L’accueil des blessés militaires par les Hospices Civils de Lyon en 1914

L’accueil des blessés militaires par les Hospices Civils de Lyon en 1914

Gérer l’urgence : la mobilisation des Hospices Civils de Lyon

Les Hospices Civils se mobilisent dès l’annonce de la guerre et commencent à réfléchir sur l’organisation de l’accueil des blessés. Ils font partis de la 14e Région de Santé28 (Annexe B). La 14e Région de Santé a d’abord pour Directeur le Médecin Inspecteur Richard. Entre le 26 et le 28 septembre, le Médecin Principal de Première Classe Géraud lui succède29 . Quelles sont les stratégies mises en œuvre par les HCL pour accueillir les blessés ? A. Accueillir les blessés militaires : libérer des lits dans les hôpitaux 1. La Réquisition des hôpitaux et l’évacuation des malades civils a) La Réquisition des hôpitaux lyonnais En prévision de l’arrivée de soldats blessés, les hôpitaux lyonnais sont réquisitionnés car les hôpitaux militaires Desgenettes et Villemanzy ne sont pas suffisants pour accueillir tous les malades30 . Préparer l’accueil des militaires blessés devient une priorité. D’abord, l’HôtelDieu est mobilisé pour réceptionner des soldats31 . Le 10 août 1914, le Directeur du Service de Santé de la 14e Région, le Médecin Inspecteur Richard prévient Théophile Diederichs, le Président du Conseil, de la réquisition à venir de l’Hôtel-Dieu. Le 11 août, le Président du Conseil lui répond que l’Hôtel-Dieu prendra les mesures nécessaires pour accueillir le plus de blessés possible . Il ajoute que le personnel de l’hôpital prendra en charge les malades Le même jour, il relaie sa décision aux différents directeurs des hôpitaux des Hospices . Dès le lendemain, cette organisation est précisée et validée par le Conseil d’Administration, qui se réuni. Durant cette séance du 12 août, il est annoncé que Louis Hugounenq est chargé de faire le lien entre les HCL et les autorités militaires. Puis, le Conseil décide d’interrompre la réception de malades civils et de les évacuer. Les Services de la Maternité et de l’Infirmerie de Porte sont sauvegardés. Ce Service d’Infirmerie de Porte était avant 1914 tenu par un chirurgien et un interne. Ces soignants devaient s’engager à gérer les urgences de jour comme de nuit. En 1914, les internes sont supprimés et il ne reste plus qu’un chirurgien nommé par le Président pour une semaine35. Le 25 août 1914, ces décisions sont validées par le Préfet36 . Le 20 août, le Médecin Inspecteur Richard annonce au Président Diederichs l’arrivée imminente de soldats blessés à Lyon. Il lui demande que 500 lits soient libérés pour les soldats. Le Président répond que les malades civils sont en cours d’évacuation et que l’Hôtel-Dieu peut accueillir plus de 500 blessés militaires37 . Cependant, ce n’est pas le seul établissement réquisitionné. Le 5 août 1914, l’hôpital Renée Sabran à Hyères, qui dépend de l’Hospice de la Charité et qui accueillait des enfants atteints de maladies comme la tuberculose ou la scrofulose, est mobilisé à son tour38 . Trois médecins et un pharmacien militaires se rendent dans le bureau de l’économe de l’Hospice de la Charité39. Ils rencontrent l’économe Sapin. Ils lui remettent au nom de la Marine Nationale un ordre de réquisition pour son Hôpital situé au bord de la Méditerranée40 . Le 13 août 1914, l’Administration des HCL accepte cette réquisition. Les 170 enfants et 31 sœurs occupant l’établissement sont évacués en train de Hyères à Lyon Perrache. Dans la majorité des cas, les enfants sont renvoyés dans leurs familles, tandis que les plus atteints rejoignent l’Hospice de la Charité41 . Enfin, le 12 août, Francis Sabran, Administrateur-Directeur de l’Hospice de la Charité, concède 265 lits pour les blessés militaires. 42 Ainsi, les hôpitaux lyonnais sont réquisitionnés et se mobilisent. Néanmoins, les HCL doivent résoudre un autre problème : Que faire des civils évacués ? b) Rediriger les malades civils Les malades en rémission, n’ayant plus besoins de soins intensifs, sont congédiés et retournent dans leurs familles43 . Cependant, les HCL doivent trouver des solutions afin de continuer à soigner les civils dont l’état reste fragile. i) La répartition des malades civils dans les différents établissements des Hospices et leurs annexes Suite à la réquisition de l’Hôtel-Dieu, le Président du Conseil prend des mesures afin de transférer les civils et de les orienter vers d’autres établissements44 . D’abord, le 11 août 1914, il décide d’ajourner les entrées de civils à l’Hôtel-Dieu. L’hôpital de la Croix-Rousse et l’hôpital Saint-Pothin les accueillent désormais. L’Hôtel-Dieu n’accueillant plus de civils, les zones sont redessinées : « La circonscription affectée à l’hôpital de la Croix-Rousse comprendra la partie de la ville au nord de l’axe de la rue Grenette et du cours Lafayette. Le périmètre de l’hôpital Saint-Pothin comprendra la partie de la ville au sud de la rue Grenette et du cours Lafayette avec le 5e arrondissement . »

L’appel à la population lyonnaise pour accueillir des malades civils

 Les HCL lancent un appel à la population pour accueillir des malades civils. Ils utilisent des affiches mais aussi la presse pour communiquer avec les Lyonnais50 . Le 6 août 1914, le Président Diederichs sollicite l’aide de la population51. Il invite les Lyonnais à recevoir chez eux des malades convalescents ou chroniques, à l’exception de contagieux. Les malades ayant encore besoin de soins leur seraient envoyés. Il les invite à adresser leurs propositions à l’HôtelDieu en indiquant le nombre de lits proposé. Le12 août, les HCL prennent plusieurs mesures52 . Ils décident de fournir les pansements. Puis, les particuliers se verront proposer une rémunération. Les HCL s’engagent à payer par journée 2 francs par adulte et 1,50 francs par enfant. S’ils utilisent le service de blanchisserie de l’Hôtel-Dieu, 0,25 francs sera soustrait au prix de journée. De plus, une continuité et un suivi administratif et médical sera mis en place puisque les malades dépendent toujours des HCL. Le chef de service, un de ses subordonnés ou un autre soignant continuera à assurer ce suivi. Suite à cet appel, de nombreuses lettres et propositions arrivent à l’Hôtel-Dieu. Et, le 22 août, Théophile Diederichs remercie l’ensemble de la population qui s’est mobilisée et qui apporte son soutien53 . Il indique que 600 lits sont disponibles pour des malades civils. L’investissement des Lyonnais est notable. Des personnes de toutes classes sociales répondent présentes et proposent leur aide. D’abord, la frange de la population la plus aisée répond présente à l’appel du Président. L’annuaire du Tout Lyon regroupe la bourgeoisie lyonnaise. Yves Grafmeyer, sociologue s’intéressant à la ville de Lyon, explique comment sont choisies les personnes mentionnées. Sont regardés la « réussite professionnelle », l’« ancienneté dans la famille » et la « notoriété locale ». Selon l’éditeur, cet annuaire regroupe la « haute société de Lyon et de la région lyonnaise » 54 . Paul Andrié fait partie de l’annuaire. Il est marié à Madame Rousselier. Ils habitent 27 Boulevard du Nord55 . Le 8 août, il propose son aide en créant dans sa maison une annexe avec salle de bains et cuisine56 . Il fournit aussi le personnel, les lits et les draps. Cependant, il donne ses conditions. Il souhaite accueillir entre 15 à 20 femmes. Il veut qu’on lui fournisse la nourriture et les pansements. Quelques jours plus tard, il demande aussi des camisoles et de l’essence pour son automobile, qu’il prête pour transporter les malades. Le Président répond favorablement à ses requêtes et assigne à son annexe un médecin qui s’occupera des malades : le Docteur Nové-Josserand57 . L’annexe est mise en état de fonctionnement et dispose de 25 lits58 . Ensuite, Louis et son frère Auguste Lumière sont des personnalités importantes de la région lyonnaise. Ils sont connus pour leurs découvertes sur le cinéma. Pendant la guerre, ils apportent leurs contributions. Auguste Lumière se consacre au « service radiographique à l’Hôtel-Dieu » et il invente le « tulle gras Lumière » qui favorise la cicatrisation des plaies et prévient des infections. Quant à Louis Lumière, il met au point « la pince universelle Lumière » (prothèse de main) afin de faciliter la vie des soldats mutilés59 . Leurs noms font partis de l’annuaire. Louis Lumière, par exemple, habite 262 Cours Gambetta à Lyon60, dans le 8 e arrondissement. Le 9 août, il ouvre une de ses propriétés pour les civils61 . Après en avoir parlé avec le Président Diederichs, il met à disposition une de ses propriétés 231 rue cours Gambetta. Ancien couvent converti en annexe, il peut accueillir 100 lits. Un jardin lui est attenant. Néanmoins, quand une partie de la population peut mettre des maisons entières à la disposition des HCL, d’autres n’ont pas les moyens de donner autant. Les classes moyennes et populaires répondent à cet appel. C’est le cas de deux infirmières, Mesdames Poncet et Arches. Elles habitent 37 rue Auguste Comte. Cette rue se situe entre Bellecour et Perrache. Le 11 août 1914, elles proposent d’accueillir quatre malades62. Elles s’occuperont de leurs soins. Cependant, elles demandent qu’on leur fournisse de la nourriture et de l’argent : 30 francs par mois. Ces trois propositions montrent que toutes les classes sociales lyonnaises apportent leur aide que ce soit des bourgeois, des personnes influentes, ou des infirmières. Après avoir trouvé des solutions pour évacuer ses malades civils, l’Hôtel-Dieu est prêt à recevoir le 25 août des malades militaires63 . 2. L’appel aux Lyonnais par le biais des journaux : l’accueil de militaires par les particuliers Les premiers combats de la Grande Guerre, au mois d’août et de septembre, sont très meurtriers. L’Allemagne et la France perdent beaucoup d’hommes. Après la bataille de la Marne (6 au 10 septembre 1914), on dénombrait environ 100 000 morts et un nombre considérable de blessés du côté français64 . Les HCL se préparent à accueillir ces soldats en cherchant des lits. Beaucoup de propositions avaient été faites aux Hospices pour l’accueil de civils. Les propositions non utilisées furent retenues pour les militaires65. Puis, le Président du Conseil d’Administration fit un premier appel pour les blessés. Et, le 24 août, il remercie la population ayant proposé des lits pour les recevoir66. Les offres soumises ayant plus ou moins 100 lits sont regardées en premier par une Commission. Le but est de libérer la place pour les cas les plus urgents qui ont besoin d’une hospitalisation rapide. Puis, le Président Diederichs réitère son appel par le biais des journaux le 6 septembre 1914 . Les Hospices Civils ne s’attendaient pas à devoir accueillir autant de blessés. L’appel à la population semble indispensable68. Dans les archives dépouillées, aucune lettre envoyée aux HCL par des particuliers n’a été trouvée. Mais l’ouvrage de Croze et Cigalier permet d’avoir accès à une proposition d’une commerçante : « Monsieur, je puis vous offrir une chambre et un lit très propre et bien aéré pour un soldat blessé convalescent, c’est avec plaisir que je le soignerais gratuitement et ferais tout mon possible pour qu’il soit heureux : c’est un lit à deux places : si vous voulez en envoyer deux, cela m’est égal, mais pas un boche, je ne pourrais pas le soigner. Recevez, Monsieur, tout respect69 . » Cette femme, propose son aide pour accueillir un ou deux militaires. Suite à ces appels, 1 326 places sont trouvées pour répartir les soldats blessés à Lyon ou dans sa banlieue70 . Dans sa lettre, cette commerçante stipule qu’elle ne souhaite pas accueillir d’Allemands. En effet, les HCL peuvent accueillir des Allemands. 

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L’Hospice de la Charité et l’épisode des infirmières allemandes

À 20 heures, le 8 octobre, le Gouverneur Général de la Place de Lyon et Commandant Supérieur de la Défense Goigoux prévient, par appel téléphonique, l’Administrateur-Directeur de l’Hospice de la Charité de l’arrivée imminente d’infirmières allemandes. Francis Sabran informe donc Théophile Diederichs. Afin d’avoir plus d’informations, le Président du Conseil Général d’Administration des HCL s’adresse au bureau d’état-major où on l’informe de la réquisition de l’Hospice de la Charité71 . Le 9 octobre 1914, l’économe de l’Hospice de la Charité Sapin écrit dans son rapport : « 58 infirmières allemandes ont été amenées de la gare aujourd’hui » 72 . Elles arrivèrent à 9 heures. Et, le 12 octobre, un ordre de réquisition, provenant du Gouverneur Général Goigoux, est adressé à Francis Sabran, qui le transmet au Président des HCL73. Cet ordre de réquisition prescrit le logement et la nourriture pour cinquante-huit infirmières à partir du 9 octobre 1914. Après de durs combats dans le nord-est de la France, de Meaux à Vitry-le-François, les Français remportent la bataille de la Marne le 10 septembre 1914. Ils ont repoussé les Allemands qui restent cependant présents sur le territoire français74. La ville de Péronne est libérée de l’occupation allemande. Les infirmières allemandes, qui travaillaient au lazaret, sont faites prisonnières75 . Ce terme de Lazaret paraît insolite, en français il désigne un « établissement où sont isolées les personnes ou les marchandises contaminées ou susceptibles d’avoir été contaminées par une maladie épidémique » 76 . Par contre, en allemand, le mot « Lazarett » signifie tout simplement hôpital militaire. Péronne fut repris quelques jours plus tard77 . Après avoir été capturées, elles sont dirigées vers l’Hospice de la Charité. 

Table des matières

Chapitre I. Gérer l’urgence : la mobilisation des Hospices Civils de Lyon
A. Accueillir les blessés militaires : libérer des lits dans les hôpitaux
1. La Réquisition des hôpitaux et l’évacuation des malades civils
a) La Réquisition des hôpitaux lyonnais
b) Rediriger les malades civils
i) La répartition des malades civils dans les différents établissements des Hospices et leurs annexes
ii) L’appel à la population lyonnaise pour accueillir des malades civils
2. L’appel aux Lyonnais par le biais des journaux : l’accueil de militaires par les particuliers
3. L’Hospice de la Charité et l’épisode des infirmières allemandes
B. Pallier la perte du personnel, le besoin de trouver des remplaçants.
1. Recruter dans l’urgence : suspension des concours et appel aux Lyonnais non mobilisés
2. Conserver son personnel : une mise en suspens des retraites
3. Protéger le personnel : la mise en place de brassards et le recours à la vaccination
a) Brassards, cartes d’identité et « protection »
b) La vaccination, une mesure prophylactique
C. La création d’une convention entre les HCL et l’autorité militaire
1. Présentation de la Convention
2. La contestation d’une « militarisation » par les Hospices Civils de Lyon
Chapitre II. Du front à l’arrière : le parcours des blessés militaires vers la guérison
A. De l’arrière aux Hospices Civils de Lyon : l’évacuation et la prise en charge des militaires
1. L’évacuation des blessés vers les trains sanitaires
2. L’arrivée à Lyon et l’accueil aux Hospices : une organisation imparfaite
3. Quelques chiffres sur la répartition des blessés militaires dans les différents hôpitaux des HCL
B. La vie quotidienne dans les Hospices Civils de Lyon : le bien-être des soldats
1. Prévenir les familles et droits de visite
2. Les repas des blessés définis par les Hospices Civils de Lyon
3. Achats et dons pour les blessés militaires : vêtements, cigarettes
4. La mise en place de spectacles et dons de livres pour égayer le quotidien des blessés
5. L’accès aux lieux de culte : une demande des blessés. 48
C. Des Hospices vers les annexes : des soins à la convalescence
1. Le transfert des convalescents vers les annexes : un fonctionnement ayant des difficultés à se mettre en place
2. La sortie des blessés
Chapitre III. L’impact de la guerre sur le fonctionnement des Hospices Civils de Lyon
A. La mise en place d’annexes
1. Les différents hôpitaux et les annexes des HCL
2. L’amélioration du contrôle des annexes et les mesures hygiénistes
B. La création de services spécialisés
1. Adapter les infrastructures pour adapter les soins
2. Éloigner les militaires atteints de maladies contagieuses
3. L’ouverture d’un Service maxillo-facial à Lyon
C. Le Financement des Hospices Civils de Lyon au début de la Guerre
1. Les revenus des HCL
a) Les propriétés et les biens des Hospices
b) Les legs de Lyonnais aux Hospices
2. L’enlisement de la guerre et son financement : l’emprunt et la dette

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