La temporalité conséquente des fonctions des principes de la commande publique.

La temporalité conséquente des fonctions des principes de la commande publique

La temporalité du droit des contrats publics étant démontrée, il convient de tirer les conséquences fonctionnelles de cette approche conceptuelle du droit de la commande publique. Les développements qui suivent doivent donc être consacrés à révéler l’utilité de la distinction chronologique des phases des procédures de passation, dans la mesure où « on ne distingue pas pour distinguer » 1186. Bien que plus difficile à saisir 1187, cette approche fonctionnelle reste fondamentale, car elle donne un sens et une utilité à la systématisation des temps de la commande publique. Ce découpage temporel est utile pour préciser les fonctions-fins de chaque principe1188 . Autrement dit, ce sont les finalités propres à chaque principe qui peuvent être dévoilées par une approche temporelle du droit de la commande publique. L’idée est de démonter qu’il existe une véritable temporalité dans l’application des principes, une articulation temporelle des principes, qui découle de la chronologie dégagée lors du chapitre précédent. Cette approche fondée sur le facteur temps permet de singulariser chaque principe au sein de l’ensemble qu’ils forment, en rattachant les objectifs temporels et précis dégagés précédemment, à un principe spécifique. Cette démarche aboutit à l’adoption d’une classification solide et définitive des principes ainsi que de leur finalité respective, classification qui, actuellement, reste confuse1189. Ainsi, l’idée soutenue est que pour chaque temps et chaque objectif, correspond un principe de la commande publique (Section 1). Dès lors, un principe sert un objectif déterminé, lequel est attaché à une phase précise du processus d’achat public. C’est donc à partir de la systématisation des temps de la commande publique qu’il est possible de dégager une logique propre, une individualité caractéristique à chaque principe. À partir de cette approche temporelle des principes de la commande publique, il convient de se pencher sur leur articulation. La question qui se pose est de savoir si cette distinction temporelle des fonctions propres de chaque principe se traduit par une séparation étanche de ces derniers au sein du tout qu’ils forment, ou si, malgré la singularité fonctionnelle dont ils disposent, ils entretiennent quand même des relations juridiques, hiérarchiques, parallèles ou complémentaires. L’articulation des principes de la commande publique est fondée sur l’articulation temporelle des objectifs (Section 2). L’approche temporelle constitue ainsi une clé de lecture pertinente pour révéler les fonctionsfins de chaque principe. Cette démarche suppose de rattacher deux logiques, une temporelle dégagée dans le chapitre précédent, et l’autre principielle, et ce à partir d’éléments épars permettant de déceler l’esprit propre à chaque principe. Il s’agit donc d’opérer une liaison entre ces deux logiques. Les procédés de liaisons sont « des schèmes qui rapprochent des éléments distincts et permettent d’établir entre ces derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit à la valoriser positivement ou négativement l’un par l’autre » 0. Le temps et les principes sont, de prime abord, deux éléments distincts. L’ambition de ces développements consiste à révéler le lien existant entre les différents temps qui caractérisent le droit de la commande publique et les principes. Deux conséquences positives découlent de ce rattachement, qui sert tant les objectifs que les principes. Premièrement, la liaison de chaque principe à un objectif précis, au moyen du temps, permet de préciser les implications des principes en les singularisant dans leur finalité. Deuxièmement, les objectifs inhérents au régime de la commande publique disposent, en conséquence, d’un fondement principiel pour acquérir une certaine effectivité. En effet, « le terme d’objectif ne possède tout simplement pas d’épaisseur juridique. Il ne renvoie à aucun concept établi par le système juridique et ne 0 C. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation, éd. de l’université de Bruxelles, préf. M. MEYER, 5ème éd., p. 255. 260 forme à lui seul aucun régime » 1. La liaison entre les principes et les objectifs permet à ces derniers d’acquérir cette effectivité. Cette méthodologie2 aboutit donc à la conclusion qu’il existe une véritable temporalité des principes de la commande publique. Ils n’interviennent pas nécessairement au même moment, dans le but de servir le même objectif. Ils n’ont pas, pour reprendre les termes de Nicolas Boulouis 3, la même essence, et cette différence d’essence peut s’expliquer par une temporalité distincte et la poursuite d’objectifs spécifiques à chacun. 

 La concordance des fonctions et des temps

Afin de démontrer la temporalité des fonctions des principes, il est possible de procéder de la manière suivante. Il convient de rechercher, parmi les principes de la commande publique, celui qui se rattache le mieux à chaque logique temporelle préalablement définie4. Il s’agit d’établir une solidarité entre les temps et les principes, afin de structurer et de valoriser les règles du droit de la commande publique par une définition plus précises des principes. Cette solidarité est justifiée par l’existence de similitudes entre une logique temporelle et une logique principielle. Chaque principe développe avec un temps déterminé une certaine concordance. Pour procéder à cette liaison, doivent être mis en avant divers éléments relatifs aux principes, comme leur sémantique, leur origine, leur esprit tel qu’il ressort des textes et de la jurisprudence. Il s’agit de réunir diverses données qui permettent de donner un sens à chaque principe, dans le but de le rattacher à une logique temporelle. Cette démarche permet de démontrer qu’il existe une véritable temporalité dans l’application de chaque principe de la commande publique, le facteur temps précisant les fonctions propres  à chacun. Cette conception temporelle des principes ressort de certains écrits doctrinaux, sans faire l’objet de plus d’approfondissement. Gregory Kalflèche 5 dissocie les principes justifiant les procédures de passation des principes renforçant les procédures de passation. Ainsi, il distingue les principes intervenant en amont de la procédure et ceux intervenant pendant la procédure : la distinction repose donc sur un critère temporel. Florian Linditch6 évoque également l’existence d’une temporalité des principes. Selon cet auteur, le Code des marchés publics décline le principe général d’égalité de manière chronologique : « d’abord, permettre à l’ensemble des opérateurs de présenter candidatures et offres en réalisant une publicité suffisante ; ensuite leur garantir que leurs propositions seront traitées de manière équitable (…) ; enfin, l’obligation de transparence ex-post impliquera que l’administration puisse justifier après coup de l’impartialité de sa consultation » 7. Catherine Ribot distingue « selon une approche chronologique du processus de passation du marché, le moment de l’accès des soumissionnaires aux informations leur permettant de préparer une offre, et le moment où les offres présentées par les candidats sont examinées par le pouvoir adjudicateur, et où il est question alors de l’égalité de traitement des candidats » 8 . Pierre Delvolvé 9 adopte également une approche temporelle des principes. L’auteur répertorie trois principes de base de la commande publique : la liberté, l’égalité et la publicité. Ils distinguent, parmi ces derniers, les principes relatifs à l’utilisation de la commande publique et les principes relatifs à la mise en œuvre de la commande publique. La première catégorie est subdivisée en deux types de principes : ceux concernant le recours à la commande publique, ceux concernant le recours au type de commande publique. Il en est de même pour la deuxième catégorie, subdivisée comme suit : les principes relatifs à l’attribution de la commande publique, et les principes relatifs à l’exécution de la commande publique. Ainsi, l’auteur distingue, par une approche chronologique, quatre grandes phases, dont il étudie distinctement les principes directeurs : le recours à une procédure de passation, le choix de la procédure de passation, la mise en œuvre de la procédure de passation, et l’exécution du contrat.L’approche temporelle révèle qu’au temps de l’accès (paragraphe 1), de la mise en concurrence (paragraphe 2) et de la fin de la procédure (paragraphe 3) doivent être rattachés les principes de la commande publique, afin de préciser leurs fonctions propres au sein du tout qu’ils forment. La liberté d’accès prédomine dans le premier temps ; l’égalité de traitement et la transparence sont effectives dans le deuxième temps ; la transparence est le seul principe du dernier temps.

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  Le premier temps et la liberté d’accès

 C’est logiquement par le premier temps de la commande publique que doit commencer le rattachement entre les logiques temporelles et principielles. Il convient donc de rappeler la logique attenante à ce premier temps (A), pour ensuite rechercher quel est le principe qui s’y rattache le plus (B). Différents éléments démontrent que la liberté d’accès à la commande publique concorde avec ce premier temps, les deux logiques de chacun étant ciblées sur l’accès à la mise en concurrence. 

La logique du premier temps de la commande publique

 Le premier temps est celui de l’accès à la commande publique. Après la détermination de l’existence obligatoire d’une procédure de passation0, sa finalité est de permettre l’accès à la mise en concurrence à tous les opérateurs économiques susceptibles d’être intéressés par le contrat. A contrario, l’objectif de ce temps est de limiter les entraves possibles dans l’accès des candidats aux contrats de la commande publique. Par conséquent, l’objectif est d’appeler « le plus grand nombre possible de concurrents : on aura ainsi plus de chances d’obtenir des conditions meilleures (loi de l’offre et de la demande) » 1. Cet objectif d’accès, véritable phase préparatoire à la procédure de mise en concurrence, comprend plusieurs éléments. Ils résident en l’absence de libre choix si une procédure de passation est obligatoire, susciter une concurrence suffisamment large et saine au travers de l’information donnée aux candidats potentiels, déterminer des critères de sélection des candidatures qui n’entravent pas de manière injustifiée cet accès, limiter tous les éléments de fond et de forme injustifiés qui empêchent un opérateur économique intéressé de participer à la procédure. Au-delà de tels éléments, cet objectif comprend les démarches favorisant l’accès de certains candidats, tels que l’allotissement2, l’accès des PME (petites et moyennes entreprises) à la commande publique 3 ou encore l’accès des personnes publiques aux contrats de la commande publique. Ce temps, poursuivant un objectif d’accès à la mise en concurrence, est donc empreint d’une logique économique4. Axé sur l’existence d’une concurrence large et idéale, il permet à tous les opérateurs économiques sur le marché d’avoir une chance d’accéder au contrat. En outre, l’information préalable quant à l’existence de la procédure est empreinte d’un impératif concurrentie , la publicité créant, en ce qu’elle attire les différentes offres, un marché concurrentiel6. À cet égard, il n’est pas surprenant que certaines décisions du début du siècle dernier évoquent, pour des affaires relatives à ce temps, le principe de libre concurrence 7 . Ce temps aboutit à une véritable mise en concurrence donnant lieu, ultérieurement, au choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, ou au choix du cocontractant. Les logiques de ce temps s’opposent par conséquent à une sclérose du marché de l’achat public. En droit de l’Union européenne, la possibilité d’accès des entreprises ressortissantes d’autres États membres à certains contrats atteste de cette logique économique d’ouverture du marché européen à la concurrence8. Le droit de l’Union se tourne en effet vers l’offre, et laisse la place à une problématique centrée autour de l’entreprise soumissionnaire, de l’environnement économique et des rapports concurrentiels entre entreprises9. À ce titre, il convient de souligner que le droit de la commande publique européen découle directement des grandes libertés économiques contenues dans les traités0. Sans entrer dans le domaine du droit de la concurrence qui reste différent du droit des contrats1, il est possible de constater que la poursuite de l’efficience économique n’est pas étrangère à cette phase de la commande publique 2 . Il semble bien que l’objectif est ainsi « de créer un marché (au sens économique) où se rencontrent la demande des entités adjudicatrices et l’offre des opérateurs économiques » 3. Ce temps est donc axé sur les conditions d’application de la concurrence, préalable indispensable à la mise en concurrence elle-même, ces deux phases étant distinctes

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