Les adolescents délinquants en France et aux États-Unis
Sur le territoire montréalais, la surreprésentation des jeunes ISSUS de l’ immigration mis sous garde en vertu de la LSJP A et hébergés en CR montre une tendance différente de celle qui est observée ailleurs dans le monde. En France, par exemple, Roché (2001) a réalisé une étude auprès de jeunes âgés de 10 à 17 ans à partir de l’ensemble des arrestations pour des délits. La moitié des adolescents dont les deux parents sont nés en France a commis l’ensemble des délits, 20 % l’ont été par des jeunes d’ origine mixte, c’ est-à-dire des jeunes dont l’un des parents est originaire de France et l’autre est d’ origine étrangère et, enfm, 32 % ont été perpétrés par des jeunes dont les deux parents sont nés hors de France. Les types de délits commis permettent toutefois de constater que les résultats diffèrent. En effet, les jeunes d’ origine nord-africaine sont surreprésentés seulement parmi les jeunes arrêtés pour des délits majeurs. Les crimes majeurs comprennent, entre autres, le vol de voiture, le cambriolage, l’ incendie volontaire et l’agression physique causant des lésions.
Les jeunes de cette origine commettent également des délits de manière plus fréquente. Les données ne montrent pas de surreprésentation des jeunes issus de l’ immigration pour ce qui est des crimes chez les adolescents de manière générale, mais plutôt une dominance des jeunes d’ origine nord-africaine (Roché, 2001). Aux États-Unis, ce sont plutôt les jeunes de race noire qui sont surreprésentés parmi les jeunes âgés de 12 à 17 ans, arrêtés pour avoir commis des crimes violents (p. ex. meurtres et viols) et contre la propriété (vol de véhicule et autres vols) (Bureau of Justice Statistics, 2012). Les données américaines tiennent compte de la délinquance selon la race et non de la génération d’immigration comme les données françaises ou montréalaises. Les jeunes de race noire représentent 52 % des jeunes arrêtés pour des délits alors qu’ ils correspondent à 17 % de la population des jeunes âgés de 10 à 17 ans. En ce qui a trait aux autres origines, 46 % des jeunes délinquants sont de race blanche,
1 % d’origine asiatique et 1 % d’origine américano-indienne. Chez l’ ensemble des Jeunes âgés de 10 à 17 ans, 76 % sont de race blanche, 5 % sont Asiatiques ou proviennent des Îles du Pacifique et 2 % sont d’ origine américano-indienne (Puzzanchera, 2014). Les jeunes issus de l’ immigration, à l’ exception des jeunes de race noire, ne sont donc pas fortement représentés parmi les jeunes délinquants américains. Selon les statistiques, certains jeunes, dont ceux de race noire aux États-Unis, semblent plus à risque d’adopter des comportements délinquants. Il se peut que ces jeunes soient confrontés à une discrimination par la police en raison de leurs origines culturelles (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [CDPDJ], 2016). Cette discrimination les amène à être davantage surveillés et arrêtés que les autres jeunes. Bien que le lien entre l’ ethnie et le risque de délinquance ne soit pas l’objet du présent mémoire, ces données illustrent la discrimination pouvant être vécue par les jeunes issus de l’immigration, et ce, malgré les différences entre les échantillons. Entre autres, l’étude de Roché (2001) porte sur des jeunes à partir de 10 ans alors que les données montréalaises et américaines impliquent des jeunes à partir de 12 ans. Ainsi, il semble exister un lien entre l’immigration et la délinquance non seulement pour les jeunes montréalais, mais aussi pour les jeunes américains et français. Les données de Roché (2001) et de Jimenez (2015) mesurent la génération d’immigration, une variable qui permet d’apporter des nuances par rapport aux données présentées précédemment.
La génération d’immigration des jeunes délinquants
Malgré une apparente surreprésentation des jeunes issus de l’ immigration parmi les adolescents contrevenants, que ce soit à Montréal ou ailleurs dans le monde, la délinquance de ces derniers varie selon leur génération. Plusieurs études affirment que les jeunes de première génération sont moins délinquants que les jeunes de deuxième génération (Berry, Phinney, Sam, & Vedder, 2006; Hamilton et al. , 2009; Morenoff & Astor, 2006; Slonim-Nevo & Sharaga, 2000). Entre autres, les jeunes de deuxième génération sont plus à risque d’ adopter des comportements délinquants contre la propriété (p. ex. faire un graffiti, commettre un vol) (Hamilton et al., 2009; Powell, Perreira, & Mullan Harris, 2010) et contre la personne (p. ex. injurier gravement, menacer avec un couteau ou un fusil) que les jeunes de première génération (Bui, 2009). La délinquance chez les jeunes de deuxième génération est semblable à celle des jeunes d’ origine québécoise (Centre national de prévention du crime [CNPC] , 2012). Contrairement à ces statistiques, des auteurs d’une étude suisse affirment que les jeunes immigrants sont plus délinquants, en moyenne, que les jeunes non immigrants (Svensson, Burk, Stattin, & Kerr, 2012), une perception qui domine la littérature des dernières décennies (Morenoff & Astor, 2006; Sellin, 1938).
Les statistiques semblent illustrer que ce n’ est pas tant le fait d’avoir vécu l’immigration qui explique le lien entre celle-ci et la délinquance. Si la délinquance était seulement attribuable à l’expérience migratoire, les jeunes de première génération seraient plus délinquants qne ceux nés au pays, que ce soit au Québec ou ailleurs. Les statistiques illustrées précédemment ne permettent pas d’expliquer les raIsons pour lesquelles les jeunes de race noire sont surreprésentés parmi les jeunes contrevenants aux États-Unis ni pour quels motifs les jeunes d’ origine nord-africaine le sont en France. Par ailleurs, les données d’Hamilton et al. (2009) suggèrent que les jeunes issus de l’immigration devraient être moins présents ou dans une proportion semblable aux jeunes québécois dans les CR. En effet, plus le jeune est attaché à sa culture d’ origine et engagé au sein de cette dernière, moins il est à risque d’adopter des comportements délinquants. Ainsi, les jeunes de première génération sont généralement moins délinquants en raison de leur attachement envers leur culture d’origine et les jeunes de deuxième génération ont tendance à être plus délinquants en raison de la nécessité de trouver leur place entre leur culture d’ origine et la culture d’accueil (Le & Stockdale, 2008). Or les jeunes issus de l’immigration sont surreprésentés au sein des CR à Montréal, même ceux de première génération. La littérature permet de comprendre certains facteurs qui expliquent la délinquance des adolescents issus de l’ immigration, tels que ceux présentés ci-dessous.
L’influence de l’acculturation sur l’adoption de comportements délinquants par le jeune. Chez les adolescents immigrants, la nécessité de transiger entre les exigences de leurs parents et la volonté de leur groupe de pairs est associée avec deux cultures qui entrent en contact. Cela constitue le processus d’acculturation qui correspond au phénomène provoqué par le contact continu entre deux groupes provenant de cultures différentes. Celui-ci peut entraîner des changements subséquents dans les patrons culturels chez la personne immigrante ou chez le membre de la société d’accueil (Redfield, Linton, & Herskovits, 1936). Durant l’ adolescence, la recherche d’ équilibre, par les jeunes iSSUS de l’immigration, entre le maintien de leur culture d’origine et l’ adoption de la culture d’accueil peut être entravée par des pressions exercées par la famille ou les amis (Boutakidis, Guerra, & Soriano, 2006). Par exemple, les parents provenant de certaines cultures peuvent inciter leur jeune à maintenir des principes religieux ou culturels comme l’imposition de la chasteté (p. ex. interdiction d’avoir des relations amoureuses avant le mariage) alors que ses amis l’ encouragent à vouloir bénéficier d’une plus grande liberté et à avoir des relations amoureuses.
Afin de s’adapter à son exposition à ces deux systèmes de valeurs, l’adolescent peut se comporter d’une manière différente à la maison et avec ses amis. Il peut même devoir mentir à son entourage afm d’ éviter de blesser ses amis ou ses parents ou de ou de manquer de respect à leur égard (Pelletier, 2010). Ces efforts peuvent amener le jeune à vivre un conflit culturel (Benet-Martinez & Haritatos, 2005). Le jeune peut alors vivre de la culpabilité et du stress en raison de l’incertitude quant à la manière de vivre dans une nouvelle société. Cela peut engendrer, par la suite, des sentiments dépressifs (Berry, Portinga, Segall, & Dasen, 1992; CohenÉmerique, 2011; Legault & Fronteau, 2008; Paquet, 2011). Le conflit culturel vécu peut amener le jeune à avoir des problèmes d’ adaptation comme la consommation de drogues, des relations sexuelles à un âge précoce (OMS, 2016), des troubles de comportement, des problèmes de santé mentale et des comportements délinquants (OMS, 2016; Legault & Fronteau, 2008).
Le manque de connaissances au sujet du lien entre l’acculturation chez les jeunes issus de l’immigration et la délinquance D’un point de vue scientifique, plusieurs des recherches ayant étudié le lien entre l’ acculturation et la délinquance utilisent une méthode d’analyse quantitative des données, que ce soit au Canada ou ailleurs. Elles sont d’ origines diverses : canadienne (Crane, Ngai, Larson, & Hafen, 2005; Wong, 1997, 1999; Wong & Brandon, 2001), américaine (Le & Stockdale, 2005, 2008; Lustig & Sung, 2013; Samaniego & Gonzales, 1999) suédoise (Svensson et al., 2012) et suisse (Vazsonyi & Killias, 2001). Peu d’études utilisent une méthode qualitative d’ analyse des données parmi celles recensées. Récemment, une recherche montréalaise conduite par Jimenez (2015) a permis d’explorer le lien entre le processus d’ acculturation des membres de la famille, l’ écart d’acculturation et l’adoption de comportements délinquants par le jeune. Cette étude se base sur les représentations et les expériences de jeunes, de parents et d’ informateurs clés2 . Malgré la pertinence de la compréhension de cette problématique, la littérature ne permet généralement pas de comprendre comment se vit le processus d’acculturation des jeunes contrevenants issus de l’immigration et de leur famille selon leur propre expérience.
D’un point de vue clinique, certains intervenants du CJM-IU estiment entretenir des préjugés envers les jeunes contrevenants et leurs parents, méconnaître leur réalité et manquer de formation afin de bien intervenir auprès d’eux (Jimenez, 2015). La plupart ne mettent pas en application l’article 3 c) (iv) de la LSJPA qui vise la prise en compte, par l’intervenant, « des différences ethniques, culturelles et linguistiques» (Jimenez, 2015). Les études actuelles sur l’intervention multiculturelle s’intéressent peu à l’ intervention en CR au Canada ou ailleurs. Les études portent, entre autres, sur l’évaluation des besoins des jeunes issus de l’immigration en santé mentale (Cauffinan & Grisso, 2005; Colins et al., 2015) et les interventions offertes aux jeunes à la suite de leur réintégration dans leur communauté après un séjour dans un CR (Spencer & Jones- Walker, 2004). Le manque de connaissances au sujet d’un processus d’intervention tenant compte du processus d’ acculturation des jeunes et de leur famille peut nuire à la sensibilité des intervenants et à l’ adaptation de leur intervention auprès d’une clientèle immigrante. En vue de pallier ce manque, le présent mémoire vise à comprendre le processus d’ acculturation vécu par les jeunes contrevenants issus de l’immigration et leurs familles. Ultimement, des pistes seront fournies aux intervenants afin qu’ils puissent adapter leur intervention à ‘la réalité des Jeunes contrevenants ISSUS de l’immigration et à celle de leur famille.
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