La vie quotidienne en plaine de Lyon au XVIIIe siècle d’après les inventaires après-décès
Géographie d’un espace au croisé entre le Lyon et le
Dauphin Réduite par sa taille, la zone géographique dans laquelle nous allons mener notre enquête se situe au confins du Nord-Dauphiné. Une petite zone limitrophe se situant à la frontière entre la province du Dauphiné et la puissante et dynamique ville de Lyon. Depuis 1, Villeurbanne, Bron et Vaulx-enVelin font partie du Dauphiné, sur ordre du vieux roi soleil, qui depuis son somptueux palais de Versailles tranche une bonne fois pour toutes sur la question de la frontière entre le Lyonnais et le Dauphiné. Dès ce jour, « la frontière du Lyonnais ne suivra plus le cours du Rhône, mais passera à l’est de la Guillotière. […] Dès lors Villeurbanne se retrouve en première ligne sur la frontière du Dauphiné, ce qui entraîne pour elle de multiples avantages ». La plaine de Lyon est un espace privilégié pour entrevoir l’influence qu’un espace urbain peut avoir sur une zone rurale. Ainsi, ce prisme de l’influence citadine nous guidera tel un fil conducteur tout au long de notre enquête sur la vie quotidienne en plaine de Lyon. Mais pour l’heure, avant de débuter notre exposé sur la vie quotidienne, un point de contextualisation s’impose. Un contexte géographique que nous allons appréhender par le biais de l’ouvrage d’Alain Belmont qui s’est particulièrement intéressé à Villeurbanne et ses alentours proches . Là où la ville remplaça la campagne : le paysage de plaine de Lyon au XVIIIe siècle Il nous parait bien difficile d’imaginer de nos jours que Villeurbanne, Bron et Vaulx-en-Velin étaient autrefois des villages de campagne. La morosité des teintes ternes de la ville, a remplacé peu à peu au cours des siècles le mordoré des blés et la verdure des prés. Aujourd’hui totalement englobé dans la banlieue lyonnaise, il reste bien peu de traces concrètes d’un passé d’antan que les affres de la ville semblent avoir entièrement absorbé. Et pourtant, autrefois, nos localités d’étude étaient de petits bourgs et villages, fait de maisons dispersées au cœur des champs. Une vision presque mélancolique, venant littéralement trancher avec la vision que nous avons de cet espace à l’heure actuelle. Au nord, Le Rhône coule à flots, tandis que ses innombrables bras viennent transporter de l’eau un peu partout, sillonnant le bassin lyonnais. Ce qui fait de la zone un espace particulièrement humide, souvent en proie à des inondations, qui s’avèrent être particulièrement destructrices. Tantôt dévastateur, tantôt bienfaiteur, cet environnement humide présente en contrepartie de nombreux avantages. L’accès à l’eau y est privilégié, elle ne manque jamais, car elle est partout, une aubaine à bien des égards. Bien irriguée, la terre est particulièrement fertile, en émane une agriculture fructueuse et florissante, dominée de loin par les céréales qui se taillent la part du lion. Le froment, l’orge, l’avoine ou encore le millet abondent dans les champs qui s’étendent à perte de vue dans la plaine jusqu’aux hauteurs de Bron. La BELMONT Alain, Villeurbanne ans d’esprit d’indépendance, Grenoble, Glénat, , p. vigne tenait elle aussi une place de choix dans le paysage, aujourd’hui totalement disparue de l’EstLyonnais, ce passé viticole est bien trop souvent mis de côté, pourtant il y a 3 siècles, les ceps rayonnaient et ravissaient les gosiers de leurs présences. Enfin, restent les prés, fait assez exceptionnel, ils sont très nombreux dans la région. Et pourtant, sous l’Ancien Régime, rare sont les zones épargnées par les cultures en ces temps où la disette menace constamment. Le pré est donc réservé à celui qui a une certaine aisance, il est représentatif de l’acquisition d’un confort et d’une sûreté alimentaire. Quant à la répartition de l’habitat, l’urbanisme va considérablement évoluer au cours du XVIIIe siècle notamment à Villeurbanne qui a connu une hausse fulgurante de constructions. Du fait de son extrême proximité avec la ville de Lyon à la dynamique exacerbé, Villeurbanne voit sa population grimper de manière fulgurante. Un impacte urbain dont les effets se font moins ressentir à Vaulx-enVelin ou à Bron, se trouvant plus excentrés. Le véritable dynamisme se retrouve donc dans les alentours les plus proches de la ville, Villeurbanne en est le réceptacle privilégié. Au cours du siècle des lumières, l’habitat se densifie, de nouveaux quartiers sont créés tel que les Charpennes ou encore le quartier des Maisons-Neuves, transformant le petit bourg tranquille en une petite ville active. Et pour cause des liens indéniables se sont créé entre nos localités et le Lyon tout proche. Le tissage de liens étroits entre des voisins ruraux et urbains « Au e siècle, Lyon devient l’une des villes les plus riches d’Europe, une Venise des terres. Son opulence rejaillit sur Villeurbanne dont les paysages, les productions et la société s’imprègnent des échanges tissés quotidiennement avec la capitale des canuts.» Indéniablement, des liens étroits se tissent entre les espaces riverains. Les propriétaires fortunés lyonnais investissent très tôt dans le foncier, achetant terres et grands domaines agricoles, dont nous avons d’ailleurs retrouvé la trace au cours de nos procédures. Comme c’est le cas par exemple du domaine de Longchamps à Villeurbanne appartenant au noble Lyonnais Joseph de Ruolz. Tandis qu’au cours des différentes expertises, on peut voir des artisans et des marchands exercer leur profession à la ville toute proche. Un flux d’échange et de mixage humains entre urbain et ruraux, mais pas seulement. L’agriculture est florissante en plaine de Lyon, nous l’avons quelque peu évoqué précédemment par sa situation privilégiée et ses terres fertiles. Les progrès en termes d’agriculture ont ainsi poussé les paysans à abandonner la polyculture pour se centrer sur des cultures uniques telles que les céréales notamment, ce qui a considérablement fait augmenter les rendements agricoles. Tout comme l’immense majorité des foyers de plaine de Lyon disposent au moins de quelques animaux, voire de véritables élevages, dont ils tirent des fruits (viandes, œufs, laine, lait, matières premières) qui sont ensuite consommés dans le cercle familial, tout comme ils peuvent en être fait commerce. Il faut dire que les acheteurs ne manquent pas à la ville toute proche, chaque jour les produits de prime fraîcheur de la ferme sont acheminés sur les étals des marchés lyonnais. Ce balai d’échange incessant accroît d’autant plus les dynamiques entre les deux espaces, « en somme le dauphin nourrit le lion et en retour, le lion arrose le dauphin des gouttes de son opulence » . Une situation géographique privilégiée : un espace géostratégique Nos localités et particulièrement Villeurbanne se trouve inséré dans un espace transfrontalier. D’un côté, la ville de Lyon impose sa loi et sa fiscalité est bien peu avantageuse. Une fois la frontière entre les deux provinces franchise, Villeurbanne se tient là en première ligne dans le territoire dauphinois, soit à des centaines de kilomètres du pouvoir central, qui se tient à Grenoble. Autant dire que le gouverneur du Dauphiné retranché au loin a d’autres préoccupations que celle de faire respecter la législation si loin de son fief. La zone échappe alors à tout contrôle et devient comme beaucoup d’espace transfrontalier une sorte de paradis fiscal, là où les règles s’assouplissent, voir disparaissent. Une fois la frontière dauphinoise passé le vin coule à flots, un vin bien moins coûteux qu’à la ville, car exempt de toute taxe. Et puisqu’une chopine de vin met souvent tout le monde d’accord, les auberges profitent de cette aubaine et fleurissent un peu partout le long des principaux axes menant à Lyon. Ainsi « dans ce Far West villeurbannais, ses « cabarets » enivrent jusqu’à point d’heure les ouvriers lyonnais venus dilapider leur salaire de la journée » , apportant richesse et dynamisme à la zone. Bien entendue, nous distinguerons une nouvelle fois Villeurbanne de nos deux autres localités, Bron et Vaulx-en-Velin qui demeurent plus excentrés de la ville, étant moins marqué par cette dynamique transfrontalière. Profitant de cette vague génératrice de richesse, les maisons vont pousser tel des champignons après une ondée, formant de nouveaux quartiers venant irrémédiablement changer le visage de Villeurbanne. Une réussite que tous ne voient pas d’un bon œil. Le voisin lyonnais, ne serait-il pas piqué par une pointe de jalousie ? À n’en point douter la ville va tenter à plusieurs reprises à la fin du XVIIIe siècle d’annexer Villeurbanne. Et pour cause, cette zone de non-droit inspire à la méfiance. La législation lyonnaise n’étant pas applicable dans ce territoire, tout comme le Dauphiné se soucie peu de ce petit bourg excentré, la zone demeure hors de contrôle. Peu de temps après la révocation de l’édit de Nantes, Villeurbanne devient un bastion protestant. Une présence protestante qui semble tolérée, tandis que dans d’autres régions du Dauphiné les répressions font rage. Villeurbanne inquiète et effraie, jusqu’au pouvoir lyonnais, ce lieu étant un espace privilégié pour la préparation de révoltes. En ces temps troublés de pré-révolution, la populace villeurbannaise ne manque pas d’inquiéter le Lyon. BELMONT Alain, Villeurbanne ans d’esprit d’indépendance, op. cit., p.54. Ibid., p3. Malgré cette position stratégique, les affres de la révolution ont peu touché notre zone géographique d’étude, qui est resté assez calme en ces temps troublés de Révolution Française.
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