La sur-médiatisation du rapport aux destinataires
Quels standards communicationnels les colloques et congrès de restitution mettent-ils en œuvre et comment ces derniers agissent-ils ?
Pour répondre, les éléments de cadrage de la situation de communication seront analysés. Le sens que les acteurs donnent à ces situations est perceptible par les prises de parole inaugurales proposant, voire prescrivant des modalités relationnelles et comportementales, ainsi qu’à travers le choix des dispositifs de communication mis en œuvre. Quelles symboliques du dialogue les dispositifs proposent-ils et comment sont-elles investies par les participants ? En l’occurrence ce sont des tables rondes qui incarnent des formes de dialogue sciences et sociétés avec les destinataires supposés de la recherche155, pour lesquels modèles et figures médiatiques sont mobilisés.
Prescription relationnelle
Séminaires mi-parcours et colloques de restitution sont l’objet de prises de parole institutionnelle de la part des tutelles ministérielles mais aussi des responsables locaux. De quelles représentations de la communication ces événements se revendiquent-ils et quelles sont les places et relations qu’ils proposent aux participants ? Après avoir fait le point sur la nature du public du colloque de DIVA, je montrerai l’importance des introductions des représentants du Ministère de l’Ecologie dans DIVA. Enfin nous verrons les manières dont Inbioprocess ouvre un espace familier marqué par une conception de l’excellence scientifique incarnée.
Public des séminaires et colloques DIVA, quelques repères
Le colloque de restitution s’est déroulé à Rennes les 4, 5 et 6 avril 2011. De même que les séminaires l’ayant précédé, ce colloque met en présence les équipes de recherche, le conseil scientifique, le comité d’orientation et des invités.Si le nombre des membres du conseil scientifique reste égal, le comité d’orientation est davantage présent au colloque de restitution alors que les membres des équipes sont légèrement moins assidus qu’aux séminaires. C’est principalement la proportion des invités qui varie : en minorité dans les précédents séminaires, les invités représentent plus de la moitié (69%) de l’assemblée à Rennes. Mais qui sont-ils ? Un tiers s’avère être d’autres chercheurs, 24% des représentants de l’Etat dont la plupart viennent d’administrations déconcentrées qui pourraient ainsi s’inscrire, avec les représentants des collectivités et les représentants d’espace naturel ou d’association, dans la catégorie des acteurs des territoires. Bien que le questionnaire ne permette pas de préciser l’origine géographique des participants, il semble, d’après la liste des participants que les 271 acteurs des territoires viennent particulièrement des régions autour de Rennes (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Normandie) et que cet événement se soit inscrit à l’agenda politique local. S’il est difficile de saisir l’engagement des différents participants, le taux de réponse au questionnaire constitue une indication intéressante. Je rappelle que la démarche autour du questionnaire a été expliquée lors de la distribution, puis évoquée à la tribune de telle manière qu’il constitue un élément de cadrage de l’événement .La répartition des répondants en fonction des statuts des participants montre que ce sont les chercheurs des équipes et du conseil scientifique qui ont massivement répondu à ma demande. C’est la portion des participants qui me connaissait le mieux (action transversale plus séminaire mi-parcours) et qui est la plus impliquée dans DIVA. A l’inverse, dans la catégorie des invités, les chercheurs sont les grands absents (13% seulement de répondants) : les listes correspondent-elles vraiment au public en présence ? Cette population n’avait pas été particulièrement anticipée, aussi ne s’est-elle peut-être pas reconnue dans les questions posées. L’interconnaissance serait-elle un facteur déterminant la réponse au questionnaire voire à l’engagement156 dans le colloque de restitution ? L’interconnaissance au sein du colloque est assez faible, 65% des individus répondant au questionnaire affirment connaître moins de dix personnes. Seuls certains membres d’équipes, membres du conseil scientifique ou du conseil d’orientation connaissent une trentaine de personnes ou plus. Aucun des « invités » n’a participé à DIVA 1 ni aux séminaires miparcours de DIVA 2. La continuité de DIVA est alors assurée par le seul conseil scientifique et quelques membres des équipes de recherche. Le comité d’orientation semble sujet à un important renouvellement. Si le faible nombre de répondants au questionnaire ne permet pas de valider cette hypothèse, les observations ethnographiques157 tendent à montrer que les nouveaux membres du comité d’orientation ont des attentes spécifiques par rapport à la thématique de la trame verte et bleue, sujet de l’appel à projets DIVA 3. La thématique « trame verte et bleue » arrive d’ailleurs en tête des thématiques dans lesquelles les nonchercheurs sont impliqués professionnellement. Par ailleurs, sur les 80 manifestations sur les questions Agriculture, biodiversité et action publique citées par les participants comme le dernier événement suivi, seul 6 d’entre eux se recoupent dont seulement 2 plus d’une fois. Ces événements sont des colloques, conférences, réunions, festivals, journées d’étude etc. nationaux ou régionaux traduisant la diversité des manifestations de ce domaine. L’ensemble des répondants forme un groupe relativement homogène par rapport au niveau de formation : tous ont un diplôme d’étude supérieure et 93% des répondants ont un bac+5 et plus. Le nombre de femmes est légèrement supérieur et une majorité de participants a moins de quarante ans. Les non-chercheurs dominent légèrement l’assistance (53% sur les listes et 52% en fonction du questionnaire). Une partie du questionnaire portait sur leurs relations aux chercheurs. Au vu du faible nombre de répondants (41% pour cette partie du questionnaire), les résultats ne peuvent être qu’indicatifs. Il semblerait que les professionnels présents soient fréquemment en lien avec les chercheurs, plus de la moitié serait au minimum en contact mensuellement. Ces contacts se dérouleraient principalement à l’occasion de manifestations scientifiques ou par le biais d’expertise, de suivi ou de participation à des programmes de recherche ou encore par le biais du conseil scientifique d’une structure (association de protection de la nature, conseil régional etc.). La plupart disent avoir accès à des productions scientifiques, que ce soit des outils produits par les chercheurs (cartes, indicateurs…), des articles de vulgarisation ou des rapports ; certains affirment également avoir accès à des articles. Les professionnels présents semblent côtoyer l’univers scientifique, suivre l’activité d’autres programmes scientifiques (notamment le programme Casdar ou ceux de la Fondation française pour la biodiversité) et les manifestations de la communauté de recherche. Ainsi, les réponses au questionnaire ne semblent pas s’organiser selon la dichotomie chercheurs/nonchercheurs. 65% des répondants suivent l’activité de programmes de recherche sans que leur statut (chercheur/non-chercheur) ne puisse constituer une variable significative de leur distribution dans les différents programmes de recherche. De même, les non-chercheurs ne semblent pas avoir des attentes significativement différentes des chercheurs eux-mêmes (khi2=9,67 ; ddl=9 ; p=0,377). En effet, le colloque permet principalement pour les participants : « d’échanger avec d’autres professionnels », « d’accéder à de nouveaux savoirs », « de s’informer sur les politiques publiques » et « de faire des rencontres professionnelles dans un cadre convivial ». Par ailleurs, les chercheurs répondent également 273 pouvoir « faire connaître leur travail » et les non-chercheurs avoir accès « à l’interprétation des chercheurs ». Les attentes des participants touchent également à ce que certains nomment les « retours d’expérience ». Il s’agit alors de pratiques de terrain, notamment autour de la trame verte et bleue, de protocole, de méthode ou de mise en œuvre de mesures dont les participants attendent un compte-rendu. Le thème de la communication au sein du colloque s’exprime dans les termes d’« échange », de « prise de connaissance », « d’accès » mais il s’organise aussi autour de la rencontre d’autres cultures professionnelles. Certains parlent de « confrontation recherche/aménagement », « de dialogues entre chercheurs de différentes disciplines et entre chercheurs et acteurs publics », « d’acteurs clé », de « collègues » ou « partenaires » à rencontrer. Une symétrie entre acteurs peut être présente : « rencontre des collègues et professionnels qui travaillent sur la TVB » même si l’échange avec les chercheurs reste une motivation importante, notamment pour les étudiants.
Un espace communicationnel sur-mesure
L’ouverture des séminaires et de colloque est toujours le fait de la directrice du service de la recherche du MEDDTL (Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement), Claire Hubert, qui témoigne de l’intérêt que son service porte à DIVA. Ces prises de parole inaugurales inscrivent systématiquement le programme au sein d’une politique ministérielle globale, renvoyant à une histoire, à des documents et des objectifs. Quel espace communicationnel ces interventions visent-elles à créer ? Pour les séminaires mi-parcours, l’histoire des successions du personnel administratif, celle de la réorganisation des services, est l’objet d’explication de la part de Claire Hubert qui tient notamment à ne pas porter seule la responsabilité de l’absence d’un-e chargé-e de mission dédié-e à DIVA ou la faible présence des représentants du Ministère. Dans le cas du colloque de restitution c’est la succession de DIVA 1, 2 et 3 qui est commentée et mise en perspective avec une histoire des politiques publiques agri-environnementales. C’est aussi son identité singulière, qui, avec un brin d’affection, est présentée à l’assistance : « DIVA, pourquoi DIVA ? DIVA parce que c’est le programme chéri peut-être au service de la recherche mais surtout c’est l’acronyme qui a été choisi pour politiques publiques, agriculture et biodiversité. Nous avons l’habitude de donner des acronymes à nos programmes de telle façon que les gens se l’approprient et puis après il y a un petit peu un phénomène de marque ; c’est un projet DIVA ou ce n’est pas un projet de DIVA, mais si c’est un projet DIVA, c’est un petit plus. » L’identité collective est exprimée de manière spécifique au colloque de restitution à destination des invités non familiers du programme. Les valeurs fondatrices du programme sont énoncées ; de la même manière que dans les conférences internationales (Cali, 2001), ce rappel va permettre d’installer les conditions d’un échange entre les acteurs. Ces principes originaux sont généralement reliés à la mission du service de la recherche : « (…) pourquoi ils [Ministère] font de la recherche, il n’y a pas besoin de chercheur dans une administration. Je leur explique que l’essentiel de notre objectif c’est vraiment d’animer le débat entre les décideurs, les services de notre Ministère et la communauté scientifique. » (Bourboule) En effet, le programme est conçu comme un outil du service de la recherche pour structurer des communautés scientifiques ainsi que pour alimenter l’administration en nouvelles connaissances. Ce qui se passe autour de la production des connaissances, l’interconnaissance et l’intercompréhension lors du colloque, est explicitement exprimé et encouragé. Le colloque, manifestation phare du programme, est investi par les discours d’ouverture de fonctions relationnelles et communicationnelles fondamentales : 275 « En fait, j’allais dire ces échanges pour nous sont aussi importants que les résultats scientifiques au propre sens du terme. (…) Il s’agit aussi de créer une relation de confiance et de partage entre tous les acteurs. Donc aujourd’hui, demain et après-demain vous êtes ensemble, je vous incite très fortement à discuter entre vous. Il ne s’agit pas là d’une présentation seulement des résultats de recherche, il s’agit aussi de trois jours d’échanges, et le succès du colloque se mesurera à la qualité de ses échanges. » (Rennes) Injonction à l’échange, les prises de parole rituelles ont elles-mêmes une valeur performative puisqu’elles marquent l’intérêt et l’écoute d’une représentante de l’administration envers un public de chercheurs. En effet l’affirmation appuyée d’une volonté de dialogue vise à créer la situation d’échange souhaitée alors même que les interlocuteurs politiques ne sont pas particulièrement assidus aux séminaires : « Il ne faut pas pour autant renoncer à discuter parce que je pense que ce sujet est très intéressant et que même entre vous et nous, vous allez pouvoir beaucoup progresser et beaucoup nous apporter. » (Dombes)
Conclusion
La présence des destinataires de la recherche aux colloques et congrès de restitution est un symbole du caractère socialement pertinent des recherches. Cette présence est soulignée par les prises de parole inaugurales et des types de sociabilité où des comportements sont tournés de manière à prendre le contre-pied de la formalisation et de la standardisation des dispositifs de communication mobilisés. Ainsi, les acteurs agissent comme s’ils avaient l’obligation de mobiliser des formats de communication socialement légitimes sans adhérer véritablement aux conceptions de la communication véhiculée par ces derniers. Le rapport aux non-chercheurs est particulièrement rendu visible par les tables rondes selon des modalités inhabituelles : les professionnels invités sont effectivement des interlocuteurs plus ou moins réguliers des chercheurs à qui l’on propose une configuration de traduction ou de médiatisation de leurs discours. Si la « mise en représentation » est plus ou moins explicite, elle est néanmoins investie et déplacée par les acteurs présents et, de ce fait, elle dit quelque chose des dynamiques relationnelles existantes. Des spécificités locales ou thématiques surgissent et surtout les destinataires disparaissent au profit d’intermédiaires ayant également leur propre public destinataire et leur propre agenda quant à la mobilisation des recherches scientifiques. Ainsi, à propos des relations aux interlocuteurs locaux, les logiques de projet sont hybridées avec des dynamiques collaboratives locales auxquelles elles offrent un lieu de médiatisation. Il nous semble à ce stade que cette médiatisation peut éventuellement constituer une épreuve pour les relations de collaboration mises sous les projecteurs. Dans Inbioprocess comme dans DIVA, les relations résistent partiellement à cette technicisation du symbolique