LA VERACITE DE LA RELIGION CHRETIENNE
Prophéties ou figures
A l’homme qui n’a pas encore la foi, Pascal propose des preuves dont sa raison puisse reconnaître la solidité. Et ces preuves, ils les trouvent dans les figures et les prophéties. a/ Les figures Les figures sont des images ou des portraits qui ne disent pas la réalité de la chose. Elles représentent la façon dont la chose cachée ou dissimulée se désigne à travers une autre présente. Pascal écrit la « figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir. Chiffre à double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché1 . » Les figures sont donc des manières de mettre en correspondance deux choses qui, sur le plan ontologique semblent contradictoires. Philippe Sellier note que les figures sont des « réalités : hommes, événements, objets, institutions, qui, contiennent en germe ce qu’ils ont à préfigurer. Cette plus haute réalité dont ils ne sont que le reflet. » Ainsi, le passage de la Mer Rouge, qui relate comment le peuple hébreu, put passer la Mer Rouge est une figure, de la mort et de la Résurrection du Christ. La manne, pain tombé du ciel pour nourrir les Hébreux dans le désert, est une préfiguration de l’hostie, véritable pain céleste qui donne la vie éternelle. Le sens figuré tel est donc le moyen auquel Pascal va recourir pour l’interprétation de toutes les prophéties. Dans le fragment 274 nous pouvons lire : « Preuves des deux testaments à la fois. Pour prouver tout d’un coup tous les deux, il ne faut voir que si les prophéties de l’un sont accomplies en l’autre. Pour examiner les prophéties, il faut les entendre. Car si on croit qu’elles n’ont qu’un sens, il est sûr que le Messie ne sera point venu, mais si elles ont deux sens, il est sûr qu’il sera venu de J.C. Toute la question est donc de savoir si elles ont deux sens. » Mais quels sont ces deux sens de l’Ecriture? Ces deux sens qu’évoquent Pascal sont le sens « littéral» ou figurant et le sens spirituel ou « mystique2 ». Le sens littéral est celui qui a été exprimé directement par les auteurs inspirés. Étant le fruit de l’inspiration, ce sens est aussi voulu par Dieu, qui en est l’auteur principal. Par contre, le sens spirituel, est le sens exprimé par les textes bibliques, lorsqu’on les lit sous l’influence de l’Esprit Saint. Il écrit : « Il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique ; et les Juifs s’arrêtant à l’un ne pensent pas seulement qu’il en ait un autre, et ne songent pas à le chercher ; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu’il y en ait un autre auteur ; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n’ont pas pensé à y chercher une autre nature : « Nous n’avons pas pensé que ce fût lui », dit encore Isaïe[LIII, 3]1 ». La lecture de ce fragment permet de voir que Pascal établit un certain rapport avec sa lecture de la Bible et sa lecture de l’univers. En effet, il montre que les réalités physiques par leur autonomie, semblent exister d’elles-mêmes à cause, de leur perfectionnement et leur achèvement. Il en est de même du sens littéral qui, par sa cohérence semble se suffire à ellemême. Toutefois, dans les deux cas, il montre que, seul, un déchiffrement permettra d’atteindre, leur vrai sens, la vérité.
Les prophéties
La prophétie est la parole sur Dieu et elle se définit par son caractère immédiat. Pascal écrit : « Prophétiser c’est parler de Dieu, non par des preuves de dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat1 . » Les prophéties sont des révélations ou des proclamations exprimées par la parole. Prophétiser, c’est parler une autre parole, une parole qui touche « le cœur vivement » (Actes 2, 37). La parole est la voie par laquelle Dieu révèle son dessein. Dans le fragment 328 nous pouvons lire: « Qu’alors on enseignera plus son prochain disant ; voici le Seigneur. Car Dieu se fera sentir à tous. Vos fils prophétiseront. Je mettrai mon esprit et ma crainte en votre cœur. Tout cela est la même chose. » Là Pascal montre que les prophéties ne sont plus comme autrefois ; elles ne sont plus réservées à quelques prophètes plus précisément aux israélites, mais à tous les hommes, à toute chair. Le don de l’esprit saint sera donné à tous les croyants. Dit autrement, avec l’effusion du Saint-Esprit, tous les croyants, reçoivent la sagesse nécessaire pour connaître Dieu. Ce passage fait écho à la grande promesse de Joël : « Après cela je répandrai mon esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens des visions. Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon esprit. » Cette promesse de Joël est une prophétie claire. Comment alors justifier que d’autres prophéties soient obscures ? Pourquoi dans certaines prophéties comme celles du règne messianique Dieu ait choisi un langage obscur? Pascal nous donne les raisons dans les Pensées. Toujours soucieux des desseins providentiels, il donne l’explication par la cause finale. Dieu et les prophètes avaient à entretenir un peuple charnel et à le rendre dépositaire du Testament spirituel « C’est pour cela que les prophéties ont un sens caché, le spirituel dont ce peuple était ennemi sous le charnel dont il était ami. Si le sens spirituel eût été découvert, ils 1 Pensées, § 328, p.542. 63 n’étaient pas capables de l’aimer ; et, ne pouvant le porter, ils n’eussent pas eu le zèle pour la conservation de leurs livres et de leurs cérémonies1 .» Dieu a fait usage des obscurités, des figures pour révéler la condition du Messie: sa naissance, sa manière de régner, etc. De la sorte, les cœurs purs, espéraient un roi de salut. Mais, le temps du Messie a été aussi prédit clairement. Dit autrement, les prophéties avaient annoncé littéralement le temps de la venue du Messie, et spirituellement le contenu du message du Christ. Pascal écrit : « Dieu pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons (car la bonté de leur cœur) ne leur eût pas fait entendre que par exemple (le mem) signifie 600ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures. Par ce moyen les méchants prenant les biens pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas. Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants2 . » À s’en tenir à la lettre donc, la Bible annonçait un Messie qui sera un « grand prince temporel », un grand combattant qui conduirait le peuple Israélite à une hégémonie militaire. Ainsi, ce peuple, captif du sens littéral, espérait donc un Christ qui le libérerait de ses oppresseurs. Le Christ est un roi, mais dans l’ordre de la charité ; ses richesses sont des biens spirituels. Il est assurément le grand libérateur d’Israël, mais par Israël il faut entendre l’Israël spirituel, c’est-à-dire de l’ensemble des chrétiens. C’est d’ailleurs pour cette raison que Jean Mesnard considère qu’: « Entre le sens littéral et le sens spirituel, le rapport est beaucoup plus étroit que de signe à chose signifiée. Il n’est pas seulement de contiguïté, mais de ressemblance. Selon Pascal, qui introduit une systématisation remarquable dans les vues de ses devanciers, cette ressemblance s’établit entre le matériel et le spirituel, entre le visible et l’invisible, entre l’ordre de la nature et celui de la grâce. 3 »