La vaccination à ADN, une stratégie prometteuse contre le virus de la fièvre
Induction d’une réponse immunitaire protectrice par un plasmide codant l’eGn du vFVR chez le mouton
Un point fort de notre étude est l’utilisation du modèle ovin. Nous avons pu tester nos candidats vaccins dans des cohortes de moutons de races européennes différentes (Lacaune et Préalpes) et d’âges différents (2 et 12 mois). Ceci nous a permis d’évaluer de façon pertinente leur efficacité chez l’hôte naturel du virus qui peut également être considéré comme un modèle d’intérêt préclinique pour l’Homme. Toutefois, ce modèle présente également des limites, notamment le manque d’outils disponibles pour investiguer des réponses immunitaires, la complexité du modèle pour l’étude des mécanismes impliqués dans la protection qui sera discutée ultérieurement et le coût financier qui conditionne la planification de l’étude (le choix du nombre de groupes, les conditions à tester, les prélèvements à collecter). Nous avons montré que le plasmide codant l’eGn (peGn) a induit une réponse humorale et a conféré une protection chez les agneaux vaccinés par rapport aux non vaccinés. La fièvre et la virémie étaient significativement diminuées par rapport aux groupes non vaccinés (article 1, Figure 4). Nous avons ainsi validé le potentiel vaccinal de l’eGn en vaccination à ADN chez le mouton et à notre connaissance, notre étude montre pour la première fois la protection médiée par un vaccin à ADN dans l’hôte naturel contre le vFVR (Faburay et al., 2017). Ce vaccin présente l’avantage de pouvoir induire une réponse immunitaire permettant de distinguer des animaux vaccinés des infectés (DIVA) et il est sûr (innocuité, pas de virus réassortant possible). Etant donné que peGn a conféré la meilleure protection et la plus forte réponse humorale par rapport au plasmide codant l’eGn soit fusionné à un scFv dirigé contre DEC205 (pscDECeGn), soit fusionné à un scFv dirigé contre CD11c (pscCD11c-eGn), nous avons fait l’hypothèse que la protection était majoritairement médiée par les anticorps anti-eGn. Pour essayer de répondre à cette hypothèse, nous avons réalisé des analyses de corrélations à partir des données immunologiques et virologiques chez les animaux vaccinés, avant et après infection. Les analyses ont montré une bonne corrélation entre les anticorps anti-eGn avec la réduction de la virémie et les signes cliniques, mais pas avec la réponse cellulaire IFNγ. Toutefois, dans la limite des outils disponibles, nous n’avons pas pu analyser la sécrétion La vaccination à ADN, une stratégie prometteuse contre le virus de la fièvre de la vallée du Rift chez le mouton d’autres cytokines ainsi que l’activité cytotoxique des lymphocytes T CD8+ qui pourraient avoir un rôle dans cette protection. Les anticorps anti-eGn induits par nos vaccins à ADN ne neutralisent pas le virus in vitro, propriété qui sera discutée ultérieurement. De plus, ils pourraient protéger contre l’infection par le vFVR par la cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante (ADCC), par phagocytose ou par la lyse complément-dépendante.
Perspectives
Nos vaccins à ADN ont été administrés par voie intradermique à l’aide d’une seringue à insuline suivie d’une électroporation de surface, à raison de 3 injections à 3 ou 4 semaines d’intervalle sur des animaux anesthésiés. Les injections intradermiques sont plus délicates à réaliser par rapport aux injections intramusculaires et nous avons montré que l’injection intradermique pouvait introduire une variabilité au niveau de l’expression des vecteurs in vivo (article 1, Figure 2.E). D’autres systèmes de délivrance portatifs qui sont plus adaptés pour des vaccinations de masse, et qui idéalement permettent d’injecter des plasmides de manière standardisée, pourraient être testés. Une étude récente a montré que l’administration chez des porcs d’un plasmide codant l’hémagglutinine du virus de la grippe délivré d’une part par pression (needle-free jet injector) et d’autre part par injection intradermique suivie d’une électroporation a induit des réponses similaires (Grodeland et al., 2016). La technologie d’injection par pression est actuellement testée en combinaison à une vaccination à ADN contre le PRRSV (syndrome dysgénésique respiratoire porcin) chez le porc dans un projet coordonné par notre équipe de l’INRA. L’injection d’une dose plus élevée de plasmide pourrait permettre de diminuer le nombre de rappels. En effet, chez l’Homme, des doses de plasmide pouvant aller jusqu’à 5mg/injection ont été utilisées en étude clinique (Beckett et al., 2011). Or, dans notre étude, nous avons utilisé 400µg de plasmide vaccinal/injection. Nous avons montré que peGn a induit une réponse humorale 3 semaines après la dernière immunisation. Il serait intéressant d’évaluer la durée du maintien de cette réponse et la protection à long terme médiée par ce vaccin à ADN. Le plasmide peGn a conféré une immunité non stérilisante chez les agneaux puisqu’il n’a pas empêché pas la virémie, bien qu’elle était significativement diminuée (~3 log10) par rapport 143 aux agneaux non vaccinés (article 1, Figure 4). La combinaison de plusieurs antigènes pourrait être une alternative pour renforcer la protection. En effet, une étude a montré une protection totale chez des moutons suite à l’injection de protéines eGnGc (Faburay et al., 2016). La co-injection de plasmides codant eGn et Gc pourrait être testée chez les moutons, et plus particulièrement chez des femelles gestantes qui font parties des cibles prioritaires à protéger. A l’heure actuelle, aucun vaccin commercialisé n’a montré une innocuité et une protection chez les femelles gravides contre les avortements (cf. introduction partie IV.B.1). Par ailleurs, il serait également intéressant d’évaluer le rôle des anticorps maternels anti-Gn et anti-Gc générés lors de l’immunisation dans la protection du nouveau-né, qui, jusqu’à présent, n’a pas été exploré.
L’efficacité du ciblage des DCs en vaccination à ADN contre le vFVR
L’efficacité du ciblage des DCs via DEC205 et CD11c pour améliorer les réponses immunitaires a été largement documentée chez la souris, que ce soit en vaccins protéiques ou géniques (cf. introduction partie IV.C.3). Malgré ces résultats prometteurs, peu d’études ont transposé cette approche dans des modèles grands mammifères. En l’occurrence, chez les ruminants, une seule étude a montré l’amélioration des réponses cellulaires IFNγ chez le veau via DEC205 (Njongmeta et al., 2012). L’efficacité de la stratégie du ciblage des DCs dans un modèle ovin nous est donc parue pertinente à tester contre le vFVR et il serait intéressant d’approfondir les mécanismes de protection dans le modèle murin.
Dans le modèle ovin
Nous avons montré pour la première fois l’amélioration de la réponse cellulaire IFNγ par le ciblage des DCs via DEC205 dans un modèle ovin (article 1, Figure 3.B) et cette augmentation n’était pas liée à une surexpression du vecteur pscDEC-eGn par rapport peGn seul in vivo (article 1, Figure 2.E). Bien que la réponse humorale et la protection n’étaient pas améliorées par rapport à celles observées avec peGn contre le vFVR, ce type de stratégie pourrait être utilisé contre des pathogènes pour lequel la réponse cellulaire a un rôle important dans la clairance virale, notamment contre le virus de la grippe (Baranowska et al., 2015). En 144 revanche, l’adressage d’eGn vers le récepteur CD11c a montré des résultats contradictoires par rapport aux résultats obtenus dans un modèle murin contre un antigène tumoral (Wang et al., 2015). En effet, nous avons obtenu de manière globale une faible immunogénicité suite à la vaccination avec pscCD11c-eGn. A noter aussi que des différences d’immunogénicité ont été observées pour un même vecteur chez des moutons adultes et des agneaux (article 1, Figure 3 et Figure 14). L’âge et la race pourraient avoir influencé la réponse immunitaire. De manière générale, les vecteurs pscDEC-eGn et pscCD11c-eGn ont conféré une immunité différente ainsi qu’une protection plus faible par rapport à peGn et ces résultats peuvent être liés à plusieurs facteurs. Premièrement, la vitesse d’internalisation de l’antigène adressé à la DC influence les réponses immunitaires induites. En effet, des études ont proposé qu’une présentation antigénique prolongée favoriserait la formation de lymphocytes Tfh dans les organes lymphoïdes secondaires, le développement de centres germinatifs et l’induction d’une réponse humorale robuste (Kato et al., 2015; Lahoud et al., 2011). Par ailleurs, la persistance plus longue de la protéine eGn non ciblée par rapport à l’eGn ciblée favoriserait l’interaction avec les LBs (Gudjonsson, 2017). Nous avons donc émis l’hypothèse que l’adressage d’eGn vers le récepteur DEC205 entrainerait une internalisation plus rapide par rapport à la protéine eGn seule et favoriserait la réponse cellulaire plutôt qu’humorale. Deuxièmement, la différente distribution des récepteurs ciblés DEC205 et CD11c sur les leucocytes au sein d’une même espèce pourrait influencer la réponse immunitaire induite. (Geherin et al., 2012). Nous avons montré que les récepteurs DEC205 et CD11c étaient exprimés de façon indifférencié sur les cDC1 et les cDC2 issues de la lymphe ovine (article 1, Fig.1). D’autres études ont montré que DEC205 était également exprimé sur les lymphocytes du mouton, mais à un niveau plus faible par rapport aux DCs (Gliddon et al., 2004) et que le récepteur CD11c était exprimé sur les monocytes/macrophages (Bonneau et al., 2006) et les lymphocytes B (Geherin et al., 2012). Troisièmement, les différents niveaux d’anticorps anti-eGn, les épitopes reconnus par ces anticorps et la nature des isotypes d’anticorps induits par nos vaccins pourraient expliquer les différences d’efficacité de protection observées. Nous avons constaté des signes cliniques plus graves et une virémie élevée chez les moutons immunisés par pscCD11c-eGn, groupe dans lequel une faible réponse humorale a été mesurée. A l’inverse, la meilleure protection a été observée dans le groupe immunisé par peGn qui présente la réponse humorale la plus forte. 145 La conformation de l’antigène eGn pourrait varier entre la forme libre et la forme fusionnée à un scFv. Ainsi, certains épitopes clés pour induire une cytotoxicité pourraient être masqués (He et al., 2016). Les anticorps anti-eGn générés par les vecteurs pscDEC-eGn et pscCD11ceGn seraient moins efficaces pour exercer l’ADCC par rapport à ceux induits par peGn. D’autre part, la nature des anticorps anti-eGn induits par nos vecteurs pourraient être différente et auraient ainsi une efficacité différente à induire la cytotoxicité. Le mécanisme d’action des anticorps dépend de l’affinité du domaine Fc des IgG avec les récepteurs FcγR sur des cellules effectrices. Chez la souris, les isotypes IgG2a et IgG2b sont plus efficaces pour médier la cytotoxicité (Nimmerjahn and Ravetch, 2005), tandis que chez l’Homme, ce sont plutôt les IgG1 et les IgG3 (Irani et al., 2015). Dans la limite des outils disponibles, nous n’avons pas pu répondre à ces questions qui restent à être éclaircir. Enfin, les niveaux et la durée d’expression des plasmides peuvent varier in vivo et peuvent impacter l’immunogénicité. b) Dans le modèle murin La stratégie de ciblage des DCs via DEC205 a induit des réponses immunes différentes chez le mouton et la souris. Chez le mouton, la réponse IFNγ était améliorée. Au contraire, chez la souris, les réponses IFNγ et humorales étaient réduites (article 2, Figure 4). Ces résultats montrent les limites du modèle murin qui n’est pas forcément prédictif sur les réponses immunes chez le mouton. Parmi les nombreuses études ayant montré l’efficacité du ciblage des DCs chez la souris, une seule étude a rapporté une réduction de la réponse IFNγ chez des souris immunisées par un plasmide codant l’hémagglutinine et délivré par électroporation. Cette faible immunogénicité était associée à l’induction de lymphocytes T régulateurs (Tregs) dans les ganglions lymphatiques (Niezold et al., 2015). Bien que les raisons ne soient pas très claires, il semblerait que certaines conditions favoriseraient la mise en place d’une réponse tolérogène plutôt qu’effectrice. De nombreux travaux ont montré l’effet adjuvant d’un plasmide codant le GM-CSF (Saade and Petrovsky, 2012). Pourtant, une étude a montré que la délivrance d’un plasmide codant le GM-CSF dans la peau a induit le recrutement de DCs semi-matures (Matthews et al., 2007) 146 favorables à l’induction de Tregs (Gaudreau et al., 2007). De plus, la dose de GM-CSF semble déterminer son effet sur la réduction de la réponse immune. L’injection d’une haute dose de GM-CSF chez le singe par un vecteur virus de la vaccine exprimant le GM-CSF (MVA-GM-CSF) a fortement réduit la réponse humorale (Kannanganat et al., 2016). Dans notre étude, nous avons émis l’hypothèse que l’expression d’une forte dose de GM-CSF chez la souris dans nos conditions d’immunisation aurait favorisé l’induction de Tregs. Cependant, la présence ou l’absence de l’adjuvant GM-CSF n’a pas amélioré l’immunogénicité médiée par pscDEC-eGn (article 2, Fig. 3). Au contraire, en ce qui concerne les plasmides codant l’eGn non ciblé (peGn et pscCtrl-eGn), le plasmide codant le GM-CSF a eu un effet adjuvant sur la réponse cellulaire. Il est possible que l’expression prolongée de pscDEC-eGn, au-delà de l’inflammation locale induite par l’électroporation, permette la fixation du scDEC-eGn sur les DCs semi-matures et favorise l’induction de Tregs. Nous n’avons mesuré ni d’augmentation de lymphocytes Tregs totaux dans la rate, ni celle de lymphocytes T sécréteurs d’IL-10 induite par le GM-CSF et/ou le ciblage des DCs via DEC205. Toutefois, nous n’avons pas évalué ce paramètre dans les ganglions et cette augmentation possible des Tregs dans ce compartiment pourrait expliquer la réduction des réponses IFNγ et humorales observées. Aussi, nous n’avons pas mesuré les Tregs spécifiques de l’antigène vaccinal. Nous pourrions spéculer que chez le mouton l’expression du pscDECeGn serait moins longue que chez la souris, scDEC-eGn aurait alors ciblé des DCs activées par la vaccination et non pas des DCs semi-matures et elle aurait ainsi favorisé l’induction d’une réponse effectrice. Chez la souris, l’expression plus longue du plasmide aurait conduit au ciblage de DCs semi-matures, favorisant l’apparition des Tregs. L’adressage de mCherry vers DEC205 en présence ou en l’absence d’adjuvant génique pGMCSF a induit une forte réponse humorale, d’ailleurs améliorée en l’absence d’adjuvant. Ces résultats diffèrent de ceux qui ont été obtenus avec le ciblage eGn (article 2, Figure 5.B). L’efficacité du ciblage des DCs en vaccination à ADN semble dépendre également de l’antigène fusionné au scFv qui pourrait affecter l’endocytose du complexe et impacter la réponse humorale ou cellulaire.