité d’enseignement expérimental afin que les élèves de Seconde puissent s’approprier le concept de structure itérative. Pour cela, il choisit de faire en sorte que les élèves créent des représentations appropriées de cette structure en résolvant des tâches de tabulation de valeurs de polynômes à l’aide d’un calculateur dédié, émulé sur ordinateur et basé sur le modèle de calculateur existant dans l’enseignement secondaire avec la capacité supplémentaire de pouvoir enregistrer l’historique des touches utilisées.
Cet enseignement expérimental est conçu comme une genèse de l’architecture de Von Neumann. Nous rappelons que l’architecture de Von Neumann est un modèle pour un ordinateur utilisant une structure de stockage unique permettant de conserver à la fois les instructions et les données demandées ou produites par le processus de calcul. Elle décompose l’ordinateur en quatre parties distinctes :
• une unité arithmétique et logique (UAL ou ALU en anglais) ou encore unité de traitement ayant pour but d’effectuer les opérations de base ;
• une unité de contrôle ayant pour tâche le « séquençage » des opérations ;
• la mémoire contenant à la fois les données et le programme exécuté par l’unité de programmes et les données en cours de traitement, et la mémoire permanente (dite ROM20) permettant de stocker les programmes et les données de base de la machine ;
• des dispositifs d’entrée-sortie permettant de communiquer avec l’utilisateur.
Ces différents composants sont reliés entre eux par des bus21.
Ainsi, les élèves conçoivent de nouvelles capacités pour le calculateur, en particulier le principe de mémoire effaçable et la répétition contrôlée afin d’effectuer des calculs et des programmes itératifs à travers l’écriture de messages successifs (au sens de programmes) de machines dotées de caractéristiques différentes. Cela permet alors l’émergence de la notion de variables itératives et de traitements chez des élèves débutants en informatique. Dans le cadre de la théorie des situations didactiques, un milieu et une situation fondamentale peuvent alors être proposés pour la construction de la structure itérative.

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