La technologie RA de l’enseignement de la technologie à l’outil
Approches philosophiques et sociétales de la technologie
Technologie et transmission des valeurs de la république Lors de sa conférence du 09 mars 2016 au salon Educatec (Paris, Porte de Versailles), Michel Rage, inspecteur général de l’éducation nationale et doyen du groupe Sciences et Techniques Industrielles caractérise la technologie de la façon suivante : « La technologie, une discipline d’enseignement ouverte sur les autres ». En effet, par son ouverture sur le monde contemporain et la prise en compte de son environnement, la technologie complète et prolonge les sciences fondamentales, tout autant qu’elle les précède. Elle possède ses propres connaissances et démarches, contribuant ainsi depuis toujours { l’avancement des sciences et au progrès de la société moderne. La technologie ne se réduit donc pas seulement aux applications des principes physiques qui régissent les phénomènes mis en jeu dans les objets techniques, mais elle exige l’identification et la prise en charge des différentes contraintes qui interviennent dans « la vie de ces produits ». Les notions de cycles de vie sont donc abordées, prenant La technologie RA de l’enseignement de la technologie à l’outil 15 en compte les phases allant de la conception à la destruction et donc au recyclage, en passant par la réalisation et l’exploitation. L’enseignement de la technologie développe ainsi chez les élèves des aptitudes pour appréhender les objets techniques selon différents points de vue (Deforge, 1985 ; Simondon, 2012) visant prioritairement le développement des aptitudes citoyennes en abordant les objets techniques dans leurs dimensions humaines. C’est { dire en permettant aux élèves de développer des compétences comportementales indispensables pour s’intégrer dans la vie active (travail en équipe, prise de décisions multicritères, approche itérative dans la détermination d’une solution qui n’est jamais unique…). C’est dans cette optique que la notion de projet technologique (Hérold & Ginestié, 2009) est fortement plébiscité dans cette matière car mener à bien un projet dans sa globalité fait appel au développement de la culture de l’engagement telle que définie dans le bulletin officiel (BOEN n°30 du 26 juillet 2018). C’est-à-dire, une culture qui nécessite de la part des élèves un engagement construit autour de l’implication, la responsabilité et le rapport { l’avenir. La mise en œuvre de projet mobilise la collaboration et ses apports pour l’apprentissage. Heutte (2003, p. 49) propose dans ses réflexions sur l’apprentissage collaboratif, la définition suivante : « Dans le cas d’un travail collaboratif, il n’y a pas de répartition a priori des rôles : les individus se subsument progressivement en un groupe qui devient une entité à part entière. La responsabilité est globale et collective. Tous les membres du groupe restent en contact régulier, chacun apporte au groupe dans l’action, chacun peut concourir { l’action tout autre membre du groupe pour en augmenter la performance, les interactions sont permanentes… ». La dimension environnementale est tout aussi cruciale car elle permet de prolonger la sensibilisation débutée { l’école, sur le développement durable, lors des cycles 1, 2, 3. La dimension socio-économique est abordée, car un produit technique, quelles que soient sa complexité, sa « beauté » et la qualité des solutions technologiques qu’il regroupe ou des services qu’il peut rendre, n’a de sens que s’il trouve des utilisateurs et des acquéreurs. La dimension systémique, nécessaire pour appréhender les produits techniques dans leur globalité et leur complexité, en intégrant la multiplicité des contraintes, pour dégager des compromis et les relativiser. La dimension créative est aussi abordée, afin de répondre (ou devancer) les nouveaux besoins exprimés par 16 l’Homme et ainsi s’adapter { de futurs besoins, aux nouveaux procédés, aux nouveaux matériaux et aux nouveaux comportements sociaux. Enfin, la dimension historique, permet de replacer les solutions technologiques dans un contexte temporel qui prend en compte l’évolution des procédés et des techniques, et des besoins de l’Homme. La technologie étant la science des systèmes artificiels (Simon, 1991) créés par l’homme pour répondre { ses besoins, elle étudie les relations complexes entre les résultats scientifiques, les contraintes socio-économiques, environnementales et les techniques qui permettent de créer des produits acceptables économiquement et socialement. Les relations entre la technologie, les sciences et la culture évoluent, elles sont désormais de plus en plus intégrées (Raynaud, 2016). Les sciences et la technologie se complètent mutuellement et ne peuvent plus être étudiées de façon indépendante. Il en est de même de l’évolution des modes de vie qui sont intimement liés à l’innovation technologique et aux progrès scientifiques. Son enseignement doit donc permettre de doter chaque citoyen d’une culture faisant de lui un acteur éclairé et responsable de l’usage des technologies et des enjeux éthiques associés. C’est dans ce contexte que l’enseignement de la technologie se positionne aujourd’hui comme un enseignement de plus en plus général et culturel visant l’acquisition de compétences partagées et spécifiques pour concevoir et réaliser les systèmes de demain. Il participe de façon déterminante { l’approche de la complexité et de l’environnement social du réel technique. Il permet ainsi l’acquisition de comportements essentiels pour la réussite personnelle et la formation du citoyen, comme le travail d’équipe, le respect d’un contrat, l’approche progressive et itérative d’une solution qui n’est jamais unique, la prise de décisions multicritères sur la base de compromis acceptables, l’utilisation de démarches de créativité.
Les défis et objectifs sociaux de la technologie
Suite aux différentes vidéos diffusées par la société Boston Dynamics (Morgane Tual, « Le nouveau robot humanoïde qui tombe, se relève, et ouvre les portes » sur lemonde.fr, 24 février 2016) montrant les capacités de ses robots humanoïdes, beaucoup s’inquiètent de voir ces systèmes de plus en plus intelligents et craignent qu’ils puissent un jour remplacer les humains dans certaines tâches. « There’s excitement from the tech press, but we’re also starting to see some negative threads about it being terrifying, ready to take humans’ jobs » écrivait Courtney Hohne, la directrice communication de Google (Hern, 2016). Dans un même temps, leur robot « Handle » marque une nouvelle avancée technologique qualifiée d’impressionnante et très prometteuse par la presse spécialisée. Nous pouvons donc résumer par cet exemple contemporain que la technologie de demain, aussi pointue soit elle, est { la fois synonyme de craintes et d’espoirs. Quoi qu’il en soit l’humanité évolue, va de l’avant, progresse. La tendance est clairement orientée vers un accroissement des compétences et des connaissances de tout un chacun. Dans cet environnement, la meilleure manière d’obtenir un cerveau augmenté est de lui proposer, sans cesse, de nouveaux axes d’apprentissage (Bohler, 2013). Pour lui, si nous déléguons cette mémoire à des systèmes techniques ou des technologies externes, la créativité en pâtira. Seule la mémoire intégrée peut générer de la créativité. Nous faisons donc apparaitre ici les relations qui coexistent entre la volonté d’accroissement des connaissances et le progrès technologique. Le danger est que cette accessibilité universelle s’apparente { un frein { la compréhension et ne permette plus d’appréhender les systèmes technologiques qui nous entourent. Pour s’affranchir de cette ambiguïté, la technologie peut être vue comme un outil de la pensée complexe. C’est avec cette réflexion que nous pouvons comprendre les systèmes techniques et les objets qui nous entourent. Ces systèmes sont de plus en plus présents dans notre quotidien, ils sont devenus une part indissociable de notre évolution. Les analyses de Simondon (2012) et celles de Leroi-Gourhan (2014) abondent dans ce sens. C’est dans cette continuité que s’inscrit l’objectif principal de l’éducation technologique { travers les différents programmes du ministère de l’éducation nationale (MEN, 2008). Toutefois, la bonne compréhension d’un système technique n’est pas forcément évidente, la différence entre son étude et son interprétation peut aboutir à une incompréhension et 18 devenir sans intérêt pour l’élève. Pour contourner cet écueil, certains dispositifs peuvent être utilisés dans le système éducatif. Si, dans l’enseignement de la technologie au collège notamment (Ginestié, 1999), les systèmes ou objets techniques sont étudiés ou développés de manière séquentielle, voire linéaire, en respectant par exemple le déroulement des démarches de projet, les enjeux de cette éducation ne doivent pas nécessairement rester linéaires. Les études contemporaines sur la conception, l’analyse décisionnelle, l’intelligence artificielle ou l’étude des rapports de l’éducation technologique avec l’intelligence, sont autant d’axes pour tenter d’associer les systèmes techniques et leurs compréhensions. Nous pouvons éventuellement nous demander quels sont les enjeux directement liés à la bonne compréhension d’un système. La plusvalue éducationnelle de la compréhension doit pouvoir trouver des prolongements sur le plan sociétal. Nos travaux sont donc étroitement liés { l’importance que prend l’éduction technologique. Nous étudions donc les différentes stratégies propres à la technologie qui ont pour objectif de mieux comprendre le fonctionnement d’un système. Dans le domaine des sciences de l’éduction, il est commun de penser que l’analyse de ces systèmes est un des moyens d’activer cette compréhension (Musial & Tricot, 2008 ; Musial, Pradère & Tricot, 2012). En fonction des systèmes techniques étudiés, l’analyse peut être perçue comme une procédure aisée. Il n’en est rien. En effet, il se pose le problème de la perception que l’on a de l’objet lui-même. A ce titre Simondon (2012) souligne qu’un système simple par sa forme et sa matière peut se révéler être complexe { fabriquer. Cet objet peut toujours être perçu comme complexe, on ne peut s’arrêter { une analyse qui se baserait sur une perception subjective simple ou non de l’objet. Afin d’explorer un peu plus cette réflexion sur la complexité, les problèmes rencontrés par la description d’un objet technique constitué de plusieurs composants, sont rapidement mis en avant. La description d’un système pluri technique tel qu’une automobile peut rapidement s’avérer être un exercice délicat car il correspond selon Akrich (1987) à « la mise en forme d’un ensemble de relations entre des éléments tout { fait hétérogènes ». Même si l’objet technique fait apparaitre des relations entre différents constituants, de nombreux problèmes liés principalement à la description apparaissent. Cette description peut prendre de multiples formes telles que les représentations graphiques, 19 schématiques, interactives soit autant de solutions possibles pouvant être utilisées en fonction du besoin. Concernant les représentations, Simondon (2012) a insisté sur la dimension universelle de la description graphique sous ses différentes formes, telles que les images, les schémas, vis-à-vis des descriptions purement verbales. Toutefois, en ingénierie et en fonction de la spécialité technique étudiée, les systèmes technologiques à analyser peuvent être de natures diverses. Leurs représentations peuvent faire apparaitre des rapports d’échelles, des vues cachées, voire même des relations avec d’autres systèmes externes. Les ressources numériques doivent donc être adaptées pour rendre possible la visualisation d’éléments nécessaires { la bonne compréhension du fonctionnement du système. Les vues éclatées, les représentations en trois dimensions, les plans de câblages dynamiques peuvent, par exemple, s’avérer être des compléments d’informations déterminant pour mieux comprendre les diverses interactions d’un objet technique complexe. Il peut s’agir d’une simple représentation thermique, ou bien d’une représentation faisant apparaitre les contraintes physiques liées à une pièce soumise à des efforts mécaniques sévères, ou encore aux cheminements de diverses informations numériques circulant au travers de circuits électroniques. L’objectif de ces représentations converge toujours vers un seul et même but : proposer une information complémentaire se substituant au réel. L’information complémentaire n’est pas nécessairement une information « de plus », elle peut être aussi une sélection sur une information particulière à laquelle on accède en simplifiant le réel.