L’ADÉQUATION DE L’APPROCHE HISTORIQUE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ AUX DROITS DE JOUISSANCE À TEMPS PARTAGÉ
Le droit de propriété n’a pas toujours été encadré par la dimension absolue souhaitée par les législateurs de la Révolution française. Quelques traceslaissées dans l’histoire démontrent que la conception de ce droit pouvait être beaucoup plus souple, notamment dans l’Antiquité (§ 1). Mais au-delà de cette période, toute l’histoire du droit de propriété démontre les changements successifs dans la conception de ce droit (§ 2). Il ne s’agit pas d’une notion figée.
Le droit de propriété dans l’Antiquité
Il est nécessaire d’avoir une approche historique du droit de propriété pour savoir s’il est possible de dépasser la définition de ce droit énoncée par l’article 544 du Code civil français. La première remarque portant sur l’assimilation du droit de propriété et des droits de jouissance à temps partagé concerne le rapprochement à la propriété collective. Il est, certes, envisageable de concevoir cet élément comme une piste de réflexion sérieuse, mais il contribue seulement à ouvrir la voie, comme nous le montre l’évolution de ce droit dans l’Antiquité. Le droit attique et le droit romain apportent des informations importantes sur la question qui nous intéresse.
Ainsi, le droit attique accorde une importance conséquente à la propriété commune, plus précisément à la propriété familiale – par conséquent unitaire – en raison de la prédominance du patriarcat. Cette propriété familiale constituait un véritable postulat à cette époque. La propriété était alors transmise à la famille à la mort du père. Le droit attique ne connut la propriété individuelle que vers la fin du VIIème siècle – début du VIème siècle avant J.-C.445. Auparavant, des principes constituaient les fondements du droit de propriété en Attique et en Grèce : la propriété était familiale, héréditaire et inaliénable. Le processus d’individualisation du droit de propriété fut accentué par SOLON446. Puis, fut créée la possibilité de la vente d’une partie de la propriété familiale447. Par la suite, on assiste à la mise en place d’un mécanisme susceptible de représenter l’ancêtre des droits de jouissance à temps partagé. Ainsi, l’appropriation du sol s’effectuait, dans chaque cité grecque, par « un partage par la voie du sort » de lots de propriété attribués à chaque chef de famille, sous la forme de droit de jouissance, puisque la cité demeurait propriétaire du lot. A l’expiration du délai, la famille devait rendre le lot à la cité, afin qu’une nouvelle répartition soit effectuée, puisque ce système d’appropriation évoluait au gré des vagues d’émigration, de conquête ou de colonisation448. Des incertitudes demeurent sur le caractère définitif ou provisoire de ces droits. Néanmoins, les auteurs assimilent la nature juridique de ces droits à un droit de jouissance.
Ainsi, l’instauration d’un droit de jouissance cyclique ne constitue pas une innovation, mais plutôt une résurgence de systèmes juridiques lointains. Bien que cette situation soit contestable, les droits de jouissance à temps partagé sont représentés actuellement par des droits de jouissance, la société de promotion conservant sa qualité de propriétaire.
Le système actuel adopté pour l’exploitation des droits de jouissance à temps partagé semble se rapprocher de l’esprit du droit attique. Le droit grec nous apporte quelque éclairage sur l’évolution du droit de propriété. Si ce dernier a connu, il y a plusieurs siècles de cela, une restriction dans ses attributs, notamment en ce qui concerne la propriété commune, sans pour autant perdre sa nature profonde et par conséquent sa qualification de droit de propriété, ceci constitue manifestement un argument essentiel dans le sens d’une reconnaissance des droits de jouissance à temps partagé comme droit de propriété et légitime cette assise théorique. En effet, dans le cadre de notre démonstration telle que nous la proposons et en considération des caractéristiques des droits de jouissance à temps partagé, la qualification de droit de propriété supposerait une restriction de ses attributs. Nous retrouverons des éléments dans ce sens en droit français, précisément dans la thèse de Madame POURQUIER449.
Il convient, néanmoins, de souligner que cet auteur évoque le droit de propriété dans les lois des Locriens (d’après Aristote [Polit. II, 4,4]), la vente était interdite par les lois des Locriens à moins qu’elle ne fut d’abord permise que dans le cas où la famille se trouvait absolument contrainte de réaliser une partie de son patrimoine, par exemple, lorsqu’elle avait une forte amende à payer ».
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé son acception générale. Elle ne reconnaît pas les droits de jouissance à temps partagé comme un droit de propriété. Toutefois, son raisonnement est utile dans la démonstration du rattachement des droits de jouissance à temps partagé au droit de propriété. Reconnaissant la propriété temporaire, sans perdre sa qualification de droit de propriété, nous transposerons l’application de cette réflexion en matière de droits de jouissance à temps partagé. Ainsi, d’une idée fondée sur la propriété commune (en droit attique et en droit grec), retenue encore aujourd’hui dans le domaine qui nous intéresse, en droit égyptien, les droits de jouissance à temps partagé tendent vers une autonomisation de leur qualification450, sans pour autant conclure à une qualification sui generis, dont l’aboutissement prendrait la forme du droit de propriété.
Les changements des attributs du droit de propriété
Les droits antiques ont une approche fonctionnelle limitée de l’étendue de la propriété. Cette notion se rattache à la notion de propriété relative que l’on retrouve dans l’ancienne Germanie. Cette notion signifie que « deux personnes peuvent être simultanément propriétaires de la même chose, mais avec des prérogatives différentes. Chacune de ces personnes a donc une propriété limitée en vue de la fonction que, par rapport à une personne, cette propriété doit remplir »452.
Par cette conception, on voit apparaître certains types de propriétés temporaires. Aucune ne correspond aux droits de jouissance à temps partagé, mais la propriété temporaire existe. L’exemple le plus approchant serait celui de l’usufruit pratiqué dans l’Egypte hellénistique, dont la conception diffère de celle de notre droit interne : « Dans l’Egypte hellénistique, l’équivalent de l’usufruit moderne conférait peut-être une sorte de propriété à nouveau temporaire, tandis que le nu-propriétaire était plutôt considéré comme un propriétaire futur »453. Selon les Professeurs LEVY et CASTALDO, la superposition de droits se retrouve dans les grandes propriétés. Néanmoins, il ne s’agirait pas de droits identiques comme ceux que l’on propose pour les droits de jouissance à temps partagé. Avec les grandes propriétés, on assiste à ceque connaîtra le droit à l’époque féodale. Dans cette même direction, les tenures apparaissent. Ainsi, la terre des seigneurs est divisée en lots et l’exploitation est réalisée sous la forme de la régie. Toutefois, le tenancier n’acquiert pas une qualité de propriétaire égale à celle du seigneur. Il est inférieur à ce dernier et doit acquitter les redevances. La conception de la propriété diffère selon le droit envisagé. La propriété familiale n’est pas uniformément appliquée. Elle ne constitue pas un préalable nécessaire au passage vers la propriété individuelle.
L’ADÉQUATION DE L’APPROCHE THÉORIQUE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ AUX DROITS DE JOUISSANCE À TEMPS PARTAGÉ
L’analyse historique des droits de jouissance à temps partagé a démontré que l’usus, le fructus et l’abusus constituent les caractéristiques essentielles du droit de propriété. Cependant, ces caractéristiques peuvent subir quelques restrictions, sans dénaturer le droit de propriété qu’elles forment. L’approche théorique du droit de propriété permet d’approfondir l’analyse afin de concevoir un droit de propriété qui comprenne toutes les spécificités des droits de jouissance à temps partagé.
L’assise théorique du droit de propriété démontre qu’au-delà de la dimension de l’article 544 du Code civil, il est possible de se référer à la perpétuité objective (§ 1) et à la propriété temporaire (§ 2). Ces deux derniers éléments permettraient la reconnaissance expresse, en droit français, des droits de jouissance à temps partagécomme droit de propriété.
La qualification de droit de propriété des droits de jouissance à temps partagé par référence à la notion de « perpétuité objective » S’agissant plus précisément des droits de jouissance à temps partagé, Madame POURQUIER464 évacue la question de la nature juridique des droits de jouissance à temps partagé en annonçant le caractère personnel de ces droits.
Aucune référence au droit de propriété n’est dès lors envisageable, ce n’est qu’un droit de jouissance. Néanmoins, ce n’est pas la seule dimension des droits de jouissance à temps partagé. La singularité de ces droits nous pousse à envisager le rattachement au droit de propriété. Ce dernier est appelé à évoluer et à embrasser l’ensemble des situations que la pratique est susceptible de créer.
Ainsi, nous avons démontré que le droit français contenait des droits de propriété différents de celui énoncé à l’article 544 du Code civil. De plus, nous avons envisagé l’hypothèse d’un assouplissement du droit de propriété, sans menacer la nature profonde de ce droit. Cette idée directrice est confortée par Madame POURQUIER. En effet, en se référant à la notion de « perpétuité objective », la propriété temporaire ne dénaturerait pas le droit de propriété, si bien qu’il serait possible de qualifier un droit de droit de propriété, en l’absence de perpétuité et de
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé caractère absolu. Elle structure la propriété en deux éléments : la propriété est à la fois un cadre (le principe) et un canevas (les applications) : « En droit cadre la propriété est en principe perpétuelle, dépourvue de terme extinctif. En droit canevas, la propriété doit s’adapter à l’objet qu’elle protège ; aussi certaines propriétés incorporelles vont-elles avoir un régime différent de la perpétuité »465. La propriété temporaire est reconnue comme droit de propriété, malgré l’absence de perpétuité.
Ainsi, le caractère temporaire ne constitue pas un obstacle à la consécration d’un droit de propriété en matière de droits de jouissance à temps partagé. Ce raisonnement vient légitimer notre réflexion sur la reconnaissance de ces droits comme droit de propriété.
Si la propriété temporaire est appliquée à la fiducie reconnue comme « une exception au principe d’une absence de terme extinctif du droit de propriété »466, la transposition est réalisable dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé, étant donné que la dimension temporelle du droit de propriété a déjà été prise en compte. La temporalité constitue un élément caractéristique des droits de jouissance à temps partagé en tant que droit de propriété.
Une réflexion s’impose par rapport à la notion de perpétuité. En effet, le droit de propriété dure autant que son objet467, en cela on peut parler de perpétuité de la propriété. Toutefois, cela n’empêche pas que la durée de la propriété soit fractionnée, par conséquent temporaire. Ainsi, la propriété de l’objet existe toujours, la perpétuité n’est pas altérée. Néanmoins, chaque titulaire peut décider du terme de son droit sur cet objet. Madame POURQUIER468 émet cependant une réserve concernant la présence d’une pluralité de propriétaires sur un même bien comme par exemple avec l’indivision. L’auteur s’interroge sur le fait de savoir si le caractère temporaire de l’indivision porte atteinte à la perpétuité de la propriété entendue comme perpétuité objective. L’auteur considère l’indivision comme un mode « d’aménagement juridique de l’objet de la propriété. Il s’agit d’une copropriété, ledroit des co-indivisaires est ramené à une quote-part »469. Madame POURQUIER souligne que la notion de perpétuité et de temporalité ne sont pas antinomiques, « En fait, il n’est même pas sûr que l’indivision temporaire soit une atteinte à la perpétuité de la propriété. Dans la propriété indivise, l’objet de la propriété est fragmenté. Mais, comme il a été vu tous les co-indivisaires ont une quote-part sur l’ensemble de la masse des biens. Ils sont déjà propriétaires. Dès lors, leur propriété n’est pas soumise à une condition puisque le partage est un événement dont la réalisation est certaine »470. Dans l’hypothèse d’une indivision conventionnelle, telle qu’elle peut être appliquée dans le cadre des droits de jouissance à temps partagé, la notion de perpétuité n’est pas mise à mal. En effet, le droit de propriété préexiste à l’indivision qui ne représente qu’un aménagement de ce droit : « Au regard de la notion de perpétuité de la propriété, la convention d’indivision établie par les propriétaires indivis ne change rien à la durée du droit. La convention d’indivision réglemente les relations entre les indivisaires, mais ne modifie pas la nature de leur droit de propriété. Il ne s’agit pas ici d’un aménagement contractuel d’une propriété temporaire, comme dans le cas de la renonciation au bénéfice de l’accession immobilière par le propriétaire »471.
L’indivision et les droits de jouissance à temps partagé semblent se rapprocher, mais contrairement à l’opinion de Madame POURQUIER dans le domaine de son analyse, il convient également de rechercher les éventuels liens existant entre les droits de jouissance à temps partagé et la propriété temporaire.