La petite ville,Un milieu adapté aux paradoxes de l’Afrique de l’Ouest
Vers une génération spontanée de centres ruraux ?
Comment isoler le phénomène ?
Le constat de la multiplication des petites villes, basée en partie sur des créations spontanées qui répondent à de nouveaux besoins locaux, n’est pas nouveau ; il figure en bonne place dans l’ouvrage sur les villes du Tiers Monde de M. Santos publié en 1971. Déjà, il s’accompagnait de la définition des «villes locales» : « organismes urbains répondant aux nécessités primaires et immédiates des populations locales » (p. 352). La même année, l’auteur, dans son ouvrage sur Le métier de géographe en pays sous-développés, utilisait également le qualificatif d’«embryonnaire» pour définir le bas des armatures urbaines dans le cadre d’une classification en quatre groupes. Ces villes embryonnaires regroupaient aussi bien des centres coloniaux externes que des « villes naissantes » et des « embryons urbains ». Autrement dit le type fonctionnel des villes locales est hétérogène, s’il peut relever d’une création spontanée liée à la satisfaction du bassin demandeur environnant, il peut aussi correspondre à un ancrage local de centres externes ou de centres qui exploitent par ailleurs une position d’échelle régionale ou interrégionale.
Au Burkina Faso, nombre de petites agglomérations dépassent le seuil des 5 000 habitants au dernier recensement de 1985. Derrière les 13 villes officielles, 120 centres ont en fait acquis une taille urbaine minimale, contre 63 en 1975 . A l’ouest de Tenkodogo, en pays bissa, à la limite du pays mossi, deux localités voisines font partie des nouvelles petites villes. Il s’agit d’un petit centre rural, Niaogho, et d’une place commerciale située sur l’ancienne route de la cola, Beghedo (Faure, 1993). L’élite commerçante de cette dernière est aujourd’hui reconvertie dans le négoce d’une production locale recherchée, l’oignon. Mais les commerçants de Beghedo tendent à intégrer toute la filière de production de cette culture spéculative, ils se font producteurs et entrent en conflit avec la cité voisine de Niaogho et ses élites, détentrices du terroir, mais dépendantes économiquement des commerçants, usuriers à l’occasion. Le conflit s’est étendu à la question politique avec l’enjeu du statut de chef-lieu d’arrondissement que les centres se disputaient, et que chacun a fini par obtenir. On voit avec cet exemple que des genèses différentes n’empêchent pas deux localités d’émerger simultanément et d’être concurrentes en tant que centres locaux dans un contexte agricole dynamique. Le milieu rural peut donc générer des centres locaux, soit par réappropriation de centres externes soit par l’émergence de petites villes à partir du réseau de bourgs. Madagascar, par son histoire urbaine, offre un bon observatoire extérieur à notre aire d’étude. La plupart des centres, y compris à l’échelle locale, sont d’origine extérieure, créés par la monarchie Hova ou plus tard par l’administration coloniale. Cependant dès les années 60, les observateurs notent un enracinement de ce semis de base. R. Gendarme, cité par Santos (1971, p.34), voit se développer « une quarantaine de petites villes très bien adaptées à l’économie rurale prédominante ». P. Le Bourdiec précise en 1971 que les 48 chefs-lieux de district qui n’ont pas été élevés au rang de commune urbaine « prennent racine ». Dans une discussion concernant l’évolution de la fin des années 70 , il estime que le mouvement d’enracinement se poursuit dans le cadre du recul de l’État et que l’on assiste en fait à la mutation de nombreux centres en «villes authentiques». Le phénomène est interprété différemment par G. Rossi (cité par Y. Marguerat, 1982, p. 22) qui parle de désurbanisation en constatant la mort lente de nombreux centres urbains qui redeviennent de «gros villages».
L’adéquation croissante entre le semis de petites villes et les densités rurales
Concernant le cas ivoirien, J.-L. Chaléard et A. Dubresson, utilisent également l’indicateur des densités rurales, à défaut d’études sur la répartition spatiale des revenus, pour conclure que « l’un des ressorts de l’urbanisation ivoirienne est l’osmose entre les dynamismes ruraux et urbains », cela après avoir observé que « le dynamisme démographique et économique du milieu rural forestier bénéficie plus aux villes petites et moyennes (qu’il s’agisse de leur nombre ou de leur croissance) qu’aux grands centres urbains, avec toutefois de fortes disparités internes à l’aire forestière » (1989, p. 280).Au delà des cas de densification récente, de fortes densités rurales correspondent souvent à d’anciennes formations politiques ou d’anciennes aires d’activités commerciales denses, promptes à faire renaître ou entretenir un réseau urbain ancien (Pays mossi du Burkina Faso, yoruba du Nigeria, ashanti du Ghana, haoussa du Niger et du Nigeria, marka du Mali, fon du Bénin), ou à en générer un sans tradition (Pays ibo du Nigeria, bamiléké du Cameroun, mina et ouatchi du Togo). Il peut alors s’agir d’une armature hiérarchisée (Yoruba, Ashanti, Ibo, Haoussa, Fon) ou d’un semis de petites villes d’où émergent une ou plusieurs villes moyennes ou grande (Mossi, Marka, Bamiléké) ou encore d’une nébuleuse de centres élémentaires (Ouatchi, Mina). C’est aussi ce que révèle l’étude prospective dirigée par J.-M. Cour (1994) lorsqu’elle mesure la « tension de marché » (« intensité du signal émis par les villes en direction de l’espace rural »). La cartographie de cet indicateur de la connexion des espaces ruraux au marché indique une forte corrélation avec la densité du peuplement rural : « plus une zone est «exposée» au marché plus sa densité de population est élevée. A l’échelle ouest-africaine, cette relation permet beaucoup mieux d’expliquer les fortes variations de densité de peuplement que les critères agro-écologiques » (Snerch, 1994 ; p. 15)