L’activité de pêche crevettière traditionnelle et son impact sur le développement rural

L’activité de pêche crevettière traditionnelle et son impact sur le développement rural

Principales caractéristiques de la pêche crevettière traditionnelle

La pêche crevettière traditionnelle se caractérise généralement par les outils utilisés pour sa pratique et les techniques de capture appliquées.
A part ceux qui pratiquent la pêche à pieds, les pêcheurs traditionnels utilisent comme moyen de déplacement les types d’embarcation non motorisées (pirogue à balancier fabriquée en bois) qui leur permettent, avec des vents favorables, d’aller travailler jusqu’à une dizaine de kilomètres de la côte. Les outils de pêche utilisés sont composés essentiellement de filets (maillants et sennes), de palangrotte, de tulle moustiquaire et de casier. La pêche à main nue ou celle à l’aide d’un harpon se pratique toujours dans certains endroits. Pour le site d’Ankazomborona, les deux outils les plus utilisés pour la pêche aux crevettes sont les barrages côtiers connus sous le nom de valakira et le filet.
Implanté dans la zone des marées à l’entrée des chenaux, le valakira vise surtout les crevettes qui viennent se nourrir dans la mangrove. La technique pour son utilisation est très simple : il suffit de l’installer dans la mer et de passer pendant les heures de basse marée pour récupérer les crevettes et poissons piégés. Par son maillage extrêmement fin le valakira est caractérisé par sa très faible sélectivité : des crevettes de très jeune âge y sont piégées, ce qui fait que ce type d’outil constitue une véritable menace pour la pérennisation de l’activité.

Les forces sociopolitiques en place

L’Etat (fanjakana) est représenté par le Comité local de Sécurité (CLS). Cette structure s’occupe généralement de tout ce qui est administratif : délivrance des papiers de toute sorte (certificats de résidence par exemple), visa des contrats de vente de terre et rarement d’outils de pêche, visa des plaintes, récupération de la ristourne, recensement démographique et établissement de la liste électorale, etc. les moyens matériels et financiers entre les mains de cette structure étatique sont extrêmement limités sinon inexistants. Le bâtiment où siège le comité appartient au PCLS ; ce bureau n’abrite absolument aucun matériel et lors des réunions, les participants s’assoient par terre ou – quant il s’agit d’une réunion d’une importance particulière (visite du maire ou des responsables des sociétés de pêche et de collecte, etc) – il faut aller chercher des sièges chez les habitants. Tous les papiers officiels sont écrits manuellement faute de machine à écrire. Le CLS ne voit jamais la couleur de la ristourne que les grandes sociétés de pêche et de collecte versent annuellement dans les caisses de l’Etat à Diégo. Il doit se contenter, pour fonctionner, des patentes que les collecteurs du village payent très rarement. Le CLS dispose d’une police dont le respect par la population reste pour le moment à espérer. Outre ces problèmes de moyens, cette structure se caractérise aussi par sa faible capacité de gestion des conflits au village. La médiation de ces derniers est confiée plutôt au Rangahy.

Le Rangahy représente les autorités traditionnelles au village. Cette personne, habitée par un tromba, est le représentant du Mpanjaka de Beramanja (chef-lieu de la commune) au village. Il a pour principales missions : la médiation des conflits sociaux du village, de diriger les cérémonies de prière (jôrô) et de veiller à ce que les fady du village soient respectés par tous. Le rangahy avoue être incapable d’accomplir cette dernière mission parce que les migrants sont trop nombreux et ce sont surtout ceux-là qui transgressent les fady : ils touchent aux lémuriens alors que certains parmi ceux-ci sont habités par les esprits des ancêtres16 du village, ils insultent les raza des gens, etc. Ce rangahy insiste sur le fait que la diminution de la ressource constatée actuellement par les divers acteurs trouve en partie son explication au non-respect des fady. Il doit donc organiser à chaque début et fin de campagne une cérémonie de jôrô, la première pour demander aux Zanahary une très bonne campagne (produits abondants et pas trop de vents violents varatraza) et la seconde pour les remercier.

Les principaux problèmes liés à l’activité

Les pêcheurs constatent depuis une dizaine d’années une diminution progressive des stocks crevettiers de la baie d’Ambaro. Les grandes sociétés industrielles de pêche travaillant dans la zone (UNIMA, Pêcheries du Melaky…) font aussi le même constat en l’expliquant premièrement par la diminution de la quantité des pluies tombées dans la zone : « …la salinité trop forte des eaux aurait porté préjudice à la reproduction des crevettes… » explique le Directeur d’exploitation des Pêcheries de Nosy-Be UNIMA, M. Yves BOURDAIS. Deuxièmement, les responsables de ces sociétés industrielles insistent sur le fait que cette diminution est due en partie à l’augmentation en nombre des exploitants traditionnels. Ceux-ci ne respectent pas en plus, toujours selon ces responsables, la période de fermeture de pêche (repos biologique).

Répondant à ces accusations, les pêcheurs traditionnels expliquent cette diminution de la ressource crevettière par la multiplication en nombre des bateaux industriels travaillant dans la zone. « …Le seul groupe UNIMA utilise pas moins de 5 bateaux dans cette zone. En plus, ces bateaux travaillent 24h sur 24… », explique le président de l’association des pêcheurs d’Ankazomborona, Monsieur MARTIN. Le Programme National de Recherche Crevettière ne partage pas cette hypothèse selon laquelle le stock crevettier de la Baie d’Ambaro est en diminution. Le résultat de ses recherches, selon son Directeur National, montre une situation de stagnation. Ce qu’il y a sur le terrain est plutôt une diminution de la quantité de prise des unités de pêche (pirogues ou bateaux industriels) expliquée par la multiplication en nombre des migrants et des sociétés industrielles qui viennent travailler dans la zone.

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Destinations de l’argent gagné par les pêcheurs

Selon la tradition de la zone, l’argent gagné dans la pêche aux crevettes est tout de suite à dépenser ; car comme les crevettes et poissons de la mer, cet argent est glissant. « Nous considérons la mer comme notre banque, expliquent certains pêcheurs : on va à la banque et on rentre avec une somme d’argent qu’il faut dépenser car demain on pourra encore faire la même chose… ». Ce que font la majorité des pêcheurs après avoir écoulé leurs produits, c’est passer chez l’épicier pour acheter un ou deux kilo de riz et un peu d’huile que la famille va consommer jusqu’à leur retour de la pêche le lendemain.

Après avoir pris leur douche, ces pêcheurs jettent un œil sur leurs filets pour vérifier s’il y a des déchirures à réparer. Une fois la réparation terminée, ils prennent la direction soit d’un bar soit d’une salle vidéo. Dans les bars, l’on peut constater que les pêcheurs n’hésitent pas à dépenser le maximum d’argent : « une fois arrivé à la maison, notre femme récupère tout le reste dans le but d’acheter soit un vêtement ou une paire de chaussures ou un bijou… », explique un pêcheur originaire d’Ambilobe. Le pêcheur ne parvient pas à mettre de côté une somme d’argent en vue d’une utilisation raisonnable.

Comme l’union du couple n’a rien d’officiel (pas de mariage civil et dans la plupart des cas même le fomba – donné de l’argent et/ou des bœufs aux parents de la femme – n’a pas été fait), la femme pourrait donc partir avec la caisse et rentrer chez elle. En effet, la grande majorité des pêcheurs ne parviennent pas à se constituer une épargne. A ce niveau, les mutuelles d’épargne pourraient très bien jouer un rôle primordial en éduquant et en aidant les pêcheurs à constituer une épargne familiale qui permettra au pêcheur d’acheter ses propres outils (filets, pirogue et glacière pour la conservation des produits à bord) à lui pour éviter la dépendance vis-à-vis des collecteurs. Il pourrait ensuite dans ce cas ouvrir un compte bancaire à Ambilobe pour pouvoir bénéficier par la suite d’un crédit agricole.

La place des Banques et des mutuelles d’épargne et de crédit

Ankazomborona est un Fokontany situé à environ 25 km du District d’Ambilobe. Plus de 90% de ses habitants sont des migrants saisonniers. Le niveau d’instruction de la majorité de la population du village est le primaire, et le Chef Fokontany (année 2000) estime que la proportion des habitants analphabètes dépasse largement le taux de 65%. En exerçant l’activité de pêche crevettière à Ankazomborona, les pêcheurs migrants n’ont qu’une idée en tête : gagner de l’argent pour pouvoir construire une maison ou acheter des zébus une fois de retour dans leur localité d’origine (le Nord-ouest : Sambava – Andapa). L’utilisation des banques et l’adhésion à des Mutuelles d’épargne et de crédit ne sont pas dans les habitudes des gens, pour cette année 2000. Seuls les collecteurs ont de compte bancaire à Ambilobe ou à Diégo. « Pour les pêcheurs traditionnels, la banque c’est tout simplement la mer où ils travaillent tous les jours. Donc il n’y a pas besoin d’épargner, car ce sont les Zanahary qui le font pour eux », explique le Président du Fokontany.

Table des matières

Introduction 
Première partie : PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DE LA PECHE CREVETTIERE TRADITIONNELLE A ANKAZOMBORONA ET SON HISTORIQUE 
I- Principales caractéristiques de la pêche crevettière traditionnelle : outils utilisés et mode d’utilisation, zone d’activité
II- Historique de l’activité pour le cas du site d’Ankazomborona
1. Du début des années soixante-dix à la fin des années quatre-vingt : les tompontany maîtres du village et de la ressource
2. A partir de la seconde moitié des années quatre-vingt : l’afflux de migrants
3. Forme actuelle de l’exploitation
Deuxième partie : ORGANISATION STRUCTURELLE ET SOCIO-ECONOMIQUE DU VILLAGE ET OCCUPATION DU SOL 
1- Les forces sociopolitiques en place
2- Occupation et exploitation du sol
3- Production, transformation et commercialisation des crevettes
4- Principaux problèmes liés à l’activité
Troisième partie : IMPACTS DE L’ACTIVITE SUR LA VIE SOCIO-ECONOMIQUE DU VILLAGE ET SUR LE DEVELOPPEMENT RURAL
1- Destination de l’argent gagné
2- La place des banques et des mutuelles
3- Retombée économique de l’activité
4- Les problèmes générés par l’afflux de migrants
Conclusion 
Bibliographie

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