La stratégie d’anticipation procédurale en matière civile

La stratégie d’anticipation procédurale en matière civile

Une imprévisibilité limitée

 La publication d’une nouvelle loi ou d’un règlement en cours d’instance – La question se pose notamment de savoir si la loi nouvelle doit s’appliquer lorsqu’elle est moins sévère que la loi ancienne. Certes, en matière pénale, il est fait exception au principe de la nonrétroactivité des lois lorsque la loi nouvelle est plus douce que la loi ancienne. En matière civile, la solution semble dépendre du droit transitoire. Par exemple, dans le cas où la loi nouvelle prévoit qu’elle ne sera pas applicable aux procédures en cours, même si elle est déjà entrée en vigueur, la situation du contractant dont le sort est réglée par la loi ancienne est donc prévisible lors de la conclusion du contrat même si la non-application de la loi nouvelle est critiquable au regard de la solution plus favorable pour ce dernier qui pourrait en résulter6 . Lorsque la loi ne  prévoit pas de dispositions transitoires, la solution semble moins prévisible. Si la loi nouvelle rend valide une clause contractuelle qui devrait être nulle conformément à ce que prévoit la loi ancienne, les juges font application de la loi nouvelle comme le montre l’exemple de la clause compromissoire insérée dans un contrat conclu en matière civile entre deux professionnels avant l’entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 . L’imprévisibilité de la solution ne semble sur ce point guère préjudiciable aux contractants même si la solution qui en résulte est obligatoirement défavorable pour l’une des parties eu égard à leurs intérêts divergeants. En effet, d’une manière générale, au moment de la conclusion du contrat, les parties souhaitent que les clauses qu’elles y insèrent soient valables8 . De plus, étant donné qu’en matière d’interprétation des conventions, en application de l’article 1157 du Code civil, les actes doivent être interprétés en faveur de leur validité plutôt que de leur nullité9 , il est logique de faire application de la loi nouvelle lorsque celle-ci rend valables ces derniers0 . Par ailleurs, avec le développement des moyens de télécommunication, les justiciables peuvent s’informer des projets de loi et ainsi anticiper l’effet de la nouvelle loi sur leur éventuelle action en justice. De plus, d’une manière générale, le législateur énonce que « les jugements passés en force de chose jugée » sous l’ancienne législation seront préservés1 . La loi nouvelle ne doit pas modifier les décisions judiciaires qui sont devenues irrévocables2 . De même, le droit européen est soucieux de préserver les principes de confiance légitime et de sécurité juridique. Ce faisant, comme en droit français, la norme nouvelle s’applique normalement immédiatement aux situations en cours et ne remet pas en cause les droits définitivement acquis. Ainsi, l’Union européenne engage sa responsabilité dès lors qu’elle « supprime ou modifie une règlementation existante, de manière immédiate et imprévisible, sans motif péremptoire d‟intérêt public » 3. Par ailleurs, la prise de mesures rétroactives ne s’effectue que dans le respect du principe de sécurité juridique4. Ainsi, en vertu de ce dernier principe, les citoyens devraient pouvoir croire en une certaine stabilité des règles de droit et de leur interprétation5 . Selon Roubier, il s’agit de « la première valeur sociale à atteindre » 6 . Il semble donc que la sécurité juridique soit une des caractéristiques du droit moderne permettant de le distinguer du droit traditionnel7 . Si le principe de sécurité semble trouver un écho dans l’article 2 du Code civil qui énonce le principe de la non-rétroactivité de la loi, il en est de même à l’égard du juge qui a en principe l’obligation de statuer en application des règles de droit et non pas en tenant compte de l’équité qui est subjective et qui en conséquence s’oppose à toute prévisiblité8 . Toutefois, si concernant les validations législatives, le Conseil constitutionnel réaffirme sa position dans la décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 20089, la sévérité dont il fait preuve à l’égard d’un règlement ou d’une loi pour respecter le principe de sécurité juridique ne se retrouve pas pour ce qui a trait aux décisions de justice2590 comme nous le verrons dans les pages qui vont suivre. Selon Gény, tantôt les textes de lois « sont conçus par leur auteur comme devant limiter absolument l‟interprétation : ce sont des textes raides, insusceptibles d‟élargissement ou d‟extension ; le législateur qui les édicta a entendu trancher seul tout le débat. Tantôt, au contraire, la formule de la loi s‟offre en une forme souple qui invite l‟interprète à s‟en servir comme d‟une assise sur laquelle il élèvera des constructions nouvelles dont le texte n‟aura fait que diriger l‟élan : ici la loi s‟est faite ellemême malléable et féconde ».

L’évolution de la jurisprudence 

 Définition de la jurisprudence en tant que source de droit

Si la jurisprudence, au sens large du terme, désigne « l‟ensemble des décisions rendues par les juridictions », dans un sens plus étroit, elle désigne « la façon dont telle ou telle difficulté juridique est habituellement tranchée par ces mêmes juridictions » 2592. En d’autres termes, « ce sont des règles que l‟on peut déduire de la succession des décisions judiciaires » 2593. En fonction de la nature du droit invoqué, l’on pourra parler de « jurisprudence constante » en la matière ou de « jurisprudence fixée » ou encore de « revirement de jurisprudence ». Toutefois, le degré de cette prévisibilité dépend de la force accordée à la jurisprudence et rejoint la question de savoir si la jurisprudence est une source du droit. Si quelques auteurs émettent des doutes, nombreux sont ceux qui ont une vision plus tranchée2594. Alors que certains énoncent qu’il existe des « règles jurisprudentielles », d’autres affirment à l’inverse que la jurisprudence ne constitue pas une source de droit2595 . Même si nous excluons ce débat de notre étude, nous raisonnerons en nous fondant sur la thèse selon laquelle la jurisprudence est une source de droit bien qu’il soit plus exact de dire qu’elle est une source indirecte du droit en ce qu’elle donne des raisons au législateur de créer de nouvelles lois et au juge de décider2596 et nous ferons état tant des arguments tendant à l’imprévisibilité  résultant de l’interprétation des lois par les juges (A) que de ceux qui, au contraire, tendent à une certaine prévisibilité en la matière (B)

LIRE AUSSI :  Structures synchronisées dans les écoulements inhomogènes de convection mixte en milieu poreux

Les arguments tendant à l’imprévisibilité de l’interprétation des lois par les juges 

 Une possible interprétation contra legem de la loi par les juges – Concernant l’interprétation des textes de lois, on peut faire le parallèle avec l’interprétation d’une oeuvre musicale. L’analyse des décisions des juges est importante car « les lois ne prennent de sens que celui que leur prête la jurisprudence » 2598 . D’ailleurs, parfois, la Cour de cassation semble jouer le rôle d’un législateur. Tel est notamment le cas lorsqu’elle rend une décision qui va à l’encontre de la loi comme le montre un arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation rendu le 18 janvier 2001, ayant trait à la compétence territoriale en droit des contrats, dans lequel elle effectue une interprétation contra legem de l’article 46 du CPC afin de rendre une solution en accord avec ce que prévoit le droit communautaire et notamment la convention de Bruxelles en la matière . D’où l’incertitude liée à la multiplication des normes originaires d’ordres supranationaux ou de différentes Cours souveraines au sein d’un ordre interne.La diversité des normes de référence – Dans un arrêt de la Chambre mixte du 24 mai 1975, Cafés Jacques Vabres, la Cour de cassation a décidé qu’une loi contraire à un traité pouvait ne pas être mise en œuvre au regard de l’article 55 de la Constitution selon lequel le traité est supérieur à la loi2600. Cette dernière peut donc être écartée par la Cour de cassation comme le montre l’exemple précité avec l’interprétation contra legem. Le Conseil d’Etat, quant à lui, a décidé dans un arrêt Nicolo de 1989 qu’il lui incombait également de contrôler la conformité de la loi au traité. S’il revient aux deux cours supêmes d’effectuer un tel contrôle, une anticipation en la matière est parfois difficile2601 à moins de connaître parfaitement les dispositions issues des conventions européennes ainsi que la jurisprudence de la Cour EDH et de la CJCE devenue la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), celles-ci ayant notamment.

Table des matières

PREMIERE PARTIE : LA STRATEGIE D’ANTICIPATION APPLIQUEE AU LITIGE
TITRE 1 : La stratégie dans les solutions contractuelles de prévention ou de résolution du litige
Chapitre 1 : La stratégie dans la prévention du litige
Section 1 : L’anticipation de l’interprétation du contrat
Section 2 : L’anticipation des conflits d’interprétation du contrat
Chapitre 2 : La stratégie dans la résolution du litige né
Section 1 : La stratégie consistant à se faire justice à soi-même de manière provisoire ou
définitive
Section 2 : Une stratégie risquée au regard de l’éventuelle tactique de l’adversaire
TITRE 2 : La stratégie dans le choix du mode de règlement du litige
Chapitre 1 : La stratégie dans le règlement négocié du litige
Section 1 : Le choix du recours aux modes alternatifs de règlement du litige
Section 2 : Le choix d’un mode alternatif de règlement du litige adapté
Chapitre 2 : La stratégie dans le règlement arbitral du litige
Section 1 : Le choix du recours à l’arbitrage
Section 2 : L’efficacité de la stratégie dans le choix du recours à l’arbitrage
DEUXIEME PARTIE : LA STRATEGIE D’ANTICIPATION APPLIQUEE AU PROCES
TITRE 1 : La stratégie dans la décision d’agir en justice
Chapitre 1 : La stratégie d’attente
Section 1 : L’analyse du profil de l’adversaire
Section 2 : L’utilisation de l’écoulement du temps par chacun des litigants
Chapitre 2 : La stratégie pour une action en justice efficace
Section 1 : L’évaluation des chances de succès de l’action au regard des éléments propres
aux litigants et à la matière litigieuse
Section 2 : L’évaluation des chances de succès de l’action au regard des éléments ne
dépendant pas de la volonté des litigants
TITRE 2 : La stratégie dans le cadre de l’instance diligentée
Chapitre 1 : La stratégie de chacune des parties au regard de leurs intérêts respectifs
Section 1 : La stratégie dans l’attaque du demandeur
Section 2 : La stratégie dans la riposte du défendeur
Chapitre 2 : La stratégie de chacune des parties au regard des pouvoirs du juge
Section 1 : L’incidence des obligations du juge dans l’exercice de sa fonction sur
l’efficacité de l’action
Section 2 : L’incidence de la liberté du juge dans l’exercice de sa fonction sur l’efficacité
de l’action

 

projet fin d'etude

Télécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *