La transparence pour placer enfin l’usager au cœur de l’action publique
Mission impossible ?
« La vision qui assimile le service public aux structures n’est pas la mienne. Le service public, il se mesure auprès des usagers. » 23 C’est sans ambiguïté que le Président de la République a affirmé le rôle majeur des usagers dans la modernisation du service public. La volonté de placer les usagers au cœur de la démarche d’amélioration du service public est ancienne. En 1989, le gouvernement de Michel Rocard avait reçu pour instruction « d’associer les usagers à l’amélioration des services publics »24. A la base de cette instruction, le constat que « les relations entre les administrations et les usagers ne seront vraiment améliorées que s’il est possible de ménager des occasions de réflexion en commun auxquelles seront associées les organisations syndicales. Il faut sortir du dilemme entre l’usager passif et l’usager critique. L’usager doit devenir un partenaire qui fait des suggestions et des propositions et qui prend aussi en compte les conditions de travail concrètes des personnels. C’est dans cet esprit qu’il faut créer de façon pragmatique à chaque fois que cela est possible des associations d’usagers. Leur travail pourrait contribuer à ce que l’appréciation des usagers devienne un des critères essentiels d’évaluation du fonctionnement des services publics. ». En 2001, le comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, dans son rapport sur « Les méthodes d’évaluation de la satisfaction des usagers 25», préconisait de « prendre en compte l’évaluation de la satisfaction des usagers dans la mise en place des politiques d’amélioration de la qualité des services.» Faire appel aux usagers est de nature à bousculer des réticences administratives qui demeurent fortes comme l’atteste pour l’éducation nationale le rapport du comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics de juillet 2009 consacré à la satisfaction des usagers26 : « l’Education nationale estime que la satisfaction des usagers n’est pas une notion pertinente dans ses missions » et de citer directement l’administration de l’éducation nationale : « Même si, à certains égards, la réussite scolaire des élèves peut être vue comme une réponse aux attentes des usagers, la mise en œuvre de la politique éducative ne relève pas vraiment de cette approche ; son enjeu dépasse largement la satisfaction des besoins individuels et sa problématique est davantage une problématique citoyenne, d’intérêt général, qui concerne l’ensemble de la nation et de son avenir. »Aujourd’hui, encore, l’administration travaille trop souvent en vase clos pour évaluer ses propres outils. Juge et partie, elle définit elle-même ses instruments d’évaluation. Il est donc peu probable qu’elle se place en situation de fragilité. Ainsi, à la suite de l’adoption de la LOLF, a été créé le Comité interministériel d’Audit des Programmes (CIAP), structures d’audit interne de la qualité des projets annuels de performance (PAP) et des rapports annuels de performance (RAP). Or, les indicateurs de la LOLF qui alimentent les PAP et RAP ont été définis et validés par les ministères eux mêmes, en étroite liaison avec l’ancienne direction de la réforme budgétaire. C’est la Haute administration, via le CIAP, qui contrôle donc ses propres travaux. Il n’est pas certain que le procédé soit optimum, même si le travail effectué et les recommandations sont souvent de qualité. Ainsi, force est donc de constater que jusqu’à présent les tentatives de placer l’usager au cœur de la réforme de l’Etat n’ont pas été véritablement couronnées de succès. Aujourd’hui, il importe de transformer enfin en réalité ce qui n’était jusqu’alors qu’un vœu. Recommandation : Publier les résultats des indicateurs pertinents pour les usagers afin de s’appuyer sur l’opinion pour moderniser la qualité des services rendus et pour rendre compte des progrès accomplis.
L’innovation de l’approche mise en œuvre par la direction générale de la modernisation de l’Etat
A l’automne 2008, la direction générale pour la modernisation de l’Etat, rattachée au ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat, a réalisé des études par « évènements de vie » auprès d’échantillons importants de particuliers, d’entreprises, de collectivités et d’associations. Ces études ont permis de mesurer la complexité des démarches administratives liées à différents évènements de vie du point de vue des usagers et de mettre ainsi en place un programme de simplification des démarches qui corresponde avant tout aux priorités des usagers. Par son caractère innovant, cette étude marque une étape importante dans la prise en compte de l’usager. Il importe donc d’entrer un peu plus dans les détails. 3.2.1. Descriptif L’étude révèle qu’en moyenne 3 usagers sur 10 jugent très ou assez compliquées les démarches administratives qu’ils ont eu à faire au cours des deux dernières années. Les évènements de vie douloureux génèrent les démarches administratives jugées les plus « compliquées ». Les complications administratives sont dans ce cas vécues comme encore plus pénibles par les usagers. Les démarches les plus répandues parmi la population française sont perçues comme moins compliquées. Une fois les évènements de vie prioritaires identifiés, chacun d’entre eux fait l’objet d’études qualitatives d’approfondissement pour mieux comprendre les raisons de satisfaction / d’insatisfaction. La réalisation de cartographies de parcours-types d’usagers permet de repérer les points de blocages grâce au recensement des paramètres objectifs (délai, nombre de pièces à fournir, redondances éventuelles…) et subjectifs (difficulté perçue, …) qui jalonnent le parcours administratif des usagers. Enfin, ces études qualitatives permettent de recueillir les attentes des usagers, leurs suggestions d’amélioration ou de tester les pistes de simplifications pressenties. Exemple 1 : « Je construis » L’étude réalisé en 2008 a montré que le déroulement des démarches administratives dans le cadre du permis de construire sont jugées deux fois plus compliquées que le moyenne de démarches : 6 personnes sur 10 les jugent « assez » voire « très compliquées » au lieu de 3 sur 10 en moyenne. La cartographie présentée plus en avant illustre le parcours type d’un usager en retraçant les différentes étapes administratives avec en haut ce qui a été vécu positivement et en bas ce qui a été vécu négativement assortis des verbatim exprimant son ressenti. Les entretiens qualitatifs et différentes cartographies28 ont permis de mettre en lumière les principales difficultés ressenties par les usagers qui ont entrepris un projet de construction ou d’aménagement. Celles-ci se concentrent avant tout sur : – un manque de visibilité sur l’ensemble des étapes du parcours administratif dès le départ entraînant une difficulté dans l’évaluation du temps et parfois du coût inhérents à ces démarches. – le caractère extrêmement chronophage de ces démarches qui nécessitent un temps d’appropriation d’un vocabulaire technique, un temps de rassemblement des pièces de dossiers (permis de construire, …) et de nombreux déplacements physiques (consultation du PLU en mairie, …) – la longueur des délais d’instruction des dossiers et le manque de traçabilité du dossier : il s’agit souvent de démarches qui se comptent en mois pour l’usager. Des progrès ont été accomplis au sens où l’administration s’est engagée à être plus réactive au moment de la réception du dossier pour en vérifier le caractère complet (réponse en moins d’un mois faute de quoi le dossier est automatiquement accepté) mais l’usager continue à avoir du mal à être au courant de l’état d’avancement de son dossier – le manque d’accompagnement et de conseil « technique» : les usagers sont également en forte attente d’un interlocuteur en mairie qui soit davantage qu’un référent administratif et puisse être en capacité de vulgariser des règles d’urbanisme assez complexe et d’apporter des conseils techniques.
Exemple 2 : « Je perds un proche »
Plus d’un Français sur dix a eu à gérer des démarches dans ce cadre au cours des deux dernières années. Ceux qui ont eu à le faire en sont d’ailleurs particulièrement mécontents : 40% déclarent que ces démarches étaient « assez » voire « très compliquées » ! (contre 28% en moyenne des démarches). L’analyse du parcours des usagers révèle en effet que celui-ci relève du parcours du combattant. Ce parcours met en lumière que les principales difficultés ressenties sont : – l’urgence dans laquelle il faut réaliser les démarches et leur empilement. La déclaration de décès doit par exemple être faite dans les 24h et le proche doit envoyer en moyenne près de 20 attestations à des organismes différents ; – le manque de centralisation des informations et d’accompagnement dans les démarches : les usagers ne savent pas ce qu’ils doivent faire et dans quel ordre. Par ailleurs ils ont « toujours peur d’en oublier ». Ils ne disposent pas d’un référent vers lequel se tourner pour les conseiller et se fient donc aux sociétés privées qui apportent un service apprécié mais « cher » selon les usagers – le seuil psychologique des 3 mois : les usagers sont la plupart du temps obligés de relancer les différents organismes ou d’effectuer certains démarches (comme la déclaration d’impôt) au-delà de trois mois. Or trois mois est un seuil psychologique au-delà duquel les proches aimeraient pouvoir réellement faire leur deuil. L’ensemble du dispositif permet ainsi d’aboutir à des pistes de simplifications partant des attentes des usagers en alimentant un processus continu de réforme de l’administration.