L’adénome hypophysaire isolé dans le syndrome 3P
(Pheochromocytoma, Paraganglioma, and Pituitary
adenoma)
DISCUSSION
Les mutations dans les gènes MEN1, AIP, CDKN1B et PRKAR1A sont responsables de formes familiales d’adénome hypophysaire. Dans la majorité des adénomes hypophysaires (familiaux ou sporadiques), aucune cause génétique n’est retrouvée. Par exemple, une mutation d’AIP n’est mise en évidence que dans 20% des cas de FIPA (32). En France, selon les recommandations de l’ANPGM (Association Nationale des Praticiens de Génétique Moléculaire, disponible sur https://anpgm.fr), chez les patients avec un adénome hypophysaire, une mutation dans les gènes AIP, MEN1 et CDKN1B est recherchée en cas : (i) de forme familiale, (ii) d’association syndromique ou (iii) dans les macroadénomes hypophysaires isolés et sporadiques survenant avant 30 ans. Le gène PRKAR1A n’est exploré que dans les associations syndromiques évocatrices. Notons que dans notre étude, plusieurs patients de plus de 30 ans avec un adénome hypophysaire isolé et sporadique ont bénéficié d’un dépistage génétique sur demande express des endocrinologues devant une présentation particulièrement agressive ou une résistance aux traitements, caractéristiques des adénomes hypophysaires mutés MEN1 ou AIP (Tableau supplémentaire 1). Récemment, une nouvelle association syndromique impliquant la survenue d’adénomes hypophysaires et de PPGLs a été décrite par Xekouki et nommée « 3PAs ». Cette association est rare avec moins de 100 cas publiés en 2019. Le premier cas de syndrome « 3PAs » avec mutation de SDHx a été rapporté par Lopez-Jiménez en 2008 (20). En faisant une revue de la littérature, nous avons trouvé 6 patients avec un syndrome « 3PAs » dans lequel l’adénome hypophysaire a été diagnostiqué avant le PPGL et 5 patients avec un adénome hypophysaire isolé (Tableau 3 et 4), suggérant une nouvelle porte d’entrée dans les pathologies liées aux mutations dans les gènes SDHx/MAX. Cette situation nous interroge (i) sur l’incidence des mutations de SDHx/MAX chez les patients présentant un adénome hypophysaire isolé, (ii) sur les caractéristiques des patients avec un adénome hypophysaire isolé porteurs de ces mutations et par conséquence (iii) sur le fait de savoir si les gènes SDHx/MAX peuvent être de nouveaux gènes candidats dans les 26 cas de FIPA et (iv) si une analyse génétique des gènes SDHx/MAX est requise dans les cas de FIPA. Dans notre étude, parmi les 263 patients avec un adénome hypophysaire isolé, nous avons mis en évidence 3 variants (probablement) pathogènes dans les gènes SDHx (2 dans SDHA et 1 dans SDHC), ce qui représente une prévalence de mutations de 1.1%. De plus, aucune mutation n’a été retrouvée dans les autres gènes SDHx ou dans MAX. Parmi ces 3 variants, 2 intéressent des cas d’adénomes hypophysaires sporadiques et 1 est survenu chez un patient avec une importante histoire familiale d’adénomes hypophysaires (3 prolactinomes chez ses apparentés) mais aucun ne présente d’antécédents familiaux de PPGL, même après un interrogatoire orienté. Deux patients présentant un syndrome « 3PAs » ont été précédemment exclus de notre étude. Il s’agissait d’une femme avec un macroadénome non fonctionnel et un paragangliome (PGL) à l’âge de 66 ans sans antécédent familial de pathologie endocrinienne et une femme de 72 ans avec un adénome hypophysaire et un phéochromocytome. Le dépistage génétique était négatif dans les 2 cas. Dans notre cohorte, la prévalence des mutations du gène AIP est de 2.7%. Chez les moins de 30 ans, elle atteint 3.9%, ces résultats ayant une bonne corrélation avec ceux de la littérature. En effet, dans la littérature, la prévalence des mutations d’AIP dans les études incluant des patients avec un adénome hypophysaire somatotrope sporadique est comprise entre 1.1% et 3.2% (33-36), et dans les études incluant des patients de moins de 30 ans, elle est comprise entre 2.3% et 11.7% (37-40). Nous avons trouvé 2 patients, ayant moins de 30 ans, avec des variants pathogènes dans MEN1 (Tableau 2). Cette faible prévalence (0.8%) est cohérente avec l’histoire naturelle de la MEN1 dans laquelle l’adénome hypophysaire n’est pas constant et où la première lésion est classiquement l’hyperparathyroïdie primaire (14). Dans la littérature, nous avons retrouvé des prévalences de mutations dans MEN1 chez des patients avec un adénome hypophysaire et des critères d’inclusion similaires entre 0% et 3.4% selon les études (33, 40, 41). A notre connaissance, notre étude est la plus large publiée sur ce sujet. En 2015 (6), Xekouki et al. ont étudié la prévalence des mutations germinales de SDHx chez des patients avec un adénome hypophysaire dans une cohorte de 168 sujets (146 cas sporadiques et 22 cas familiaux). Dans cette étude, la prévalence des mutations 27 de SDHx était de 1.7% (3/168) et ces mutations concernaient uniquement des patients ayant un PPGL avec un contexte familial de PPGL. Aucune mutation n’était retrouvée chez les patients présentant un adénome hypophysaire isolé. Cependant, la cohorte incluait des patients jeunes et une majorité d’adénomes hypophysaires corticotropes (118/168). Nous avons démontré ici la présence de mutations germinales de SDHx/MAX chez des patients avec un adénome hypophysaire isolé sans histoire personnelle ou familiale de PPGL avec une prévalence supérieure à celle attendue dans cette population. Concernant les caractéristiques des patients avec un adénome hypophysaire et une mutation de SDHx/MAX (les 27 cas publiés et les 3 cas de notre cohorte), environ la moitié (16/30) présentait un antécédent familial de PPGL et/ou d’adénome hypophysaire et la moitié (15/30) avait un macroprolactinome, ce qui constitue les 2 principales différences avec la population contrôle d’adénomes hypophysaires sporadiques. De façon surprenante, nous avons montré que l’âge de survenue de l’adénome hypophysaire chez les patients présentant une mutation des gènes SDHx/MAX est significativement plus élevé que chez les patients portant des mutations dans les gènes AIP, MEN1 ou PRKAR1A. Le rôle des gènes SDHx/MAX dans la tumorigénèse des adénomes hypophysaires n’est pas bien connu. En effet, dans la littérature, la perte d’expression du complexe SDH dans le tissu tumoral n’est pas établie chez tous les patients (Tableau 3 et 4). De plus, chez notre patient porteur d’une mutation de SDHC, malgré la présence d’un variant dont la nature pathogène ne fait aucun doute, la recherche de perte d’hétérozygotie est négative et un marquage positif en IHC dans le tissu tumoral est observé. Dans la littérature, parmi les 23 patients porteurs d’un adénome hypophysaire et d’une mutation germinale dans SDHx, l’IHC SDH et/ou la recherche de la perte d’hétérozygotie dans le tissu tumoral ont été réalisées chez 10 patients mais une perte du marquage ou une perte d’hétérozygotie n’ont pas été retrouvées chez 2 d’entres eux. Xekouki et al. ont présenté un modèle murin avec des souris Sdhb+/- (6). A 12 mois, ces souris ont développé une hyperplasie de l’adénohypophyse. L’hyperplasie 28 hypophysaire est classiquement retrouvée dans les adénomes hypophysaires héréditaires notamment dans un modèle murin Aip- à 3 mois et à 12 mois (42) ainsi que dans l’hypophyse humaine avec des mutations germinales de AIP, PRKAR1A et des microduplications de Xq26 (43-45). De plus, dans l’hypophyse de souris Sdhb+/-, une augmentation du nombre de cellules sécrétant la prolactine et la GH a été observée ce qui est en accord avec le phénotype de la majorité des adénomes hypophysaires mutés SDHx/MAX observés chez l’Homme. Les cellules de l’adénohypophyse des souris Sdhb+/- montraient également plusieurs anomalies cellulaires comme des inclusions intranucléaires, des anomalies morphologiques des mitochondries, des altérations de la configuration de la chromatine et un marquage cytoplasmique et nucléaire HIF-a fort, en faveur de l’activation de la voie de la pseudohypoxie dans les tumeurs hypophysaires mutées SDHx (6, 21, 46-48). Chez l’Homme, dans plusieurs adénomes hypophysaires avec un déficit de SDH, un phénotype histologique particulier a été rapporté, caractérisé par la présence de vacuoles intracytoplasmiques (22) (Tableau 3). La nature exacte de ces vacuoles n’est pas encore clairement établie. Elles ne semblent pas être des éléments des mitochondries ou du réticulum endoplasmique (22). Elles pourraient représenter des corps d’autophagies. L’hypothèse sous-jacente pour expliquer leur présence est l’état de pseudohypoxie dans les adénomes hypophysaires mutés SDHx. Cette hypothèse est soutenue par la présence d’une vacuolisation cytoplasmique dans la glande hypophysaire dans l’hypothermie fatale responsable d’un état de pseudohypoxie dans les cellules hypophysaires (49,50) et par la relation entre les corps autophagiques et l’état de pseudohypoxie (51). Comme dans les carcinomes rénaux (52), la vacuolisation du cytoplasme est peut-être un élément histologique caractéristique des adénomes hypophysaires dus à une mutation des gènes SDHx et sa présence pourrait alors guider la réalisation d’une IHC de la protéine SDHB (+/- SDHA) et d’une analyse génétique de SDHx le cas échéant. L’absence de PPGL chez nos patients porteurs d’un variant pathogène ou probablement pathogène des gènes SDHA et SDHC ainsi que dans leurs familles n’est pas surprenante car ces gènes possèdent une pénétrance faible et l’âge de survenue de la maladie est tardif. Dans une large série de PPGLs dues à des mutations de SDHA, la pénétrance des PPGLs a été estimée à 10% à l’âge de 70 29 ans (53) alors que dans d’autres études, selon une approche statistique Bayésienne, E Benn et al. et Maniam et al. (54-55) indiquaient une pénétrance globale respective de 1.7% (IC 95%: 0.8% à 3.8%) et 0.1%-4.9%. Dans cette même étude, E Benn et al. avaient calculé la pénétrance des lésions dues à une mutation de SDHC à 8.3% (IC 95%: 3.5% à 18.5%) (54). Cette pénétrance incomplète explique le nombre important de variants (probablement) pathogènes, de type mutation « perte de fonction » de SDHx/MAX, dans les bases de données de population générale. Dans gnomAD, 311 variants de type « perte de fonction » de SDHx/MAX, sont recensés, représentant une fréquence des cas hétérozygote de 0.3% (https://gnomad.broadinstitute.org/ September 2019). De plus, il n’existe pas de données sur le sur-risque de survenue d’adénome hypophysaire chez les patients mutés SDHx/MAX. Par conséquence, aucune recommandation sur la surveillance hypophysaire chez les porteurs symptomatiques et asymptomatiques de mutations de SDHx/MAX ne peut être donnée. Dans la population des PPGLs, les mutations germinales de SDHx sont retrouvées dans approximativement 15% des cas et dans la moitié des formes familiales. Les mutations de SDHB et SDHD sont les plus communes, les mutations de SDHA et SDHC sont moins fréquentes alors que les mutations de SDHAF2 sont inhabituelles (52). Les données sont également manquantes pour affirmer que les patients mutés SDHx avec un adénome hypophysaire isolé et sans antécédent familial de PPGL, vont vraiment développer un PPGL, compte-tenu de la faible pénétrance de la maladie et la forte prévalence des mutations asymptomatiques dans la population générale. Dans une étude de Hoekstra et al., les mutations non-sens de SDHA étaient retrouvées à une fréquence de 0.5% dans la population saine (56). Particulièrement pour SDHA, une association fortuite entre adénome hypophysaire isolé et variant (probablement) pathogène de SDHA ne peut être exclue.
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