La théorie des représentations sociales de Moscovici (1961) et son approche structurale

La théorie des représentations sociales de Moscovici (1961) et son
approche structurale

Origine et concepts clés de la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1961)

Cette section a pour intention de présenter dans un premier temps les fondements conceptuels sur lesquels s’est construite la théorie des représentations sociales de Moscovici (1961), puis dans un second temps nous nous intéresserons à ses postulats. Ensuite, nous montrerons que l’objet « égalité professionnelle femme-homme » est source de représentation sociale car il répond à tous les critères mis en lumière par le théoricien et complétés par Moliner (2001). Enfin nous présenterons les trois courants de recherche issus de la théorie des représentations sociales. Le dernier point sur l’approche structurale sera volontairement allégé puisque nous la détaillerons dans la seconde section de ce troisième chapitre. 

Les fondements conceptuels de la théorie des représentations sociales

A l’origine de la théorie des représentations sociales se trouve les travaux princeps réalisés par Serge Moscovici dans le cadre de sa thèse de doctorat, soutenue en 1961, ayant pour objet l’analyse de la pensée naïve relative à la psychanalyse, science encore peu connue au début des années 50, ainsi qu’à l’aspect dynamique des représentations sociales. Ce travail de thèse marquera un moment décisif pour la psychologie sociale débouchant sur la création d’un courant de pensée qui prendra son essor au début des années 80 et ne se limitera pas à la France (Lo Monaco et al., 2016). L’utilisation d’une théorie, d’autant plus quand elle n’est pas dans sa discipline, impose selon nous la compréhension des concepts qui sont à son origine. Concernant la théorie des représentations sociales, ceux-ci sont multiples. Nous allons dans les lignes suivantes essayer de retranscrire le cheminement de pensée de Moscovici. 

De la représentation collective à la représentation sociale

Le concept durkheimien de représentation collective Le premier concept qui servira de base de réflexion à Moscovici, fût formulé par Emile Durkheim en 1898. C’est la représentation collective. Selon Moscovici (1989), ce dernier oppose les représentations individuelles qui sont par nature temporaires et instables, aux représentations collectives qui, elles, sont objectives en raison d’une adhésion univoque. Ces dernières perdurent dans le temps grâce à leur stabilité ainsi que de leur capacité de reproduction, et ce, malgré leur caractère contraignant. Pour le sociologue, 96 les représentations individuelles se nourrissent des représentations collectives et non l’inverse : « Ensuite les représentations individuelles ont pour substrat la conscience de chacun et les représentations collectives, la société dans sa totalité. » (p.64). Une des plus grande critique que Moscovici adresse au concept de représentation collective de Durkheim est son incontestabilité et son immuabilité, puisqu’étant le produit du fait social. Durkheim, en conférant à la société une objectivité indubitable s’imposant aux individus, rend le concept de représentation collective rigide et ainsi peu à même, selon Moscovici (1961), d’expliquer les évolutions des sociétés actuelles caractérisées « (…) par l’intensité et la fluidité des échanges et communications, (…) fondées sur la pluralité et la mobilité sociale. » (Valence, 2010, p.16). En effet, pour Durkheim, la représentation collective est une « intelligence unique » (Moscovici, 1989, p.65) qui peut varier d’une société à l’autre : « Il propose une notion de représentations collectives en considérant qu’il y a des représentations qui sont partagées par tout le monde, donc collectivement, du simple fait de l’appartenance des individus à une société donnée » (Delouvée, 2016, p. 44). Il faudra attendre une cinquantaine d’années avant que ce concept ne soit retravaillé par le sociologue et anthropologue français Lévy-Bruhl (1951). Ce dernier, dans la lignée de Durkheim, montre, en s’intéressant aux mentalités civilisées et primitives, que l’abord des faits sociaux par le prisme individuel n’est pas pertinent. Ainsi, tout comme le souligne Laroche et Nioche (2015) au sujet des cartes cognitive57, Delouvé (2016) précise que « Les représentations collectives ne sont pas égales à la somme des représentations individuelles. » (p.44). Selon Moscovici (1989), un des apports les plus intéressants des travaux de Lévy-Bruhl (1951), réside dans la démonstration qu’il fait de l’existence de cadres sociaux différents (primitif/civilisé) constitués de représentations spécifiques que l’on ne peut pas comparer. La comparaison se faisant sur la base de nos propres représentations collectives établies dans la société à laquelle nous appartenons. Par ailleurs, et c’est un apport majeur, Lévy-Bruhl met en évidence qu’au sein même des représentations se trouvent des « (… structures intellectuelles et affectives (…)» (p.69). Une représentation serait donc constituée de différents éléments. Un autre scientifique aura une influence sur les travaux de Moscovici, c’est le psychologue suisse Jean Piaget. En effet, ce dernier en 1972, cherche à comprendre la manière dont les enfants se représentent leur environnement. Il montre qu’en fonction de leur âge, ou plutôt de leur développement psychique, les enfants en grandissant adoptent des modes de raisonnement différents faisant évoluer leur cadre normatif et voient la réalité changer. Si pour Durkheim, la 57 Se référer au point 2.3.1.3 du Chapitre 2 de ce manuscrit. 97 contrainte est une caractéristique de la représentation collective qui lui confère un pouvoir de cohésion, Piaget démontre que la coopération, c’est-à-dire les échanges sociaux, ont un impact sur l’évolution des représentations collectives. Il donne l’exemple du système de représentation d’un enfant et d’un adolescent. Pour le premier, le monde est constitué de règles imposées par les adultes, qu’il ne discute pas. Le second, en revanche, remet en cause le système de règles qui le contraint (émancipation) et par le biais des échanges sociaux avec des acteurs de son âge, il établit un nouveau système de régulation basé sur la coopération. Ainsi, au sein même d’une société existe des représentations différentes. Pour Piaget (1972), les représentations de l’enfant sont composées d’éléments empruntés à son environnement mais aussi de sa propre production imaginaire. Ce constat rappelle celui de Freud qui, lorsqu’il s’intéresse aux théories sexuelles de l’enfant en 1908, explique que les plus farfelues de celles-ci sont toujours basées sur une part de réel. La déviance de pensée opérée par les enfants au regard de celle imposée par les adultes, va créer une tension qui, selon Moscovici (1989), est indispensable à formation d’un savoir. 

LIRE AUSSI :  Les luttes de classes en France (1848-1850)

Le processus de conventionnalisation sociale de Bartlett (1932)

Selon Delouvée (2016), Moscovici va également s’inspirer des travaux du psychologue anglais Frederic C. Bartlett (1932) pour conceptualiser les deux processus grâce auxquels se créent les représentations sociales : l’objectivation et l’ancrage. En effet, c’est grâce à l’invention de la 98 technique de la reproduction sérielle, qui selon Cerisier et al. (2017/5): « consiste à présenter un matériau à un groupe et à observer son évolution à mesure qu’il est transmis de façon discursive à l’intérieur de celui-ci et que s’élabore une chaîne associative. » (p.327), que Bartlett mettra en évidence le processus de conventionnalisation sociale. Ce dernier présente à un groupe de personne des documents nouveaux avec d’une part des informations ne correspondant pas aux normes sociales des participants et d’autre part des informations conformes à leurs normes. Il observe ainsi la manière dont l’information est transmise oralement et son évolution. Le psychologue met alors en évidence le rôle prépondérant des échanges sociaux permettant la transformation d’un objet, en vue de le rendre conforme aux normes d’une société. Il souligne l’influence sur ce processus de la proximité physique des individus et des tendances persistantes caractéristiques d’une société donnée (Delouvée, 2016). 

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *