La théorie de l’activité et de l’action située
L’étude de la transmission et de l’apprentissage de connaissance dans les situations professionnelles comporte une partie implicite. Une analyse de l’activité des apprenants et/ou des formateurs est nécessaire pour étudier la transmission et l’apprentissage. L’utilisation de la théorie de l’activité permet d’étudier le transfert et l’articulation de connaissances. Lev Vygotsky est à l’origine de la théorie de l’activité. Selon ses travaux, l’apprentissage précède le développement et passe tout d’abord par une situation de collaboration. Il a élaboré le concept de zone proximale de développement d’où émerge le concept de médiation. « L’originalité de Vygotsky consiste à se saisir de la notion d’outil ou d’instrument pour l’élargir aux conduites sémiotiques : de même que l’action de l’homme sur la nature passe par la médiation de l’outil, intermédiaire entre l’organisme et le milieu physique, entre l’anticipation de l’action et sa réalisation, l’action de l’homme sur sa conduite ou sur celle d’autrui (et inversement l’action d’autrui sur sa propre conduite) est médiatisée par des systèmes de signes, que Vygotsky désigne sous le terme d’ « instrument psychologique », et dont il donne, pêle-mêle, les exemples suivants : « le langage ; les diverses formes de comptage et de calcul ; les moyens mnémotechniques ; les symboles algébriques ; les œuvres d’art ; l’écriture ; les schémas, les diagrammes, les plans ; toutes sortes de signes conventionnels. » (Rochex, 1997, p.119). La zone proximale de développement (ZPD) se caractérise par la distance entre le niveau actuel de développement des habiletés d’un individu et celui que la personne pourrait atteindre avec l’aide d’un facilitateur : c’est le développement des compétences, des connaissances que la personne pourrait atteindre, mais avec une aide.
Le social dans le raisonnement cognitif
Lev Vygotsky, psychologue russe, croyait que le développement cognitif était intimement lié au contexte social. Il « avançait que le meilleur moyen de développer des compétences cognitives est la participation guidée, une démarche à laquelle le tuteur accomplit des activités avec l’apprenti afin, d’une part, de lui enseigner les habiletés et d’autre part, de la faire participer activement à son apprentissage. Chacun apprend de l’autre à travers le langage et les activités dans lesquelles ils sont impliqués (Karpov et Haywood, 1998), parce que le développement cognitif se produit et émerge de situation sociale (Gauvain, 1998). » (Stassen et al., 2012, p.40). L’apprentissage guidé de Lev Vygotsky évoque l’idée selon laquelle il permettrait de diriger l’apprentissage des habiletés qu’il ne maitrise pas encore grâce à un guide. Cette zone de développement potentiel se nomme la zone proximale de développement. Ce guide amènera l’apprenant à combler l’écart qui existe entre ce qu’il a comme savoirs et qu’il maitrise vers un nouveau savoir, une nouvelle habileté. En effet, chaque apprenant a besoin d’être guidé pour comprendre les concepts qu’il ne maitrise pas complètement. La zone proximale de développement c’est « l’écart entre le niveau réel de développement des habiletés d’une personne et celle qu’elle pourrait atteindre avec l’aide d’un guide. C’est une zone métaphorique qui comprend les compétences, les connaissances et les notions qu’une personne est sur le point d’acquérir, mais qu’elle ne maitrise pas sans aide. » (Stassen et al., 2012, p.40). C’est l’interaction avec un enseignant et un apprenant qui permet la maitrise d’un nouveau savoir et une nouvelle habileté. Si nous schématisons cette approche du développement dans le processus d’apprentissage du raisonnement clinique infirmier, nous obtiendrons cela : 95 Image 12 : Schématisation de la zone proximale de développement de l’étudiant en soins infirmiers, interprétation personnelle L’étudiant en soins infirmiers arrive avec un « bagage » déjà acquis, selon Jean Piaget, vers l’âge de 7 ans de l’intelligence logique conceptuelle comprenant la compréhension des opérations logiques, l’interprétation des expériences d’une manière logique et rationnelle et le développement du raisonnement inductif. Et également, le développement de l’intelligence logique abstraite vers l’âge de 14 ans, qui permet l’extension à la capacité d’abstraction, à la formulation d’hypothèses et à l’élaboration de stratégies de vérification (le raisonnement hypothético-déductif). Même si cette acquisition contributive par stade a été un peu ébranlée par les récentes découvertes en neurosciences, il reste que ces prérequis sont présents à l’âge adulte, quel que soit l’itinéraire d’apprentissage emprunté par l’individu. Le formateur infirmier ainsi que les professionnels infirmiers, que l’étudiant en soins infirmiers va rencontrer tout au long de sa formation, vont le guider vers l’apprentissage du raisonnement clinique infirmier, processus complexe d’élaboration de problème de santé. Cependant, ces deux professionnels ne sont pas les seuls à guider ces étudiants.
Le système de pensée : système 1/ système 2
Notre cerveau, contrairement à ce que croyait Jean Piaget, n’est pas aussi logique qu’il pensait. Notre cerveau serait même illogique. Daniel Kahneman, professeur émérite à l’université de Princeton et spécialiste en psychologie cognitive et comportementale d’économie, a pu mettre en lumière ces deux systèmes de pensée grâce à ses travaux sur le jugement et la prise de décision. Ces travaux, qui lui ont valu un prix Nobel en 2002, nous expliquent les deux systèmes de notre pensée. « Nous avons deux systèmes de pensée qui se relaient, se complètent et provoquent nos erreurs de jugement […]. Les erreurs humaines ne sont pas toutes absurdes, irrationnelles, elles sont souvent le produit d’heuristique, de raisonnement qui semblent justes, mais ne le sont pas parce qu’ils reposent sur des biais cognitifs (raisonnements apparemment fiables, mais qui comportent des erreurs). » (Kahneman, 2012, p.21). Il existe deux types de pensée : Premièrement, la pensée rapide (système 1), associée à un raisonnement intuitif, aux heuristiques ; ce système 1 est automatique sous la forme d’émotions, de réactions, de récits, c’est notre pensée au quotidien. Daniel Kahneman la définit ainsi : « Le système 1 fonctionne automatiquement et rapidement, avec peu ou pas d’effort et aucune sensation de contrôle délibéré. » (Kahneman, 2012, p.29). Et deuxièmement, la pensée lente (système 2) qui nécessite un effort d’attention et un travail cognitif, associé à la logique, la réflexion et le self-control. Daniel Kahneman la définit ainsi : « Le système 2 accorde de l’attention aux activités mentales contraignantes qui le nécessitent, y compris des calculs complexes. Le fonctionnement du système 2 est associé à l’expérience subjective de l’action, du choix, et de la concentration […]. La principale fonction du système 1 est d’entretenir et d’actualiser en permanence un modèle de votre monde personnel, de ce que vous percevez comme normal. » (Kahneman, 2012, p.29).