Introduction – Contexte géologique du massif de Sumail
Le massif de Sumail est localisé au SE de la chaîne ophiolitique d’Oman (Figure 5.8). Il expose dans sa large moitié ouest à sud-ouest une section mantellique de nature harzburgitique (Figure 6.1). La partie est du massif met à l’affleurement des cumulats péridotitiques lités au sens large (alternance dunites-gabbros, wehrlites) ainsi que la section crustale inférieure, majoritairement constituée de cumulats gabbroïques lités. La croûte supérieure (gabbros isotropes, complexe filonien et laves) est observée uniquement au niveau des bordures nord et est du massif. La zone de transition dunitique (DTZ) constitue la transition manteau-croûte, entre la section harzburgitique et les gabbros ou cumulats lités (Figure 6.1).
La section mantellique expose dans le secteur de Maqsad un des meilleurs exemples de structure paléo-diapirique d’Oman (Ceuleneer, 1986; Ceuleneer et Nicolas, 1985; Rabinowicz et al., 1987). L’importante activité magmatique entretenue par ce diapir est attestée par l’abondance des reliques de percolation magmatique en son cœur et par un important cortège de filons mafiques recoupant la section mantellique à sa périphérie (Ceuleneer et al., 1996; Python et Ceuleneer, 2003). L’épaissezone de transition dunitique entre les sections mantellique et crustale (Abily et Ceuleneer, 2013; Ceuleneer, 1991; Jousselin et al., 1998), et l’abondance des pods de chromite (Borisova et al., 2012; Ceuleneer et Nicolas, 1985; Leblanc et Ceuleneer, 1991; Lorand et Ceuleneer, 1989) dans la région de Maqsad est également à mettre en relation avec le fonctionnement de ce diapir. L’appartenance des filons mafiques à une série de différentiation magmatique tholéiitique de type N-MORB est a été déduite des séquences de cristallisation observées dans les cumulats recoupant la section mantellique et de la croûte inférieure (Ceuleneer et al., 1996; Python et Ceuleneer, 2003). Cette tendance a été confirmée par leurs signatures en éléments en traces et isotopiques (e.g. Abily, 2011; Benoit et al., 1996; Korenaga et Kelemen, 1997). La distribution de la nature des filons autour du diapir affiche une zonation concentrique – troctolites à l’aplomb du diapir, puis gabbros à olivines et gabbronorites – reflétant sa structure thermique (Ceuleneer et al., 1996).
Le paléo-axe d’accrétion alimenté par le diapir de Maqsad est orienté NW-SE (N130) dans cette zone (Ceuleneer, 1991) (Figure 6.1), parallèle à l’azimut du complexe filonien (MacLeod et Rothery, 1992; Rabinowicz et al., 1987; Smewing, 1980). Les structures de fluage mantellique verticales affleurent le long de cet axe sur une zone d’une dizaine de kilomètres de diamètre (Ceuleneer, 1986; Ceuleneer et al., 1988; Jousselin et al., 1998) (Figure 6.2). Autour de cet axe, les lignes de flux mantellique s’horizontalisent et rayonnent dans toutes les directions ; divers arguments structuraux indiquent que le manteau accrété à partir de ce diapir s’étend jusqu’à une distance de ~ 25 km de l’axe de la paléo-dorsale (Ceuleneer, 1991).
La zone de transition dunitique du massif de Sumail
Approche générale
Dans le cadre de ce projet de thèse, la stratégie d’échantillonnage adoptée pour la coupe de Tuff a été appliquée à plus vaste échelle, soit à l’ensemble de la zone de transition dunitique de la région de Maqsad. Une vingtaine de coupes a été levée le long du paléo-axe d’accrétion supposé ainsi que des reliefs dunitiques périphériques. La base de la DTZ a été définie comme le niveau où, en montant dans la section, on observe la dernière harzburgite mantellique. Sa limite supérieure a été définie à la base des cumulats gabbroïques lités bien que dans un certain nombre de cas, les gabbros aient été érodés et la coupe s’est achevée sur des crêtes dunitiques. Un échantillonnage systématique a été réalisé avec prélèvement d’un ou plusieurs échantillons tous les dix à vingt mètres verticalement le long de ces coupes. Treize parmi elles ont été levées au cours de cette thèse, sept l’avaient été préalablement. Au niveau de certains affleurements, un échantillonnage resserré a été réalisé avec un espacement vertical atteignant le mètre. Un échantillonnage plus dispersé a également été effectué aux zones de jonction entre les différentes coupes ainsi que pour des occurrences de moindre dimension. L’étude de terrain s’est déroulée au cours de quatre campagnes étalées sur 12 semaines (mars-avril 2015, janvier 2016, mars-avril 2016 et mars 2017). Le travail effectué sur la DTZ du massif de Sumail au cours de cette thèse est basé sur la comparaison des différentes coupes et des échantillons collectés de manière plus dispersée, pour un total de plus de 600 échantillons.
Cette approche sous forme de multiples coupes et d’affleurements d’extension plus restreinte a pour objectif d’intégrer les résultats à diverses échelles :
– échelle de l’échantillon : compréhension des processus physicochimiques de dunitisation du manteau et de migration et évolution des magmas au sein d’une zone de transition dunitique s’étant a priori développée dans un environnement magmatique de type MORB ;
– échelle de la coupe : dégager les grandes évolutions pétrologiques et géochimiques structurant la DTZ, qu’elles soient systématiques ou locales (variabilité en z) ;
– échelle du massif : distribution spatiale des faciès pétrographiques et des signatures géochimiques au regard de la position du diapir de Maqsad et du paléo-axe de dorsale (variabilité en x et y), et modèle de développement tridimensionnel de la DTZ dans ce contexte (variabilité en x, y et z).
L’échantillonnage s’est principalement concentré autour de deux grandes zones (Figure 6.4) :
i) une bande dunitique affleurant le long du paléo-axe d’accrétion, l’échantillonnage des coupes couvre plus de 9,5 km le long de cette bande qui s’étend de l’oasis de Tuff au sud-est au village de Buri au nord-ouest ;
ii) les zones d’Al Juyaynah et d’Al Felgain situées en périphérie du paléo-axe d’accrétion à une distance comprise entre environ 4,25 et 9 km au SW des précédents sites. Une coupe a également été réalisée à proximité immédiate de la zone de cisaillement de Muqbariah, à environ 10 km au SW du paléo-axe d’accrétion supposé. Le tableau 6.1 liste les différentes coupes réalisées selon leur localisation par rapport au paléo diapir de Maqsad. Sont indiquées les coupes levées au cours de cette thèse et celles échantillonnées au cours des travaux précédents qui ont initié ce projet.
Les harzburgites
Des harzburgites ont été collectées à la base des différentes coupes échantillonnées le long de la DTZ où plus généralement dans la partie la plus supérieure de la section harzburgitique résiduelle.
Elles présentent une texture de recristallisation, mosaïque caractérisée par la fréquence des joints de grains d’olivine à 120° (Figure 6.5A et B). Cette texture, restreinte au kilomètre le plus supérieure de la section mantellique (Boudier et Coleman, 1981), contraste avec la texture porphyroclastique qui caractérise la majeure partie de la section harzburgitique dans cette zone (e.g Ceuleneer, 1986). Les orthopyroxènes apparaissent isolés ou organisés en amas tandis que leur taille de quelques dizaines de microns à 4 à 5 millimètres (Figure 6.5B et C). Leur abondance dépasse rarement 10 % dans les harzburgites de base de DTZ. Enfin, de rares harzburgites montrent la présence de clinopyroxène en association avec les orthopyroxènes. Leur taille est de plusieurs centaines de microns.
Les dunites pures
Les dunites ne contenant pas d’autre phase minérale que des olivines et des chromites (en faisant abstraction de la serpentine) ont été appelées dunites « pures ». Cette appellation est abusive dans le sens ou 95 % des dunites étudiées présentent la présence de clinopyroxène, au moins en petits grains piégés aux joints de grains des olivines (dizaines à centaines de microns tout au plus) mais ceux-ci ne sont détectables que lors de l’examen microscopique voire lors de l’analyse à la microsonde. Cette appellation de dunite pure s’est révélée très pratique sur le terrain pour les différencier de dunites contenant manifestement des phases autres que l’olivine et la chromite. Lorsque le clinopyroxène apparait en cristaux bien développés, la dunite est alors caractérisée comme « imprégnée ».
Les dunites ne contenant pas plus de 0,5 % de clinopyroxène de très petite taille ont été maintenues dans la catégorie des dunites pures même après examen microscopique. Les échantillons pour lesquels le clinopyroxène n’a pas été relevé reflètent soit son absence totale, soit une abondance trop faible pour que la réalisation d‘une seule lame mince n’ait pas été suffisante pour le détecter. Environ 40 % des échantillons de dunite collectés ont été classifiés comme des dunites pures ; plus de la moitié de ces dunites pures contient une très faible quantité de clinopyroxène en plus de l’olivine et la chromite.