Le microscope à effet tunnel
ien que le concept de l’effet tunnel soit apparu dès les fondements de la théorie quantique, et ait rapidement servi à interpréter des phénomène variés (émission de champ, radioactivité α), la première observation d’un courant tunnel n’est reportée qu’en 1958 dans des jonctions de Germanium.
A la fin des années 1960, Young et ses collaborateurs mettent au point une sorte de microscope à effet de champ, appelé le Topografiner. Pourtant, ce n’est qu’en 1981 que G. Binnig et H. Röhrer mettent au point le microscope à effet tunnel (STM pour Scanning Tunneling Microscope en anglais), permettant d’obtenir l’image de la reconstruction 7×7 du silicium (111).
Ceci leur vaut le prix Nobel en 1986. En effet, leur microscope va révolutionner le monde de la physique des surfaces dans la mesure où, pour la première fois, il permet d’obtenir une image directe d’une surface sans avoir à passer par le réseau réciproque, et ce, avec la résolution atomique.
Principe de l’effet tunnel
La sonde utilisée pour l’étude de cette thèse est le microscope à effet tunnel. Cette section fait le lien entre le courant tunnel et le spectre du condensat qui permet de comprendre comment l’information sur la supraconductivité est extraite du signal mesuré.
Lorsque deux métaux sont séparés par une couche mince d’oxyde ou de vide de quelques longueurs atomiques, les électrons ont une probabilité non nulle de traverser la barrière par effet tunnel. Le couplage par effet tunnel est traité par Thersoff et Hamann comme une petite perturbation du Hamiltonien total des électrons de conduction où et sont respectivement les opérateurs de création et d’annihilation des électrons avec selon l’électrode considérée de part et d’autre de la barrière tunnel, et sont le coefficient de transmission tunnel entre les deux électrodes.
Le courant tunnel peut se décomposer en deux parties, l’une correspondant au courant allant d’une électrode a vers la deuxième électrode b e inversement pour l’autre partie (équation 1.1.2).
Elle est donc proportionnelle au produit des densités d’états à température nulle. A température finie, la conductance tunnel est différente de la densité d’états locale, cette dernière est convoluée avec la dérivée de la fonction des états à 300 mK. Les énergies des nanostructures supraconductrices de Pb/Si(111) que nous désirons mesurer sont de l’ordre de . Pour observer la signature spectroscopique associée, il est nécessaire de travailler à 300 mK : (figure 1.1.1).
La difficulté technique de la sonde STM est qu’on ne connaît a priori pas la densité d’états de la pointe. Les pointes STM sont donc faites en matériau « bon conducteur » dont la densité d’états est plate sur une gamme d’énergie de l’ordre de l’électron volt. Si la pointe a une densité qui ne dépend pas de l’énergie, alors la densité d’états de l’échantillon est déduite de la mesure de la conductance tunnel (équation 1.1.5).
Figure 1.1.1 : Conductance tunnel calculée à partir de l’équation 1.2.2 entre une électrode normale et une électrode supraconductrice en fonction de la température. Le gapen énergie est celui du plomb à température nulle. La conductance tunnel est donnée en unité de densité d’état normal considérée constante.
Effet tunnel et densité d’états supraconductrice
Figure 1.2.1 : Schéma de l’effet tunnel entre une pointe normale et un échantillon supraconducteur à très basse température.
Dans un métal supraconducteur, les électrons de conduction s’apparient en paires de Cooper. Il n’est pas possible de détecter des paires de Cooper dont l’énergie est comprise dans la fenêtre Δ,+Δ][- autour du niveau de Fermi avec une pointe dans l’état normal. Celle-ci sonde les quasiparticules à un électron (figure 1.2.1). Dans la théorie BCS, la densité d’états correspondante présente un gap en énergieΔ|| (équation 12.1 et figure 1.2.1 du présent chapitre, équation 2.2 et figure 2.2 du chapitre I).
Equation 1.2.1 : Densité d’états excités d’un supraconducteur conventionnel. est l’énergie de Fermi. est la densité d’états du système dans l’état normal.
Equation 1.2.2 : Courant tunnel entre une électrode normale de densité d’états constante et une électrode supraconductrice.
Le courant tunnel est nul pour une tension inférieure à l’énergie du gap, . Au-delà, il augmente et tend vers la loi d’Ohm linéaire (équation 1.2.3).
Equation 1.2.3 : Courant tunnel entre une électrode normalede densité d’états constante et une électrode supraconductrice.
Si le deuxième métal est lui aussi dans l’état supraconducteur, le courant s’exprime alors en fonction des deux densités d’états d’excitations.
Equation 1.2.2 : Courant tunnel entre deux électrodes supraconductrices
La microscopie à effet tunnel
Le microscope est un outil remarquable, il permet de mesurer la topographie des surfaces conductrices, de manipuler des atomes ou molécules en surface et de connaître la densité d’états locale de surface, c qui est spécifique à cette technique.
La dépendance exponentielle du courant tunnel avec la distance pointe-échantillon permet d’a ué i des a tes topographiques de la surface.
Les électrons passent à travers la barrière tunnel aux endroits où la transparence tunnel est la plus grande. Pour déterminer et contrôler cet endroit, les sondes STM sont façonnées en forme de cône. Sous l’hypothèse que les orbitales électroniques au bout de la pointe sont de symétrie , on applique l’équation de Schrödinger à travers une barrière énergétique carrée de hauteur et de largeur . La probabilité de transmission est une exponentielle décroissante (équation 1.3.1).
Equation 1.3.1 : Probabilité tunnel électronique à travers une barrière isolante carrée.
Pour des métaux comme l’or, le platine ou encore le tungstène couramment utilisés comme composant des pointes STM, le travail de sortie est de √ , alors le vecteur d’onde est l’ordre de quelques électrons-volts. Si .est l’échelle caractéristique.
Figure 1.3.1 : Schéma de la mesure topographique du STM
Le microscope à effet tunnel permet de sonder la topographie des surfaces conductrices. Une pointe est fixée à un ensemble piézo-électrique qui permet le déplacement spatial sous commande électrique (figure 1.3.1).
L’échantillon et cet ensemble sont reliés à un système d’asservissement. Celui-ci permet d’approcher la pointe de la surface. Si aucun courant n’est détecté entre la pointe et l’échantillon, le tube piézo-électrique s’étire. La résolution est très fine : pour une variation d’un Angström dans la direction Z, le courant varie typiquement d’un facteur 10.
Tout l’intérêt de la microscopie à effet tunnel réside dans le fait de balaye la surface avec la pointe tout en enregistrant les dénivelés enZ. En effet, la boucle d’asservissement maintient en temps réel la distance entre la pointe et la surface de telle sorte que le courant mesuré reste constant. Lorsqu’une variation du courant est détectée, la boucle de contre-réaction approche ou éloigne la pointe afin de le maintenir égal au courant de consigne. La résolution latéraleX-Y du microscope a été déterminée expérimentaleme elle est sub-picométrique. Les ajustements du tube piézo-électrique selonZ traduisent une hauteur locale topographique. On obtient ainsi une carte à trois dimensions de la topographie de la surface.
Seules des surfaces planes avec de faibles aspérités peuvent être topographiées.
Figure 1.3.2 : Schéma de la topographie enregistrée par rapport à la topographie réelle.
Par ailleurs, la pointe a un rayon de courbure non nul. Lorsque la pointe approche une aspérité, creux ou bosse, le canal de la pointe par lequel passe le courant tunnel change. Lorsque la pointe est au-dessus d’une surface plane, le canal est celui de l’apex C, c’est-à-dire l’atome le plus extrême de la pointe (figure 1.3.2). C’est en pratique la « bonne » pointe utilisée. Lorsque la pointe s’approche d’une aspérité, la distance est minimale entre un côtéB de la pointe et le côté de l’aspérité. Si le côtéCB de la pointe est moins pentu que le côté de l’aspérité, alors une zone de la surface est inaccessible pour la mesure, elle est dite zone d’ombre. L’étendue de ces zones d’ombre est déterminée par la hauteur des structures et les concavités relatives entre la pointe et les côtés des structures. Les aspérités proéminentes ont donc de dimensions apparentes plus larges qu’elles ne le sont en réalité et les aspérités creuses plus petites. Le système utilisé dans cette thèse e constitué d’îlots plats (aspérités proéminentes avec des bords relativement abruptes) sur une surface plane. Connaissant la structure cristalline de ces îlots, on en déduit l’îlot réel [Henry 2005].