La verbalisation des compétences professionnelles pendant la rétroaction entre l’enseignant associé et le stagiaire à l’école primaire
Depuis le tout début de ma formation à l’Université du Québec à Trois-Rivières dans le baccalauréat en éducation au préscolaire et en enseignement au primaire, j’ai un intérêt marqué pour tout ce qui se rapporte au domaine des stages en enseignement. À mes débuts d ‘étudiante en enseignement, j ‘avais hâte de vivre ces expériences de stage et je n’ai jamais été déçue. Lors de mon stage 3, la superviseure de l’université qui était venue m’évaluer avait pris le temps de m’écouter, de m ‘aider et de me conseiller. C’est au moment de cette rencontre, que l’idée de devenir un jour superviseure de stage a effleuré mes pensées. J’ai donc terminé ma formation et commencé à enseigner dans différentes classes au primaire. Le jour où j’ai eu le nombre d’années d ‘expérience requis pour former des stagiaires, je suis allée faire la formation des enseignants associés et j’ai commencé à travailler avec des stagiaires à l’école et même à collaborer avec des stagiaires qui faisaient leur stage avec d’autres enseignants de mon école, car c’est devenu une passion pour moi de discuter, d’échanger, d’apprendre et de former des futurs enseignants. Cet intérêt marqué pour le domaine des stages m’a amenée, pour une troisième année consécutive, à choisir Ia comité qui se nomme: « Accueil des stagiaires» dans ma tâche d’enseignante à l’école. Dans ce comité, nous nous assurons que les stagiaires gui vivent cette expérience à notre éco le se sentent bien outillés et bi en encadrés; au besoin, ils peuvent se référer à nous. De plus, en début d’aimée, nous réalisons un guide contenant toutes les informations utiles pour le stagiaire lors de son passage à notre école et nous en remettons une copie à chaque futur enseignant lors de son arrivée. Depuis les quatre dernières années, je fais ma maitrise à temps partiel avec un objectif bien précis, soit celui de devenir superviscure dc stage en enseignement. Tous ces efforts ont porté fruits puisque l’année dernière, j’ai eu l’opportunité de prendre une charge de cours en supcrvision de stage IV pour des étudiants du baccalauréat en éducation au préscolaire et enseignement au primaire de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Cette expérience a été la confirmation pour moi que je voulais m ‘investir dans la formation des fuhlrs enseignants, mais j’ai aussi appris gue je trouvais intéressant et stimulant le fait de collaborer avec d’autres enseignants provenant de milieux différents de celui dans lequel j’enseigne au quotidien. Cependant, étant devenue en quelque sorte la personne de référence en ce qui a trait aux stages dans l’école où j’enseigne, le fait d’avoir eu à expliquer à maintes reprises les compétences professionnelles à plusieurs collègues enseignants associés m’a amenée à me questionner sur l’utilisation de ces mêmes compétences pendant les rétroactions avec leur stagiaire.
Depuis 2001, la réforme qui se vit dans le système d’éducation au Québec se fait dans une perspective de professionnalisation et d’approche culturelle de l’enseignement. Selon le Gouvernement du Québec (2001), la professionnalisation consiste, entre autres, en un processus de développement d’une professionnalité qui comporte plusieurs dimensions liées au développement des compétences: la mobilisation de savoirs professionnels, l’apprentissage en continu, l’efficacité et l’efficience des personnes, le partage de l’expertise entre les membres du groupe concerné et la formalisation des savoirs de la pratique.
C’est par souci de cohérence avec l’orientation de la professionnalisation qu’a été créé le référentiel de compétences professionnelles (Gouvernement du Québec, 2001, p. 45). Il existe, au terme de la formation initiale, un niveau de maîtrise attendu des douze compétences professionnelles qui « tente de déterminer ce que l’on peut raisonnablement attendre d’une personne débutante dans la profession.» (Gouvernement du Québec, 2001 , p. 57). Dans le but de répondre aux demandes des milieux scolaires pour une formation mieux adaptée aux exigences de la pratique, au moins 700 heures de stage réparties sur quatre ans ont été ajoutées en 1992 à tous les programmes d’ enseignement qui permettent aux étudiants d’obtenir un brevet d’enseignement au Québec. « Les stages dans le milieu scolaire sont des occasions privilégiées pour exercer les compétences en contexte réel et évaluer leur degré de progression et d’acquisition» (Gouvernement du Québec, 2001, p. 217). Cette période de stage constitue, selon Correa Molina et Gervais (2011), un espace de transition, un aller-retour entre la théorie universitaire et le milieu d’exercice professionnel. Ces mêmes auteurs précisent que ce contexte d’alternance entre la théorie et la pratique amène les futurs enseignants à construire et à utiliser les compétences, mais aussi à s’approprier un modèle identitaire propre à leur fuhlre profession d’enseignant. Toutefois, Kaddomi et Vandroz (2008) mentionnent que cette pratique de l’alternance peut apporter certaines tensions puisque les exigences des accompagnateurs dans le milieu professionnel et celles des formateurs universitaires peuvent être différentes, et parfois contradictoires. En ce sens, « s’assurer d’une compréhension univoque des rôles et responsabilités de chacun des intervenants demeure complexe lorsqu’on souhaite établir une saine collaboration entre chacune des parties et, en définitive, favoriser la réussite des étudiants» (Gagnon, Mazalon et Rousseau, 2010, p. 36). Comme l’expliquent Correa Molina et Gervais (200 l, p. 235), « le développement professionnel ne touche pas seulement l’individu en le rendant seul et unique responsable de sa formation. Il semble plutôt s’agir d’ une responsabilité collective, surtout quand on touche la formation et la pratique professionnelles.» Cette responsabilité collective démontre la pertinence de se soucier que l’accompagnement des stagiaires soit réalisé par des enseignants qualifiés .
Selon Portelance (2009), les changements présents dans la formation pratique des futurs enseignants complexifient le rôle de l’enseignant associé en plus d’amplifier les attentes à son égard. On reconnait maintenant l’enseignant associé« comme un enseignant dont la pratique témoigne de son ouverture aux changements et à l’innovation pédagogique et comme un formateur capable de soutenir efficacement le stagiaire dans le développement de ses compétences professionnelles et d’adopter la posture du praticien réflexif» (Portelance et Tremblay, 2006). Des activités de formation pour les enseignants associés ont donc été mises en place par plusieurs universités québécoises concernées par la formation initiale à l’enseignement (Portelance, 2009). Ces activités de formation sont vues «comme une occasion de formation continue imbriquée dans une culture de développement professionnel» (Portelance, Gervais, Boisvert et Quessy, 2018). Le Gouvernement du Québec (2008) mentionne dans ses écrits que « l’appropriation des orientations et du référentiel de compétences est indispensable pour l’ensemble des acteurs de la formation en milieu de pratique, pour les enseignants associés et les superviseurs universitaires en premier li eu » (p. 15). Ces activités de formation ont pour but d’amener les enseignants associés à connaître de manière rigoureuse les compétences professionnelles et à devenir compétents en matière d’accueil, d’accompagnement et d’encadrement d ‘un stagiaire (Portelance, 2009). Plus précisément, l’enseignant associé développe, dans le cadre de ces activités de formation, « la capacité de guider le stagiaire sur cette voie par l’observation rigoureuse, la rétroaction constructive et J’évaluation continue et fondée» (Portelance, 2009, p. 42). Pour ce faire, l’enseignant associé doit questionner « le stagiaire au sujet du développement des compétences professionnelles, et ce, à chaque période de rétroaction » (Caron et POltelance, 2012, p. 183).
Dans son rôle de formateur, il devient donc nécessaire pour l’enseignant associé de se préoccuper du processus de communication entre le stagiaire et lui puisque « c’est à travers les échanges que s’ébauche la relation et que se réalise l’apprentissage» (Brouillet et Daudelin, 1994, p. 444). Caron et Portelance (2012, p. 186) constatent d’ailleurs que le concept de rétroaction est présent dans la représentation que se fait l’enseignant associé de son rôle: « qu’il leur revient de rétroagir en formulant des commentaires et en partageant leurs expériences, après avoir observé des forces et des limites chez le stagiaire ». Selon Caron et Portelance (2012), la rétroaction est une discussion entre l’enseignant associé et le stagiaire à partir de laquelle ils peuvent poser un regard critique sur les pratiques d’enseignement, se questionner et trouver des pistes de solution à des problèmes pédagogiques. Par ailleurs, Piot (2008) affirme que les observations de la pratique des stagiaires par les enseignants associés ne constituent que la surface de son activité professionnelle. Selon Clot (2000), il devient donc nécessaire de tenir compte des éléments de la dimension invisible du travail enseignant qui donnent une place importante à la dimension cognitive: « tout ce que l’enseignant a imaginé, interprété, espéré, mis en place, ce qui ne s’est pas réalisé, ce qui a été contrarié .. . » Il est ainsi possible de penser que la seule façon d’arriver à tenir compte de ces éléments est d’assurer une rétroaction efficace au moment des rencontres entre le stagiaire et l’enseignant associé (Ibid. ,2000).
En ce sens, il apparaît donc primordial que l’enseignant associé soit également en mesure d’amener le stagiaire à « savoir analyser les situations d’enseignement apprentissage [ … ] qui permettent de faire face aux changements, aux situations inédites et même de conceptualiser les routines» (Piot, 2008, p. 106). Ce même auteur mentionne que « le vecteur de la réflexivité professionnelle demeure la verbalisation de l’activité en classe qui permet de passer d’une action agie à une action réfléchie par l’explicitation. » Penenoud (2001) tout comme Altet (2002), s’intéresse à l’analyse réflexive de la pratique et mentionne le devoir de l’enseignant associé d’encourager le stagiaire à se distancer de sa pratique et à poser un regard critique sur son travail dans le but de favoriser un développement de l’autonomie professionnelle et de fortifier sa construction identitaire. À cet égard, Le Boterf (2007) a présenté une démarche en quatre étapes principales: le moment de l’expérience, le moment de l’explication, le moment de la conceptualisation et le moment du transfert pour l’apprentissage d’une tâche complexe en vue de la construction des compétences. Par ailleurs, Caron et Portelance (2012, p. 181) soulèvent le point que «parmi les conditions d’encadrement figure aussi la rétroaction de qualité offerte au stagiaire; cette rétroaction s’appuie sur l’atteinte des objectifs de formation du stagiaire et sur le développement des compétences professionnelles. Pour les besoins de cette étude, c’est la deuxième étape qui sera priorisée soit le moment de l’explication, où il y a une verbalisation de l’action réalisée qui permet un début de réflexion menant à la représentation de l’action. En ce sens, en verbalisant ce qu’il a vécu, l’apprenant prend une distance face à son expérience ce qui lui permet de débuter sa réflexion sur la situation vécue. Bien que les résultats d’une étude de Rivard, Beaulieu et Caspani, (2009) démontrent que les superviseurs universitaires, les stagiaires et les enseignants associés trouvent important que les enseignants associés appuient leurs commentaires et leurs rétroactions sur le référentiel des compétences professionnelles, le groupe des enseignants associés semble moins convaincu que les groupes de superviseurs et de stagiaires de l’importance d’appuyer leurs commentaires sur le référentiel de compétences. En effet, ces auteurs amènent le constat que seulement 20% des enseignants associés de leur étude sont « totalement en accord» avec l’énoncé de savoir si les commentaires sont en lien avec le référenti el des compétences professionnelles, alors que 73,3 % sont « plutôt en accord» et 6,7 % sont « plutôt en désaccord ». Ils nomment aussi qu ‘il serait souhaitable qu’une plus grande proportion d’enseignants associés appuie leurs commentaires de rétroaction sur le référentiel des compétences professionnelles (p. 150).
Ces résultats de recherche nous pOlient à nous questionner sur la verbalisation des compétences professionnelles par l’enseignant associé au moment de rétroagir avec le stagiaire. Bien qu’une formation axée sur l’ appropriation des compétences et l’instrumentation nécessaire pour travailler avec le stagiaire en fonction de ces compétences soit maintenant offerte aux enseignants associés, nous nous questionnons sur les retombées de cette formation pendant les rétroactions lors de la dyade. Il est important de mentionner que, bien que cette formation soit fortement suggérée, dans certains centres de services scolaires, les enseignants associés n ‘ ont pas l’obi igation de la suivre pour avoir la possibilité de former un stagiaire. Nous faisons donc face à deux catégories d’enseignants associés: ceux qui ont suivi la formation axée sur l’appropriation des compétences et l’instrumentation nécessaire pour travailler avec le stagiaire en fonction de ces compétences et ceux qui n’ont pas suivi cette formation et qui fomlent tout de même des stagiaires. On peut dès lors s’interroger sur les différences qui pourraient être présentes en lien avec la verbalisation des compétences lors des rétroactions de ces deux groupes d’enseignants avec leur stagiaire .
La verbalisation est considérée ici dans un sens plus général. L’enseignant associé n’est pas obligé de nommer la compétence pour qu’elle soit considérée, dans cette étude, comme étant verbal isée. L’enseignant associé pourrait aborder des actions ou des actes posés par le stagiaire et le chercheur, quant à lui, s’assurera de faire le lien avec la ou les compétences associées au moment de l’analyse des résultats.
Ces différences possibles pourraient d’ailleurs influer sur le type d’encadrement offert aux stagiaires. En ce sens, les enseignants associés qui n’orientent pas la discussion avec leur stagiaire en fonction des compétences du référentiel et qui ne les amènent pas à développer une pratique réflexive, poulTaient limiter les possibilités de développement professionnel des futurs enseignants comme le souligne Perrenoud (2004). Cet auteur montre effectivement que les stagiaires qui ont l’occasion d’être formés par des enseignants associés qualifiés qui font des rétroactions pertinentes, sont plus conscients de leur niveau de compétence, et sont en mesure, par la suite, de réinvestir ces compétences dans d’autres situations telles que la suppléance ou l’enseignement dans leur propre classe. Cette affirmation ainsi que le fait que notre étude vise à comprendre la verbalisation des compétences au moment des rétroactions nous amènent à poser la question de recherche suivante: Comment les enseignants associés utilisent-ils le référentiel des compétences professionnelles lors des rétroactions avec le stagiaire? Nos objectifs de recherche qui seront utilisés pour répondre à cette question sont, d’une part, d’identifier les compétences professionnelles qui sont verbalisées et/ou nommées par les enseignants associés lors des rétroactions avec leur stagiaire en enseignement et, d’autre part, de comparer la verbalisation des compétences des enseignants associés n’ayant pas suivi la formation offerte aux enseignants associés avec des enseignants associés ayant suivi cette même formation.
INTRODUCTION |