Rappels de physique nucléaire
Afin de comprendre les phénomènes influençant l’évolution de la composition isotopique et élémentaire d’un combustible nucléaire au cours de son passage dans un réacteur nucléaire, il est nécessaire de disposer de notions de physique nucléaire, qui sont présentées dans cette première partie. Ces notions sont introduites en prenant l’exemple d’un réacteur à eau pressurisée ou REP, qui équipe la totalité du parc électronucléaire français. Ces réacteurs tirent tous leur énergie du phénomène de fission nucléaire. Le nombre de neutrons émis lors d’une réaction de fission est généralement compris entre 2 et 3.
Ces neutrons ont des énergies de l’ordre du MeV et sont appelés neutrons rapides. Or, les REP sont conçus pour fonctionner avec des neutrons d’une énergie inférieure à l’eV, dits neutrons thermiques . Pour que la réaction en chaîne soit entretenue, il faut abaisser l’énergie des neutrons. C’est le processus de thermalisation des neutrons. Cette thermalisation est effectuée par interaction avec un modérateur composé d’éléments de faible numéro atomique, qui possèdent une section efficace de diffusion élevée vis-à-vis des neutrons. Dans un REP, le modérateur est de l’eau, sous une pression d’environ 150 bars. La thermalisation des neutrons entraîne l’échauffement du modérateur. Cette chaleur doit être évacuée, pour produire de l’énergie mais aussi pour garantir l’équilibre thermique du réacteur. Cette opération est effectuée par le fluide caloporteur, qui dans un REP est également l’eau sous pression. Celle-ci a donc un double rôle, de modérateur et de caloporteur .
La composition d’un combustible nucléaire usé
Les différents composants d’un combustible nucléaire usé peuvent être regroupés en différentes familles en fonction de leurs propriétés physico-chimiques. Un combustible nucléaire usé est composé en grande majorité d’actinides . L’uranium est l’élément majoritaire, suivi par le plutonium. D’autres actinides sont présents en faible quantité et sont appelés actinides mineurs. Enfin, des éléments formés par fission nucléaire des actinides fissiles (U et Pu notamment) sont présents, et sont appelés produits de fission.
Deux types de combustible sont utilisés dans les réacteurs nucléaires français. Le premier est appelé UOX (Uranium OXide), et est composé d’oxyde d’uranium enrichi à hauteur de 3,5% en 235U . Après utilisation et refroidissement, les combustibles UOX sont retraités, afin d’en récupérer l’uranium et le plutonium, et, in fine, fabriquer un nouveau combustible, le combustible MOX (Mixed OXides) . Les produits de fission sont présents à hauteur de plusieurs pourcents dans le combustible nucléaire usé. Lors d’une réaction de fission, un noyau lourd ne se scinde pas en deux parties égales . Ainsi, dans un REP, les produits de fission sont répartis principalement entre deux familles, celle des lanthanides et celle des platinoïdes. Le césium, le strontium et le baryum font également partie des produits de fission dont l’importance est notable. Des produits de fission gazeux sont également produits.
La spectrométrie de masse pour l’analyse d’échantillons nucléaires
La connaissance précise de la composition isotopique et élémentaire du combustible nucléaire usé est nécessaire pour plusieurs raisons. Tout d’abord, des codes de calculs neutroniques sont utilisés afin d’optimiser l’usage du réacteur nucléaire. Ces codes permettent notamment de prévoir l’évolution du flux neutronique du réacteur et l’évolution de la composition isotopique et élémentaire du combustible en fonction de sa position dans le réacteur, du temps et du flux neutronique . Ces codes nécessitent cependant d’être comparés à des données expérimentales pour affiner les modèles sur lesquels ils reposent et augmenter la précision de leurs résultats.
Avant de présenter les différentes techniques utilisées pour déterminer la composition isotopique et élémentaire du combustible usé, il est nécessaire de présenter les étapes de préparation d’échantillons, effectuées avant la réception au LANIE. L’analyse isotopique et élémentaire du combustible est réalisée sur des parties de crayons de combustible usé prélevés sur un assemblage combustible. Ce crayon est réceptionné en cellule blindée au CEA Marcoule, et plus précisément dans l’installation ATALANTE. Un tronçon de combustible est dissous dans l’acide selon le procédé de dissolution dit «ATALANTE». Plusieurs dissolutions successives sont réalisées avec de l’acide nitrique concentré. La solution de dissolution en milieu nitrique contient la majorité des actinides et produits de fission lanthanides ainsi que le césium et le strontium. Les produits de fission métalliques sont instables en milieu nitrique concentré.
Après dissolution en milieu nitrique, les produits de fission métalliques sont donc placés en milieu chlorhydrique ou chlorhydrique/nitrique pour les stabiliser. Les solutions de dissolution ont des activités très élevées. Leur dilution permet d’obtenir des activités compatibles avec leur envoi et avec le travail en boîte à gants réalisé au LANIE. Les techniques de spectrométrie de masse sont utilisées pour la détermination des compositions isotopiques et élémentaires des échantillons de combustible nucléaire usé, du fait de leur précision, et de leur sensibilité. Un spectromètre de masse permet l’ionisation et la séparation des différentes espèces contenues dans un échantillon en fonction de leur rapport masse/charge (m/z). Il comprend trois parties : une source, un analyseur et un système de détection. La source permet la production d’ions à partir des espèces de l’échantillon. Ces ions sont séparés par l’analyseur en fonction de leur rapport m/z, et le signal relatif aux ions séparés est mesuré par le système de détection. Selon la nature de la source, de l’analyseur et du système de détection, les spectromètres de masses ont des noms, des caractéristiques et des applications spécifiques.
Chromatographie d’échange anionique
La chromatographie d’échange anionique (SAX, de l’anglais Strong Anion Exchange) est basée sur l’échange des anions de la phase mobile et de la phase stationnaire. Des amines quaternaires sont généralement utilisées comme groupement fonctionnels sur la phase stationnaire. La phase mobile est ici constituée d’acides minéraux. La SAX est utilisée notamment pour la séparation des actinides tétravalents. Deux résines différentes sont couramment employées – les résines TEVA et AG1. Les groupements fonctionnels sont des amines quaternaires dans les deux cas, mais ceux-ci sont liés de manière covalente pour la résine AG1, tandis qu’une amine quaternaire (l’Alamine 336) est imprégnée sur un support inerte dans le cas de la résine TEVA.
Dans ce dernier cas, il s’agit donc de chromatographie d’extraction par échange d’anions. Les deux résines permettent notamment la séparation de l’U(VI), du Pu(IV) et de la fraction des produits de fission . Plusieurs approches permettent d’éluer sélectivement l’U et le Pu. La première consiste à changer l’acidité ou la nature de l’acide minéral utilisé dans la phase mobile. La seconde consiste à ajouter un agent oxydant ou réducteur dans la phase mobile pour contrôler l’état d’oxydation des analytes, et notamment du plutonium. Il est ainsi courant de réduire le plutonium à son état d’oxydation +III afin de réaliser son élution . Enfin, l’ajout d’agents complexants dans la phase mobile permet l’élution des actinides en fonction de leur affinité pour l’agent utilisé. La résine TEVA a de plus été utilisée dans un montage automatisé, utilisant un système d’injection séquentielle PrepLab directement couplé à un ICP-MS pour isoler le plutonium de l’uranium dans des échantillons environnementaux.
Protocoles électrocinétiques de séparation
Le choix de l’électrolyte de séparation est essentiel en électrophorèse capillaire. La solution de combustible usée à caractériser au LANIE est conditionnée en solution d’acide nitrique 8 mol/L. Cette matrice est trop acide pour pouvoir effectuer directement la séparation par CE. La matrice usuellement utilisée pour les analyses par ICP-MS est l’HNO3 à 2% massique. Des études précédentes dans le laboratoire ont montré que cette matrice n’était pas adaptée pour réaliser des séparations d’actinides et de produits de fission, du fait d’un manque de sélectivité. Cela est d’autant plus le cas pour les lanthanides qui ont des comportements physico-chimiques proches les uns des autres.
L’ajout de molécules complexantes dans l’électrolyte permet de modifier la sélectivité obtenue par complexation des analytes. Dans le domaine de la séparation des actinides et des lanthanides par CE, différentes molécules ont été utilisées.
Table des matières
Introduction
Chapitre 1 L’analyse isotopique et élémentaire d’échantillons de combustible nucléaire usé – Présentation, Techniques et Etat de l’art
A. Rappels de physique nucléaire
B. La composition d’un combustible nucléaire usé
B.1. Propriétés physicochimiques du césium, du baryum et du strontium, et des produits de fission métalliques
B.2. Physico-chimie des lanthanides
B.3. Physico-chimie des actinides
B.4. Le cycle du combustible nucléaire en France
C. La spectrométrie de masse pour l’analyse d’échantillons nucléaires
C.1. Spectrométrie de masse à source plasma à couplage inductif – ICP-MS
C.2. Spectrométrie de masse à thermo-ionisation – TIMS
C.3. Dilution isotopique
C.4. Interférences en spectrométrie de masse
D. Protocoles de séparation chimique des interférents
D.1. Présentation des interférences dans les échantillons de combustible nucléaire usé
D.2. Séparation des éléments par chromatographie
D.3. Séparation des éléments par électrophorèse capillaire
E. Conclusion
Chapitre 2 Développement d’une méthode de séparation en une seule étape des constituants d’un échantillon synthétique par couplage CE-ICP-MS
A. Introduction
B. Rappels de chimie de coordination
C. Matériel et méthodes
C.1. Préparation et composition de l’échantillon synthétique
C.2. Préparation des électrolytes de séparation
C.3. Electrophorèse capillaire et couplage avec l’ICP-MS
D. Développement d’une méthode de mesure de la mobilité électroosmotique par ICP-MS
D.1. Préparation du complexe Ga(NOTA)
D.2.Détermination des mobilités apparentes du complexe Ga(NOTA)
E. Séparation des éléments de l’échantillon synthétique par les α-HCA
E.1. Critères de choix
E.2. Etude de la capacité de l’HIBA à réaliser la séparation des éléments de l’échantillon synthétique
E.3.Etude de la capacité de l’HMBA à réaliser la séparation des éléments de l’échantillon synthétique
E.4.Conclusion sur l’utilisation des α-HCA pour séparer les éléments constituant l’échantillon synthétique
F. Conclusion
Chapitre 3 Etude de l’oxydation du plutonium et de la migration des actinides dans des électrolytes d’acides alphahydroxycarboxyliques par couplage entre la CE et un ICP-MS quadripolaire nucléarisé
A. Rappels bibliographiques
A.1. Séparation des états d’oxydation +III, IV, +V et +VI avec un électrolyte d’α-alanine
A.2. Séparation des états d’oxydation +III, IV, +V et +VI du plutonium avec un électrolyte d’acide acétique 1 mol.L-1
A.3. Séparation de l’uranium, du Pu(VI) et de la fraction produits de fission/actinides mineurs d’un échantillon de combustible nucléaire usé par CE-ICP-MS
A.4. Choix de l’état d’oxydation préférentiel du plutonium pour la séparation des éléments du combustible nucléaire usé avec des électrolytes d’α-HCA
B. Matériel et méthodes
C. Etude de l’oxydation du plutonium par l’acide perchlorique
C.1. Expériences préliminaires
C.2. Etude détaillée du cycle d’oxydation à l’acide perchlorique
C.3. Etude de l’oxydation du plutonium avec des électrolytes d’ α-HCA
D. Séparations d’échantillons simulants et d’échantillons de combustible MOX usé avec des électrolytes d’α-HCA
D.1. Matériels et méthodes
D.2. Etude détaillée des séparations d’un échantillon de combustible MOX usé par des électrolytes d’HMBA et d’HIBA à 100 mmol.L-1 et à pH 3
D.3. Détermination des mobilités électrophorétiques des actinides dans des électrolytes d’ α-HCA
E. Choix des concentrations utilisées dans la suite de cette thèse
F. Conclusion
Chapitre 4 Détermination de la composition isotopique d’actinides et de produits de fission dans un échantillon de combustible MOX usé par couplage CE-MC-ICP-MS
Introduction
A. Détermination de rapports isotopiques par MC-ICP-MS
A.1. Réalisation de mesures isotopiques sur des signaux transitoires par MC-ICP-MS
A.2. Optimisation de la configuration des détecteurs
A.3. Méthode de détermination du facteur de biais de masse sur des signaux transitoires
B. Etude de faisabilité de la mesure des rapports isotopiques des produits de fission, des actinides et actinides mineurs d’un échantillon de combustible MOX usé par couplage CE-MC-ICP-MS
B.1. Matériels et méthodes
B.2. Etude de la faisabilité de la mesure de rapports isotopiques des actinides (U, Pu) et actinides mineurs (Am, Cm) contenus dans un échantillon de combustible MOX usé
B.3. Etude de la faisabilité de la mesure de rapports isotopiques des produits de fission (Ce, Nd, Sm, Eu, Gd) contenus dans un échantillon de combustible MOX usé
Conclusion
Chapitre 5 Développement d’une méthode de datation d’un matériau nucléaire avec le chronomètre 234U-230Th
A. Contexte
B. Rappels bibliographiques
B.1. Techniques de préconcentration
C. Matériel et méthodes
D. Résultats
D.1. Préconcentration par FASS
D.2. Préconcentration de l’uranium et du thorium par complexation
E. Utilisation des électrolytes d’HMBA pour la datation d’un échantillon nucléaire
F. Conclusion
Conclusion
Perspectives
Annexes