La solidarité familiale intergénérationnelle dans la transition

La solidarité familiale intergénérationnelle dans la transition

Une famille est constituée de liens qui se transforment et évoluent dans le temps, au fil des événements et des situations qui marquent son cheminement singulier. La solidarité familiale intergénérationnelle s’inscrit dans cette mouvance des familles et évolue en fonction des différentes étapes du parcours de vie et des changements de rôles de leurs membres. La transition à la parentalité et à la grand-parentalité nous est ainsi apparue idéale pour observer la transformation de la solidarité familiale intergénérationnelle sachant que celle-ci s’adapte et se redéfinit à la venue d’un premier enfant. Après avoir défini les notions de parcours biographique et de transition, nous examinerons comment la solidarité intergénérationnelle peut se transformer à la naissance d’un premier enfant et petit-enfant, en portant attention à la manière dont le rôle grand-parental peut prendre forme dans celle-ci, tant auprès des parents que des enfants de sa descendance. Le rôle grand-parental n’étant plus attribué dans la reproduction d’un modèle, il est aujourd’hui négocié et arrangé avec les autres générations et il peut varier grandement dans l’éventail des configurations et des rapports familiaux. Cette distanciation des grands-parents par rapport à la reproduction ou à l’adoption d’un modèle culturel contribue à créer une diversité de grands-mères et de grands-pères.

Les parcours biographiques et leurs transitions

Sans inscrire cette recherche dans le paradigme du parcours de vie18, se référer aux notions de « parcours biographique » et de « transitions », clarifie l’analyse de la transition à la parentalité et à la grand-parentalité. Le parcours biographique individuel est : le résultat d’une construction par le sujet sur la base d’une négociation entre les modèles de parcours de vie disponibles et le contexte de vie [et] se compose d’un ensemble de trajectoires renvoyant aux différentes sphères (ou, selon les auteurs, champs, système d’action, mondes de vie) dans lesquelles se déroule l’existence individuelle. (Lalive d’Epinay et al., 2005, p.164)Le parcours biographique réfère ainsi à la manière dont les situations sociales et les interactions sont expérimentées par un individu qui, tout en adoptant certains rôles qui lui sont proposés, interprète le déroulement de sa vie pour y donner du sens et orienter ses conduites. Les transitions constituent des moments particuliers d’instabilité dans les parcours biographiques qui mènent la plupart du temps à un nouveau statut ou rôle pouvant induire de nouveaux comportements et de nouvelles attitudes (Gherghel, 2013). À l’instar de Gherghel, la notion de transition sera ici préférée à celle d’événement : « parce que les changements dans le parcours de vie ne sont pas seulement des événements soudains, mais qu’ils font aussi partie de processus qui les précèdent, les succèdent et les favorisent » (Ibid., p.55).

Les parcours biographiques : une négociation avec les calendriers sociaux et le contexte

Les sociétés encadrent les parcours biographiques des individus en institutionnalisant certaines étapes de la vie (Gherghel, 2013). Cette institutionnalisation peut aller de pair avec une chronologisation des parcours biographiques lorsque l’âge biologique est utilisé pour baliser, formellement ou informellement, les seuils de passage d’un stade de vie à un autre. De l’institutionnalisation et de la chronologisation résulte une relative standardisation des parcours biographiques, c’est-à-dire une uniformisation du déroulement des vies individuelles, et plus précisément de l’ordre et des âges auxquels survient le franchissement des principales étapes de la vie, comme l’entrée sur le marché du travail, l’achat d’une propriété, la naissance d’un premier enfant, le départ à la retraite, etc. (Cavalli, 2007, p.61). Les parcours biographiques des individus ont, pendant longtemps, été assez homogènes, se conformant pour la plupart à un modèle socialement suggéré comme étant « normal ». Mais depuis quelques décennies, on observe une déchronologisation, une désinstitutionnalisation et une déstandardisation des parcours dans les sociétés occidentales, notamment au Québec. La multiplication des possibles en matière de choix familiaux, résidentiels, professionnels, etc. a engendré une diversification des parcours biographiques et une flexibilité accrue dans leur déroulement (Gherghel, 2013). Les institutions ne fixent plus les parcours dans un canevas autant rigide et immuable et autorisent désormais plus d’appropriations individuelles des étapes et des âges. L’importance accordée à l’âge biologique dans le franchissement de certains seuils a d’ailleurs grandement diminué (Lalive d’Épinay et al., 2005). Cette flexibilité des parcours amène à concevoir dorénavant le déroulement de sa vie comme un projet, qui se constitue par un travail réflexif sur son cheminement et sur son orientation souhaitée, plutôt que comme un enchaînement inéluctable d’étapes de la vie.Des modèles de parcours biographiques, prenant la forme de « calendriers sociaux », sont néanmoins toujours véhiculés dans la société. Ces calendriers sociaux servent de référence, et les parcours individuels sont ainsi jugés en fonction du rapprochement ou de la distanciation par rapport à ce qu’ils proposent, notamment l’occurrence de certains événements, le moment où ils devraient se produire et l’enchaînement selon lequel se déroulent ces événements (Ibid.). Malgré l’acceptation d’une certaine flexibilité des parcours, un trop grand écart entre le parcours biographique et le calendrier social est généralement critiqué. Et même lorsque les individus ne souhaitent pas suivre ces calendriers sociaux, les parcours biographiques s’insèrent toujours dans un contexte social particulier qui structure et organise encore, dans une certaine mesure, le déroulement des vies individuelles (Gaudet et al., 2013). Les parcours biographiques s’inscrivent également dans des réseaux de relations qui s’interinfluencent; les événements se produisant dans la vie d’une personne peuvent ainsi avoir des répercussions sur l’ensemble du réseau de relations, surtout sur les relations étroites comme les relations familiales intergénérationnelles (Macmillan et Copher, 2005). Le parcours biographique de chacun apparait ainsi comme une négociation de ses choix et de sa capacité à composer son projet de vie avec les normes sociales véhiculées et avec les contraintes qu’impose le contexte dans lequel il s’inscrit.

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Les transitions dans les parcours biographiques

Les transitions, entendues comme de brèves périodes de changement qui introduisent généralement un nouveau statut ou un nouveau rôle, se voient aussi altérées par la désinstitutionnalisation, la déchronologisation et la déstandardisation des parcours. Les transitions sont davantage représentées comme des « projets » (projet de retour aux études, projet d’enfants, etc.) parce qu’elles sont moins déterminées socialement, relevant ainsi en grande partie de choix individuels s’articulant aux attentes collectives. Appréhendées comme « projets », on souhaite que les transitions soient prévues, désirées, préparées et non pas subies comme cela pouvait être le cas auparavant, l’objectif étant de tempérer le « degré d’imprévisibilité » de celles-ci (Gaudet et al., 2013). La flexibilité, qui caractérise les parcours biographiques actuels, engendre par ailleurs une diminution du caractère de seuil de la plupart des transitions. C’est que la plupart des transitions sont désormais plus ou moins réversibles; la situation matrimoniale, l’orientation scolaire, le statut professionnel ne sont plus nécessairement définitifs (Grossetti, 2006)19. Mais certaines transitions, comme les transitions relatives au changement de position dans l’axe de filiation, conservent tout de même leur caractère de seuil, compte tenu du fort degré d’irréversibilité qu’elles engendrent. On ne peut effectivement pas devenir parent puis revenir sur sa décision quelques mois plus tard, comme on peut le faire notamment en entrant sur le marché du travail. Les transitions familiales sont par ailleurs singulières par l’importance des répercussions qu’elles produisent sur l’ensemble du parcours biographique d’un individu ainsi que sur les parcours des autres membres de la famille (Cicchelli, 2003). Ces répercussions se traduisent sous forme de changements concrets dans l’organisation du quotidien, notamment par la modification des routines et des habitudes de vie. Par ces changements concrets, la transition a comme effet de modifier les réseaux de relations des individus, mais aussi de changer la nature des relations qui sont maintenues avant et après la transition. Alors que ses comportements quotidiens et son environnement relationnel se transforment, le regard de l’individu posé sur lui-même est également transformé; la transition apparait alors comme une phase durant laquelle il peut formuler une nouvelle définition de lui-même en fonction de son nouveau rôle (Caradec, 2001, p.108). S’intéresser particulièrement aux transitions des parcours biographiques permet ainsi de poser un regard sur certains moments clés du déroulement de la vie et de comprendre comment, dans la transition, se transforment le quotidien, le réseau de relations, la perception à l’égard des nouveaux rôles acquis, et plus largement la solidarité familiale intergénérationnelle.

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