La stéréoradiographie
Analyse de la déformation rachidienne de l’adulte à partir de reconstructions 3D
Introduction
La scoliose est une déformation tridimensionnelle, ainsi il est intéressant d’en effectuer l’analyse radiographique dans les 3 plans de l’espace : coronal, sagittal et axial (138). Historiquement, l’angle de Cobb était considéré comme le paramètre principal pour évaluer la sévérité de la déformation scoliotique (139–141). Au cours des dernières décennies, l’importance de l’analyse des paramètres radiographiques dans le plan sagittal a été mise en évidence et leurs corrélations avec la douleur et la gêne fonctionnelle sont maintenant bien reconnues (9,11,12). Bien que l’analyse du plan axial ait été moins explorée, des corrélations significatives ont également été retrouvées entre la présence de dislocations rotatoires et les symptômes des patients avec une déformation rachidienne (9). Compte tenu du fait que la plupart des imageries soient réalisées en 2D, plusieurs méthodes de mesures de la rotation axiale des vertèbres ont donc été développées à partir de la projection de l’image des pédicules ou de l’épineuse sur une radiographie de face (87– 89,142). Cependant, dans les déformations sévères, la projection du pédicule ne correspond pas à la réalité (92). L’une des hypothèses pour la genèse de la scoliose dégénérative étant basée sur la faillite discale avec augmentation de la rotation axiale La stéréoradiographie 48 intervertébrale (AIR), l’analyse du plan transverse à un stade précoce de la scoliose semble d’un intérêt particulier. Afin d’améliorer l’analyse du plan axial, le bilan radiographique des patients avec une scoliose dégénérative est souvent complété par un examen IRM ou TDM. Un des principaux écueils de ces 2 examens concerne le fait que l’acquisition ne soit pas effectuée dans une position debout. Par conséquent, cela peut rendre plus difficile l’identification des zones pathologiques à l’origine des douleurs. En outre, l’exposition aux rayonnements ionisants lors du scanner pose le problème de la dose d’irradiation cumulée par les patients au cours de leur suivi (143). Depuis 2007, un nouveau système d’imagerie, permet d’obtenir en pratique clinique quotidienne, des radiographies biplanaires, à faible dose d’irradiation, en position debout. Grâce à un algorithme dédié, à partir de ces images biplanaires, des reconstructions 3D de la colonne vertébrale peuvent être effectuées, permettant ainsi une analyse du plan transverse (100,144). La validité de ces mesures 3D a été confirmée en pré- et postopératoire dans le cadre de la scoliose idiopathique de l’adolescent ; la pertinence clinique de l’analyse 3D du plan transverse a aussi été vérifiée (109,141,145). A notre connaissance aucune étude de validité de ces reconstructions 3D n’a été effectuée dans la scoliose de l’adulte. Le but de cette étude était d’évaluer la fiabilité des mesures 3D obtenues à partir de la stéréoradiographie, chez les patients atteints d’une scoliose de l’adulte.
Matériel et Méthodes Patients
Dans cette étude rétrospective monocentrique, 30 patients avec une scoliose de l’adulte, sélectionnés au hasard à partir d’une base de données 3D existante, ont été inclus après l’approbation du comité d’éthique local. Etaient inclus les patients avec une scoliose de l’adulte idiopathique vieillie ou dégénérative, avec un angle de Cobb d’au moins 10°, sans antécédent de chirurgie rachidienne. Pour limiter les biais liés à l’échantillon et fournir une série représentative de la population des scolioses de l’adulte, les 30 patients ont été regroupés en 3 groupes en fonction de la valeur de la rotation axiale intervertébrale (RAI) : 10 patients avec une RAI inférieure à 5°, 10 patients avec une RAI entre 5 et 10°, et 10 patients avec une RAI au-dessus de 10°. Les critères d’exclusion comprenaient les patients avec antécédent de chirurgie de la colonne vertébrale, les autres causes de scolioses de l’adulte (c.-à-d. neurologique, congénitale, traumatique, néoplasique). 49 Stéréoradiographie Tous les patients avaient des radiographies biplanaires du rachis entier, debout, avec le système EOS© (EOS imaging, Paris, France). EOS© est un système de radiographie basse dose à balayage, constitué de deux rayons orthogonaux, permettant l’acquisition simultanée de deux images, en évitant la distorsion (101,105). Les radiographies étaient réalisées selon un protocole standardisé : patient debout en position de confort, avec le regard horizontal, et les doigts sur les clavicules pour éviter la superposition des bras avec la colonne vertébrale (146). Toutes les images incluaient au moins le crâne jusqu’aux têtes fémorales. Paramètres 3D Quatre observateurs ont effectué indépendamment les mesures 3D, deux fois chacun (à une semaine d’intervalle), pour chacun des trente patients (240 reconstructions). Parmi les quatre observateurs, trois étaient des chirurgiens de la colonne vertébrale (dont un habitué aux reconstructions 3D) et un était un étudiant en médecine. Les reconstructions 3D du rachis étaient réalisées avec le logiciel SterEOS© , version 1.2.1 (EOS imaging, Paris, France), à partir de l’identification de points anatomiques précis. Les vertèbres limites de chaque courbure ont été définies, selon la description de Cobb, par les vertèbres les plus inclinées sur la radiographie de face, par un observateur expérimenté (86). La vertèbre apicale était la vertèbre avec le plus de rotation dans le plan axial. Les quatre observateurs ont utilisé les mêmes vertèbres apicales et les mêmes vertèbres limites supérieures et inférieures, pour chaque patient. Dans le plan sagittal, les paramètres rachidiens mesurés étaient la lordose L1S1, la cyphose T1T12 et T4T12, et les paramètres pelviens avec l’incidence pelvienne (IP), la version pelvienne (VP), et la pente sacrée (PS). Une valeur de VP négative correspondait à une antéversion pelvienne, des valeurs de T1T12 ou T4T12 négatives correspondaient à une lordose thoracique (figure 26). 50 Figure 26. Mesures des paramètres coronaux et sagittaux. Les paramètres coronaux incluaient l’angle de Cobb de la courbure thoracique (Cobb 1), thoraco-lombaire (Cobb 2) et lombaire (Cobb 3). L’angle de Cobb principal correspondait à la plus importante des trois courbures. Les orientations 3D des vertèbres ont été exprimées dans les plans axial, frontal et sagittal. La rotation intervertébrale était définie comme la rotation de la vertèbre supérieure par rapport à la vertèbre sous-jacente. Les paramètres du plan transversal comprenaient la rotation axiale vertébrale apicale (AVR) et la rotation axiale intervertébrale (RAI), avec la RAI du niveau supérieur de la courbe principale (RAI supérieure) et RAI du niveau inférieur de la courbe (RAI inférieure). L’indice de torsion (somme des RAI dans la courbe principale) a également été calculé (147) (figure 24). 51 Figure 24. Paramètres du plan transverse. Reconstructions 3D Avec le logiciel précédemment décrit, les reconstructions 3D de la colonne vertébrale ont été effectuées (107). La première étape était de repérer le plateau sacré avec une ligne et les cotyles avec deux cercles. Ainsi, le plan patient pouvait être défini à partir de l’axe vertical passant par le milieu de la ligne bicoxo fémorale comme décrit par la Scoliosis Research Society (148). Ensuite, la forme globale de la colonne vertébrale et le plateau inférieur de L5 étaient dessinés sur les vues sagittale et coronale. Troisièmement, le modèle 3D de la colonne vertébrale était généré en utilisant la combinaison d’un modèle géométrique et statistique (149). Ensuite, chaque vertèbre de T1 à L5 était ajustée en utilisant trois points de contrôle sur le plateau supérieur et inférieur et des ellipses pour les pédicules. Enfin, chaque vertèbre était vérifiée par l’observateur. Analyse statistique Tout d’abord une analyse descriptive de la cohorte a été réalisée, avec la description des paramètres 3D axiaux, sagittaux et coronaux. Puis, selon les recommandations de l’International Standardization Organisation (ISO), la reproductibilité intra-observateur et inter-observateur des mesures a été analysée (150). La fiabilité des mesures a été calculée en utilisant la norme ISO 5725-2, qui permet l’estimation de l’incertitude par le calcul de la 52 variance de reproductibilité (SR²) qui est la somme des moyennes de la variance des mesures intra-observateur (Sr²) et de la variance des mesures inter-observateurs (Si²) : SR² = Sr² + Si² Comme recommandé par la norme ISO, les potentielles valeurs aberrantes ont été identifiées en utilisant les graphes de Bland et Altman (151)(figure 27). Un examen approfondi des mesures a été effectué par un jury d’experts et les erreurs de mesure inhérentes aux observateurs ou inhérentes à la méthode étaient identifiées. Les valeurs aberrantes avec des erreurs résultant de la méthode ont été conservées, alors qu’un troisième cycle de mesure était effectué pour les patients avec une erreur liée à l’observateur. Le coefficient de corrélation intraclasse (ICC) a également été calculé comme un autre moyen d’évaluer la répétabilité intra-observateur et la reproductibilité inter-observateur. Un ICC plus grand que 0.91 était considéré comme très bon, un ICC entre 0,90 et 0,71 comme bon, un ICC entre 0,70 et 0,51 comme moyen et un ICC inférieur à 0,50 comme faible (152). Afin d’analyser la reproductibilité en fonction de la sévérité de la déformation, une analyse en sous-groupe a été réalisée. Les patients ont été divisés en deux groupes selon l’angle de Cobb : au-dessus ou au-dessous de 30°. L’analyse statistique était effectuée à l’aide du logiciel Stata 13.0 (Statacorp, College Station, Texas) et Matlab (Mathworks, Natick, Massachusetts).