L’addiction aux jeux d’argent
Comprendre l’addiction au jeu
Introduction
Les addictions sans substance ne sont plus considérées comme une simple difficulté passagère et chacun reconnaît que les personnes souffrant de ces pertes de contrôle doivent être aidées, soutenues pour s’inscrire dans une véritable démarche de soins. Cela nécessite que soit proposée une réponse coordonnée et adaptée au profil de chaque joueur. Pour tenter de répondre à cette problématique nous tenterons de mieux comprendre le jeu pathologique avant de l’aborder sous l’angle épidémiologique, enfin nous explorerons les dessous de l’industrie du jeu afin de mieux évaluer les solutions de prévention et de prise en charge des joueurs. Le jeu est une activité de loisir soumise à des règles conventionnelles à laquelle on s’adonne pour se divertir et en retirer du plaisir. Dans sa définition du jeu, Roger Caillois met l’accent sur le caractère libre et gratuit du jeu. Pour lui : « le jeu humain est une activité libre (l’obligation de jouer serait la négation même du jeu), séparée (elle se déroule dans un espace – temps délimité arbitrairement, s’opposant au quotidien), incertaine (son déroulement est imprévisible), improductive (elle porte sa fin en elle-même, elle est gratuite). » (1) Il propose une classification structurelle du jeu selon leur typologie : L’Alea : jeu où le hasard prédomine (ex : pierre feuille ciseaux) L’Agôn : jeu ou la compétition prédomine (ex : match de football) L’Ilinx : jeu où la recherche de vertige prédomine (ex : parachutisme) Le Mimicry : jeu ou l’illusion prédomine (jeux virtuels) Ladouceur nous donne d’autre part une définition des JHA incompatible avec la définition précédente et indique que : « les jeux sont d’argent et de hasard lorsqu’ils impliquent la mise irréversible d’argent sur une issue de jeu déterminée uniquement ou principalement par le hasard. » Bien que les JHA ne constituent qu’une activité récréative pour la majorité de ses adeptes, leur caractère addictogène peut induire une perte de contrôle lorsqu’ils sont pratiqués avec excès. Le concept de jeu pathologique a largement évolué au cours du temps. Les années 1980 ont marqué l’introduction du jeu pathologique dans la troisième édition du Manuel Statistique et Diagnostique des Troubles Mentaux (DSM) pour que le jeu pathologique soit reconnu comme entité nosographique à part entière. Le jeu pathologique figure parmi les « troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs » aux cotés de la kleptomanie et de la pyromanie dans le DSM-III-R (1987) En mai 2013 le jeu pathologique a été requalifié en « troubles liés à une substance et addictifs » dans le DSM-5 officialisant ainsi l’appartenance du jeu pathologique au spectre des addictions. Cette nouvelle définition introduit les notions de souffrance et de durée des troubles jusqu’alors absentes des définitions officielles. En outre, cette définition fait disparaitre la distinction entre abus et dépendance, et défend un concept d’addiction en tant que continuum entre un usage nocif et une dépendance caractérisée. Ainsi, le jeu pathologique est caractérisé en fonction du nombre de critères relevé en trouble d’intensité légère (4 ou 5), modérée (6 ou 7) ou sévère (8 ou 9).
Point historique
D’abord interdits en France, les JHA ont été légalisés progressivement à partir du dernier tiers du XVIIIe siècle avec notamment la création de la Loterie royale. Au XIXe siècle, vont se développer en France les casinos (décret de 1806 qui permit au Préfet de police de délivrer des autorisations dérogatoires pour les stations balnéaires) ; puis au XXe siècle le PMU (Pari Mutuel Urbain en 1931) et la Loterie nationale (en 1933). Ces trois opérateurs de jeux se partagent encore actuellement en France la plus grande part du secteur du jeu : • Il existe 203 casinos en France en 2019. Leur PBJ (produit brut des jeux), soit les mises moins les gains étaient de 2,4 milliards d’euros en 2019. L’essentiel de ce PBJ (83 %) provient de l’activité d’un parc de 23 000 machines à sous dont les casinos ont l’exclusivité. Les visiteurs étaient au nombre de 33,4 millions en 2019. La plupart des casinos français sont détenus par quatre groupes leaders sous contrôle de l’État (ministères de l’intérieur et des finances) et des collectivités locales. • Le PMU (Pari Mutuel Urbain) gère les paris d’argent sur les courses de chevaux en dehors des hippodromes. Le tiercé, créé en 1954, a été suivi d’une augmentation du nombre de courses et d’une diversification des paris (quarté, quinté). Le chiffre d’affaires du PMU (près de 13500 points de vente) était de 9,56 milliards d’euros en 2019 et le nombre de clients était de 6,5 millions. Depuis 2010, le PMU a diversifié son offre en ligne (paris sportifs et jeux comme le poker). • La Française des jeux (FDJ®), successeur de la Loterie nationale en 1976, gère les jeux de tirage (le Loto®, le Keno®), les paris sportifs (le loto foot®), ainsi que les jeux de grattage. Le total des mises enregistrées était de 17,2 milliards d’euros en 2019. L’essentiel de l’activité de la FDJ passe par son réseau de détaillants (35 800 points de vente en 2010). Les mises des joueurs ainsi que leurs dépenses nettes (les mises moins les gains) ont augmenté de façon importante au cours des dernières années, de même que les chiffres d’affaires des opérateurs de jeux. En 2010, la France s’est dotée d’un nouveau cadre légal et réglementaire régulant le secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, ouvrant à la concurrence trois secteurs : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. En 2020 ces secteurs représentaient un total de 3 037 000 de CJA (compte joueurs actifs) pour un PBJ de 578 millions d’euros.
Classification structurelle des JHA
Avant d’aborder les différentes classifications, il convient d’énumérer et de définir en quoi consiste les principaux jeux existants (4) Le jeu de tirage : Jeu de loterie où le joueur en misant une somme d’argent essaie de trouver les numéros gagnants qui sont tirés au hasard. Pour cela, le joueur coche/sélectionne dans une grille un ou plusieurs numéros. La FDJ détient le monopole légal des jeux de tirage en France dans le réseau physique et en ligne (ex : Loto, Euromillion). Elle propose également dans certains points de vente un jeu de tirage à fréquence élevée (Amigo®) Le jeu de grattage : Jeu de loterie où le joueur achète un ticket qui contient une ou plusieurs cases à gratter pour découvrir s’il a gagné. La FDJ détient le monopole légal des jeux de grattage en France dans le réseau physique et en ligne (ex : Cash, Solitaire, Morpion, Bingo). Le pari hippique : Ce jeu consiste à parier de l’argent sur l’issue d’une course hippique. Le PMU a le monopole sur les paris hippiques hors Internet (ex : Quinté+, Le Tiercé) ; la prise de paris se fait alors dans les points de vente du PMU (ainsi que dans les hippodromes). Des opérateurs autres que le PMU ont obtenu des agréments pour proposer ce type de paris sur Internet. Le pari sportif : Ce jeu consiste à parier de l’argent sur l’issue d’une rencontre sportive (ex : préciser le score final, choisir un gagnant). La FDJ a le monopole sur les paris sportifs hors internet (ex : Loto Foot) ; la prise de paris se fait alors dans les points de vente de la FDJ. Des opérateurs autres que la FDJ ont obtenu des agréments pour proposer ce type de paris sur Internet. Le poker : Jeu de cartes qui se pratique à plusieurs joueurs qui misent de l’argent. Le but du jeu est de remporter les jetons des adversaires en constituant la meilleure combinaison de cinq cartes. Il comprend de nombreuses variantes (No limit Hold’em, Omaha) et se joue sous plusieurs formes : le tournoi (programmé à l’avance), le « sit and go » (mini tournoi sur une table quand le nombre de joueurs requis est atteint) et le « cash-game » (possibilité de quitter la table de jeu à tout moment). Il existe depuis 2010 une offre légale de poker sur Internet. Hors internet, les casinos (ou cercles de jeu) ont le monopole légal du poker avec enjeux financiers. 15 La machine à sous : Le joueur doit insérer de l’argent pour lancer une partie qui est généralement très rapide et très simple à comprendre. Les casinos ont le monopole de la gestion des machines à sous. L’offre de ce type de jeu n’est pas autorisée sur Internet. Les autres jeux de casino : En dehors des machines à sous et du poker, les casinos gèrent d’autres jeux tels que : la roulette, le craps, le black jack et autres jeux de cartes, le baccara et autres jeux de dés. L’offre de ce type de jeu n’est pas autorisée sur Internet. Les autres jeux de cartes : D’autres jeux peuvent être pratiqués avec mises et gains (non autorisés par la loi), impliquant au moins partiellement une part de hasard : des jeux de cartes, des jeux de société ou de stratégie, des jeux d’adresse tels que le billard, les fléchettes, la pétanque. D’après Griffiths et Auer (5) ce sont les caractéristiques structurelles des jeux plutôt que le type de jeu en lui-même qui sont importantes à prendre en compte pour l’étude des problèmes de jeu. Ainsi il parait judicieux d’établir une classification des jeux en fonction de certaines caractéristiques structurelles plutôt que d’étudier le potentiel addictif de chaque jeu individuellement.
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