La Thaïlande du traité de Bowring aux
années 1950
Les conséquences immédiates du traité de Bowring
L’impact de la pénétration occidentale sur la société siamoise
Le peuple thaï au contact avec l’occident
L’un des facteurs de transformation existant dans la société thaïe au début du XIXème siècle réside semble- t’il dans la nécessité où se trouvaient les souverains siamois de se constituer un trésor de guerre pour faire face, le cas échéant, à leurs besoins en matériel militaire. A une époque où celui-ci se perfectionne, le Siam, en effet, doit faire appel à l’étranger pour l’équipement de ses armées. C’est ainsi que nous voyons Taksin29, aux prises avec les birmans, faire appel à l’empereur Ch’ieng Lung de la Chine pour se procurer des équipements militaires. Plus tard entre 1818 et 1821, les navires américains qui viennent rendre visite à Bangkok sont particulièrement bien accueillis parce qu’ils apportaient des armes à feu. Cette fourniture d’armes à feu était l’activité à laquelle les siamois attribuent, sous le début du règne de la dynastie des chakri30, le plus grand prix. Il semblerait donc que le choix du royaume de s’ouvrir aux puissances occidentales soit motivé avant tout par la volonté du roi de sécuriser son territoire. Après la victoire britannique en 1826 sur les birmans, considérés à l’époque comme les ennemis héréditaires des thaïlandais, la nécessité de se procurer des armes occidentales ne pouvait qu’apparaitre plus évidente encore aux yeux des dirigeants siamois. Ceci passe par le développement des ressources monétaires du pays pour pouvoir intégrer le commerce international. Toutefois, les premières tentatives des occidentaux pour s’ouvrir la porte du commerce siamois allèrent se heurter à une forte résistance. Car l’ouverture commerciale du pays implique ipso facto la disparition des monopoles royaux d’exportation et risque donc de tarir la principale source de revenu monétaire de l’Etat. Elle implique donc une refonte des institutions à laquelle le gouvernement siamois n’était nullement préparé. A cela s’ajoute la 29 Noble d’origine chinoise, Taksin, un chef militaire talentueux. En un an, il parvint à battre l’armée d’occupation birmane et reconstruire un état siamois dont la capitale fut installée à Thonburi, sur la rive gauche de la Chao Praya. Taksin fut couronné roi le 28 décembre 68 (son nom officiel est maintenant Taksin le Grand). Il unifia à nouveau le centre de la Thaïlande, et en 69 il occupa l’ouest du Cambodge. Il rétablit ensuite la domination siamoise sur la péninsule malaise, jusqu’à Penang. Avec une base forte au Siam, Taksin attaqua les Birmans dans le Nord en 74 et s’empara de Chiang Mai en 76, rattachant le royaume de Lanna au Siam de façon définitive. 30 A la mort du général Phya Taksin, la couronne échoit au général Phya Chakri, fondateur de la dynastie des Chakri et de la nouvelle ville capitale de Bangkok. Il a régné de 82 à 1809.De nombreuses confrontations ont opposé les thaïlandais aux birmans entre le XVIIème et le XVIIIème siècle. Les birmans sont sortis vainqueur pour la plupart grâce notamment à l’efficacité de leur armée mais aussi au manque criard de logistiques de guerre de celle des thaïlandais. 28 mise en garde des commerçants chinois 32 aux dirigeants thaïlandais contre les ambitions anglaises. Les émigrants chinois constituent les indispensables agents commerciaux et les équipages des navires royaux. Ils nourrissent eux-mêmes l’exportation de nouveaux produits agricoles comme le poivre, la canne à sucre, coton etc., ce qui permet d’introduire ainsi au Siam la culture de plantation. Ainsi à coté du secteur traditionnel d’autosubsistance, apparait et se fortifie un noyau d’économie monétaire qui profite à l’Etat siamois et aux chinois. C’est la raison pour laquelle ces derniers vont s’opposer aux tentatives britanniques d’ouverture du marché local au profit des marchands des Royaumes Unis. C’est ainsi que la mission Crawfurd de 1821-1822, à la fin du règne de Loetla Naphalai (RamaII)33, rencontra un échec complet. Celui ci est donc le résultat de la volonté de l’Etat de ne pas perdre ses privilèges mais aussi celui des commerçants chinois. Les contacts du royaume siamois avec l’occident remontent au XVIème siècle avec comme principaux précurseurs les portugais. Mais jusque dans les années 1800, le royaume avait privilégié ses relations avec les nations voisines comme l’Inde et la Chine. Ce choix se justifie à plus d’un titre : C’est d’abord des raisons géographiques car ces pays se trouvent comme le Siam sur le continent Asiatique. Cette proximité permet une circulation fluide et plus rapide des biens et des personnes entre ces nations. Ensuite la barrière linguistique qui freinait les ardeurs des occidentaux, ne se pose pas entre ces nations. D’autant plus que la plupart des siamois avaient quitté la Chine au XIII ème pour le Siam. Enfin, le choix du roi de privilégier ses relations avec la Chine et l’Inde s’explique par le fait qu’il partage les mêmes croyances traditionnelles et religieuses comme le bouddhisme. Ainsi le choix du roi de vivre sans les Occidentaux était des plus compréhensibles. Le pays n’avait apparemment aucun souci pour vivre sans les occidentaux. Toutefois avec l’arrivée Nangklao (Rama III) 34, les données vont changer. Il s’engage à changer le cours des relations internationales de son pays. Ce choix se matérialise par la signature de traités avec les puissances occidentales.Les chinois étaient les principaux bénéficiaires mais aussi incontournables au système existant. Deuxième souverain de la dynastie chakri qui a régné de 1809-1824. En fait, ce n’est que depuis Vajiravudh (19-1925) que les souverains siamois sont désignés de leur vivant sous le nom de règne de Rama, suivi d’un numero. Si Nangklao a accepté de signer le 20 juin 1826 un traité d’amitié et de commerce avec la Grande Bretagne, ce n’est pas seulement du fait de l’habileté du négociateur britannique, le capitaine Burney, mais parce que les inconvénients de l’ouverture du pays ne paraissent pas au roi, moins lourds qu’à son prédécesseur. Et aussi en 1826, les anglais viennent de faire la preuve de leur force en triomphant des birmans, considérés comme les plus redoutables adversaires de Siam. Le Roi ne voulut pas au début répondre favorablement aux demandes britanniques, mais ses conseillers le mirent en garde : le Siam va connaître le même destin que la Birmanie si on n’accepte pas les demandes des Anglais. Si nous analysons de prés ces propos, nous constatons que c’est par peur de perdre sa souveraineté que le Siam a accepté la proposition britannique. Il semble donc que le poids de la crainte, même s’il n’est pas la seule raison, a beaucoup pesé sur la décision du roi de collaborer avec l’occident. Le roi était obligé de céder, s’il ne veut pas que son royaume soit annexé par une puissance occidentale.il importe donc de gagner la sympathie des britanniques. En plus pour le roi la vraie menace sur la Thaïlande vient surtout des français que des britanniques. Car ces derniers étaient intéressés par les avantages commerciaux, tandis que les premiers cherchent à bâtir un empire colonial. Les Français occupent Saigon en 1859 et établissent un protectorat sur le Vietnam du Sud et l’Est du Cambodge. Ainsi le roi espère que les britanniques défendront le Siam s’il leur accorde les concessions économiques qu’ils demandent. Cela s’avère par la suite être une illusion, mais par chance, le Siam est considéré par les britanniques comme une sorte de zone tampon entre la Birmanie britannique et l’Indochine française. Il doit en contrepartie céder certaines parties de ses territoires aux puissances étrangères. Traité de Burney du nom du capitaine Burney, négociateur britannique, fut le premier traité signé par les autorités siamoises avec une puissance occidentale 30 Territoires perdus par le Siam entre 1867 et 1909. www.wikipedia.org// Thaïlande À la mort de Rama III, en 1851, Mongkut (Rama IV)36 fut porté sur le trône de préférence à l’un de ses neveux. Quatre ans plus tard, sir John Bowring, se présente à Bangkok, porteur de pouvoirs de la reine Victoria, pour négocier un nouveau traité d’amitié et de commerce entre la Grande Bretagne et le Siam. La sagesse de Rama IV évite au Siam l’exemple du Vietnam et de la Chine, occupés par des forces étrangères. Le traité qui, négocié en moins d’un mois, limite entre autres, à 3% ad valorem la taxe payable à l’importation par les marchandises britanniques, autorise l’importation d’opium et prévoit à l’exportation des droits négociés entre les deux parties. Les sujets britanniques peuvent acheter ou louer des terrains à proximité de la capitale et bénéficient du droit d’extraterritorialité. Un consul britannique devait en effet résider à Bangkok et exercer sur ses compatriotes un droit de juridiction civile et criminelle. 36 (1851-1868) Britannique spécialiste des politiques économiques.Toutefois il convient de signaler que la signature de ce traité de Bowring même si elle a permis au royaume de se sauver des prétentions coloniales des puissances européennes, elle a provoqué la perte de sa souveraineté douanière. C’était le prix à payer pour ne pas finir comme la Birmanie ou encore le Cambodge, ses voisins. Les autres puissances occidentales s’empressèrent de demander des concessions identiques, qu’elles obtinrent. Des traités analogues à celui signé avec les britanniques furent conclus avec d’autres puissances étrangères comme la France et les Etats-Unis en 1856, le Danemark et les villes hanséatiques en 1858, le Portugal en 1859, la Hollande en 1860 et la Prusse en 1862.Lorsque se termine le règne de Mongkut(ou Rama IV) en 1868, les négociations menées par Bowring pour le compte du Siam avec quatre autres pays encore : la Belgique, l’Italie la Suède et la Norvège, achèvent l’ouverture du royaume thaï au commerce de l’ensemble de l’Europe occidentale. Ces traités vont avoir dans l’immédiat un double résultat : Tout d’abord, ils font disparaitre les ressources traditionnelles de l’Etat et contraignent les souverains thais à une refonte complète des finances publiques. Ensuite ils permettent de développer progressivement le champ de l’économie monétaire. Par exemple Les cotonnades anglaises bon marché dont l’arrivée s’est accélérée avec l’ouverture du canal de Suez en 1869 et la généralisation de la navigation à vapeur, créent dans la population un besoin d’argent. Ce besoin va être satisfait par le développement d’une riziculture d’exportation avec le marché malais. Le contact avec l’Occident va ainsi provoquer avec la monétisation, des modifications profondes des structures techniques, administratives et surtout économiques thaïlandaises, qui tendent vers la modernisation et l’européanisation.
L’européanisation des structures administratives et techniques du Siam
L’œuvre de Mongkut pour la modernisation de l’administration siamoise reste peu conséquente. Les transformations techniques qu’il introduit n’ont qu’un caractère fragmentaire. Ses efforts pour moderniser l’administration consistent en fait à s’attacher les services d’un certain nombre d’Européens39 dont certains occuperont des postes de responsabilité comme directeurs des douanes, commandant de port ou encore chef de la Il se limite à favoriser la construction navale (ce qu’avait déjà fait son prédécesseur) et entreprendre avec l’aide des missionnaires la frappe d’une monnaie de type occidental en 1861 ainsi que la création d’une imprimerie d’Etat. 39 Ils étaient au nombre de 84 au cours de son règne. 32 police. La personnalité la plus connue parmi ces occidentaux était celle d’Anna Leonowens qui fut la gouvernante des enfants royaux. L’enseignement de la langue anglaise fut ainsi favorisé dans l’entourage du souverain et tout le personnel de l’administration. L’influence occidentale va jusqu’à la vaccination des enfants des hauts fonctionnaires et des membres de la famille royale. Le roi Mongkut est convaincu, grâce à ses nombreux voyages en occident que la modernisation des différentes structures de son Etat était la seule voie de salut pour combler le gap qui sépare le Siam des puissances occidentales. Toutefois à la fin du règne de Mongkut, en 1868, le Siam reste un pays techniquement arriéré, incapable de résister par ses propres moyens aux pressions dont il faisait l’objet. Si la Grande Bretagne avait trouvé intérêt à défendre l’existence du royaume, ce n’est pas seulement par ce qu’elle en était devenue le principal fournisseur et que les exportations siamoises passent en grande partie par Singapour et Hong Kong40. C’est aussi que le Siam, en se modernisant, avait prouvé qu’il était viable. Cette œuvre de rénovation est pour la plus grande part à mettre à l’actif de Chulalongkon dont le règne a duré ans. L’œuvre de Mongkut (Rama IV) pour la modernisation de l’administration siamoise semble moins colossale, comparée à celle de son successeur, le roi Chulalongkon (Rama V). Ce dernier n’avait que 16 ans à la mort de son père Rama IV. Ainsi le nouveau règne commença par une régence41 qui dura jusqu’à la fin de 1873. Le jeune roi qui avait reçu sa première formation de Mrs Leonowens, puis d’un anglais du nom de Robert Morant, employa ces cinq années (1868-1873) à des voyages à Calcutta, à Singapour et à Java, qui le persuadèrent davantage encore de la nécessité de moderniser son pays. Dés son avènement en 1873, il frappa un premier coup en abolissant la coutume de la prosternation devant le souverain. Mais c’est surtout la reforme de l’administration qui constitue son œuvre la plus importante. Dés 1874, c’est la création de deux conseils : d’abord un conseil d’Etat de à 20 membres choisis par le roi parmi les princes et la noblesse viagère et dont le rôle, purement consultatif, fut d’abord d’examiner la nouvelle législation fiscale43 ; ensuite un conseil privé dont les effectifs ne sont pas limités et dont les membres 40 Singapour et Hong Kong étaient sous le contrôle des anglais et constitués les principales bases navales britanniques en Asie du Sud-est. Le roi n’ayant pas l’âge requis pour être porté sur le trône, une régence constituée par les fortes têtes de la cour royale était chargée d’assurer l’intérim. Gouvernante des enfants de la famille royale. Elle était chargée d’éduquer les enfants sont invités à faire des suggestions au roi ou à lui rapporter les faits dont ils auraient eu connaissance. Avant d’entreprendre des réformes, Rama V voulait avant tout mettre fin à l’isolement dans lequel se trouvait le monarque siamois traditionnel. Il n’est pas question cependant pour lui d’abandonner une seule de ses prérogatives : Chulalongkon reste un souverain absolu. Dés cette époque s’ouvrent également dans l’enceinte du palais deux écoles destinées aux princes et aux fils de nobles et où l’enseignement était donné dans l’une en thaï, dans l’autre en anglais. De la, sortiront des hommes comme le prince Devawongse qui sera ministre des affaires étrangères en 1893, ou le prince Damrong, artisan à la fin du siècle de la grande réorganisation administrative. L’administration centrale fut ensuite progressivement réorganisée sur une base fonctionnelle. Dés 1875, les départements des Finances et des Affaires étrangères furent séparés. En 1887 est crée un ministère de la Défense, en 1890 un ministère des travaux publics et un ministère de l’Education dont le rôle consiste à mettre en place, dans le pays même, un appareil d’enseignement contrôlé par l’Etat et à détecter les meilleurs éléments qui sont ensuite envoyés à l’étranger pour parfaire leur formation. En 1891, un ministère de la Justice était établi avec la tache d’organiser dans tout le royaume des tribunaux destinés à remplacer les anciennes cours dépendant des différents départements. Enfin en 1892, alors que la tension avec la France approche de son stade le plus aigu et comme si cette crise avait joué le rôle de stimulant, eut lieu la réforme décisive : abolition des deux anciens postes de premier ministre détenteurs des départements Nord et du Sud dont les tâches étaient désormais confiées à un ministère de l’intérieur, et création d’un cabinet composé de 12 ministres de rang égal. Toutefois, c’est en 1894 qu’intervient la grande réforme de l’administration provinciale avec l’abandon de l’ancienne division des provinces en quatre classes. Le pays fut désormais divisé en 18 cercles (monthon) dirigés par des commissaires royaux. Ces cercles furent à leur tour divisés en provinces (changwad) et celles-ci en districts (amphur). La réunion de dix muban formait en principe une commune (tambol) administrée par l’un des chefs de village élu par ses pairs. Cet encadrement administratif rationnel allait permettre en même temps l’abolition de l’ancien système du patronage : les siamois vont désormais dépendre directement de l’Etat. M. Kanoksak Kaewthep, les transformations structurelles et les conflits de classes dans la société rurale thaïlandaise, d’après l’étude d’un cas : la federation de la paysannerie thaïlandaise (farmer’s federation of Thailand-FFT-).p88-89. 34 En ce qui concerne l’armée, sa modernisation avait été accélérée par la création en 1885 d’un collège militaire. En 1904, une loi de conscription universelle mit fin au système de recrutement traditionnel. Pour s’assurer la loyauté de cette armée Chulalongkon eut d’ailleurs soin de nommer aux postes militaires supérieurs ses propres fils qui avaient reçu une formation militaire en Europe. Ces lignes montrent dans une certaine mesure, que le roi est très influencé par ce qui se passe en Occident. Il a su profiter de toutes les connaissances acquises durant ses séjours en Europe pour restructurer l’appareil étatique du royaume. En espérant que ces décisions porteront bientôt leurs fruits, des efforts sont déployés pour former au Siam même, un personnel capable de faire fonctionner les nouvelles institutions. C’est dans ce contexte qu’on assiste à la création d’une école de droit, de collèges militaire et naval, d’une école de médecine. Cette initiative a comme principal impact de réduire le nombre d’étudiants thaïs en Occident. Même si le roi et les hauts fonctionnaires envoyèrent toujours leurs enfants étudiés à l’étranger. Malgré l’ouverture des écoles de formations en Thaïlande, le roi faisait appel à l’expertise des européens. Ces derniers étaient même placés à la tète de plusieurs départements de l’Etat. Cette situation n’est pas sans explication. En effet, en attendant que ces nouvelles écoles fournissent des thaïlandais biens formés, le pays doit faire face à une déficience de ressources humaines qualifiées. C’est pourquoi la modernisation du Siam ne peut se faire au départ sans un appel systématique à des experts occidentaux. D’abord employés surtout dans des postes subalternes, ceux-ci apparaissent dans les années 1890 aux échelons les plus élevés. C’est d’ailleurs grâce à eux que la plupart des services ministériels nouvellement crées commencent à fonctionner. Il était donc vital et obligatoire pour le roi de travailler au début aves des non- thaïlandais qui maitrisaient les rouages d’un Etat. Tout comme dans le secteur administratif, la signature du traité de Bowring a aussi engendré des mutations profondes dans l’économie thaïlandaise qui tend vers la monétisation. Chapitre II : La transformation de l’économie siamoise et ses conséquences I) La monétisation de l’économie du royaume. 1) Le développement d’une économie monétaire et ses principales conséquences Si au milieu du XIXème siècle on a pu discerner au Siam l’existence de ce qu’on peut appeler une économie dualiste pré – occidentale, il faut bien reconnaitre que le secteur monétaire était à cette époque infiniment moins important que le secteur non monétaire. Surtout si l’on prend pour base le nombre d’individus vivant dans chacun d’eux. Quatre-vingts ans plus tard, au contraire, le secteur monétaire avait pris un développement considérable45, au point d’englober une très large fraction de la population. Il est d’ailleurs, difficile d’apprécier l’importance de cette fraction. Mais on peut toutefois admettre qu’en 1930 la grande majorité des habitants du royaume connaissent l’usage de la monnaie. Ce développement fulgurant de la monétisation s’explique par l’ouverture au commerce mondial. Si les britanniques encouragent le développement de la culture de rente, c’est d’abord parce qu’Ils veulent que les paysans thaïlandais se consacrent davantage à la riziculture. Cela va permettre l’approvisionnement des colonies comme la Malaisie où le riz est considéré comme l’aliment de base. Les paysans thaïlandais sont ainsi de plus en plus poussés vers la commercialisation de leur produit. Mais aussi par ce que la commercialisation du riz va permettre aux paysans siamois de détenir de la monnaie et de pouvoir acheter les marchandises importées de la Grande Bretagne. Ainsi les occidentaux, particulièrement les britanniques, ont beaucoup œuvré pour le développement de la monétisation au Siam. Toutefois si l’économie monétaire avait pris une grande extension, elle resta très inégale : d’abord dans l’espace ou elle ne s’étendit pas à tout le territoire, et ensuite suivant les groupes ethniques qui jouèrent dans les échanges des rôles très différents. Le développement de l’économie monétaire au Siam, dans la seconde moitié du XIXème siècle et le premier tiers du XXème siècle, n’est autre chose que la conséquence de l’insertion du pays dans les marchés mondiaux. Les importations sont constituées avant tout par des produits 45 Ingram(j.c), Economic change in Thailand since 1850.p22 36 manufacturés où les textiles représentent le poste le plus important, suivis par les produits métalliques divers et les machines, les sacs de jute, indispensables pour l’exportation du riz. Viennent ensuite les denrées alimentaires auxquelles on peut rattacher les boissons alcoolisées. Le riz qui, à lui seul, représente prés des trois quarts du total, provient pour la plus grande part de la plaine centrale. Ceci s’explique à la fois par les conditions dont bénéficie cette dernière et par les handicaps jouant au détriment du Nord et du Nord-est. Ces deux régions produisent surtout du riz glutineux, impropre à l’exportation, et sont au surplus éloignées de la mer. C’est au Sud qu’il faut attribuer l’exportation des autres matières premières : minerai d’étain, caoutchouc et coprah . Il convient de signaler le rôle encore très modeste joué dans la première moitie du XXème siècle par les exportations siamoises de caoutchouc estimées à moins de 5000 t par an. Leur place par rapport à l’étain était à cette époque exactement l’inverse de ce qu’elle deviendra vers 1955, année où les exportations de caoutchouc représenteront en valeur les trois cinquièmes des exportations de riz. En 1928 au contraire, l’étain était de loin la principale ressource financière du Sud. La main d’œuvre employée n’était pas assez conséquente. La majorité de la population du Sud pratique encore de l’agriculture de subsistance, celle ci étant toutefois complétée par un très modeste revenu monétaire provenant de la pêche côtière et de la vente d’animaux de boucherie sur les marchés locaux. Ainsi l’analyse des exportations siamoises, compte tenu de leur provenance régionale, laisse donc supposer que si l’économie monétaire avait déjà pris un développement considérable dans les années précédant immédiatement les événements de 1932 avec déclin de la monarchie absolue, seule la population de la région centrale en est affectée dans son ensemble. En 1930, c’est-à-dire à un moment où la crise économique mondiale a commencé à atteindre le Siam et plus particulièrement la région centrale, le revenu monétaire moyen des familles rurales y est plus de trois fois supérieure à celui des familles du Nord-est.
INTRODUCTION GENERALE |