LA SOCIOLOGIE DU CORPS
QUELQUES ASPECTS HISTORIQUES DU VETEMENT
ROLE DU VETEMENT
Le vêtement est d’une importance grande les relations sociales, sa fonction d’interface s’actualise quotidiennement, car il est déterminant dans la communication inter et intra-social. Cette fonction ou plus précisément ces fonctions attribuées au vêtement peuvent s’établir comme suit : fonction de protection, fonction pudique, fonction esthétique. Que d’aucuns résument ainsi P.P.P : Protection Pudeur Parure mais outre ces trois fonctions, nous traiterons d’une quatrième et non des moindres que le vêtement peut avoir à savoir la fonction d’hiérarchisation sociale ou de distinction.
Fonction de protection
Le vêtement : couverture, deuxième peau, abri, voilà là une façon de voire toutes les fonctions susceptibles du vêtement. Qu’il s’agisse des régions polaires ou encore tropicales, la nature semble ne faire aucun cadeau à l’homme. Mais c’est le plutôt le contraire que nous nous pouvons observer. La nature par essence est hostile et ne se donne pas de prime abord l’Homme se doit de la conquérir et la domestiquer afin de s’offrir les conditions minimales de survie. Dans cette conquête de la nature, l’Homme en apportant sa science, culturalise car ce qu’il apporte n’est pas de l’ordre de la nature de l’innée mais plutôt de l’acquis. Ce faisant, il imprime son empreinte. L’habillement relève de ce processus là. Face à l’hostilité de la nature, très vite il a fallu à l’Homme de se protéger de quelque manière que ce soit. Tout ceci est naturel car à chaque fois que l’Homme se sent menacé il n’est nul besoin de lui dire d’essayer de se protéger. Même dans les sociétés les plus primitives où il n’est d’usage qu’un simple cache sexe, si certains verront en cela la volonté de cacher l’intimité, n’empêche il est aussi évident que ces parties semblent trop sensibles pour les laisser à l’air libre. A cela il faut ajouter les croyances magiques qui voyaient en cette protection une garantie contre les forces maléfiques surtout pour les organes génitaux, organes de la survie du groupe. A cet effet, il a 50 La sociologie du corps : l’habillement des jeunes à Dakar connu une certaine évolution dans la fonction que lui ont attribué l’Homme plutôt il s’est enrichie d’autres fonctions.
La fonction Pudique
Il faut, par ailleurs, souligner qu’au-delà de cette protection que procure le vêtement, socialement il est très important. Il permet de cacher les parties intimes, également de nous de distinguer des animaux, parce que nous avons le souci de la pudeur. La pudeur est un construit social et en cela il est transmis dès l’enfance et progressivement selon les différents stades d’évolution. On sait depuis FREUD que tout petit, le bébé au stade oral aime si fort sa mère qu’il voudrait la manger et ne faire qu’un avec elle. Ensuite au stade anal, il aime attirer l’attention sur lui et cherche à vous contrôler pour en retour être aimé. À deux ans et demi c’est le stade génital, il devient curieux sexuellement et voudrait vous épouser. Pour réaliser ce rêve, il tente d’être le plus proche possible de vous. C’est là que le vêtement, comme une barrière que vous posez à son désir, peut l’aider à oublier ces pulsions et à rester à sa place d’enfant. Le port de vêtements demeure un outil efficace pour qu’il se perçoive comme un être en formation. Vers quatre ou cinq ans, il ferait même preuve d’une certaine pudeur naturelle, en se cachant. Aussi, c’est parce qu’elle est un construit social qu’elle varie en fonction des sociétés. La nudité est paraît choquante (selon les sociétés et le degré de nudité) c’est pourquoi l’inhiber peut permettre quelque part de refouler les désirs sexuels que la vue d’un corps nu peut créer et éviter ainsi bien des situations désagréables tel l’inceste. Cette réalité est beaucoup plus mise en exergue dans les sociétés ou la loi islamique est de rigueur. Dans ces sociétés l’interdiction de tout type d’habits pouvant montrer les contours du corps est très souvent formelle. Au niveau de ces sociétés toutes les zones érogènes, parce que susceptible de provoquer le désir chez le sexe opposé, sont inhibées par le port d’habits amples recouvrant tout ou presque le corps. Cela est surtout frappant chez la femme musulmane à qui il n’est permis de laisser à découvert que le visage et les mains. Même parfois cette exception est supprimée et le recouvrement total du corps est alors obligatoire pour elle (exemple l’Afghanistan sous le régime des Talibans). Dans d’autres sociétés par contre on se contente juste de cacher le sexe à l’aide d’étui pénien comme c’est le cas dans certaines tribus de 51 La sociologie du corps : l’habillement des jeunes à Dakar l’Océanie (les tribus forestières papoues de la Papouasie Nouvelle-Guinée). Au Sénégal, par exemple, une jeune fille au village peut mettre ses seins à nu et cela ne choque personne mais en ville ou dans les grosses bourgades cela est réprouvé. Cette fonction pudique donc du vêtement non seulement peut informer sur le type de société mais aussi peut être analyser comme un régulateur social parce qu’il normalise. Ainsi, le vêtement paraît comme une norme qui renseigne sur notre degré d’intégration des réalités culturelles, mais aussi de la façon personnelle avec laquelle on vit dans ces dernières par rapport aux autres.
Fonction esthétique
Porter un vêtement c’est toujours montrer quelque chose, interpeller l’autre sur soi même. En effet, dans l’acte de paraître hormis cette première fonction indiquée ci-dessus, le vêtement désigne également le paraître car au-delà du fait que lorsque nous nous habillons nous impliquons implicitement les autres dans nos actes. Apparemment cet acte que d’aucuns qualifieraient d’anodin (anodin par la quotidienneté avec laquelle elle est présente dans notre vie) ne l’est pas pour autant que cela. Quand on voit tout l’art avec lequel les sénégalaises, en particulier, usent pour se parer, on ne peut que s’émouvoir devant la beauté de leurs tenues car c’est d’une véritable parure qu’il faut parler (parure ici est à distinguer des parures destinées à la parade comme avec les militaires). L’esthétique vestimentaire actuelle se différencie fondamentalement avec ceux de nos grandmères et grands-pères, car toute la dextérité dont elles font preuve dans la confection des vêtements (du à l’emploi de machines et techniques avancées) rompt avec les techniques simples et rudimentaire qu’eux usaient dans la fabrication leurs habits. Néanmoins, l’esthétique n’est pas apparu avec notre époque bien qu’elle semble avoir plus d’ampleur aujourd’hui qu’avant. Les signares en sont l’exemple le plus parfait avec leur parure multicolore telles des « paons ». On a coutume de dire que les goûts et les couleurs ne discutent pas mais force est de constater que lorsque nos « beautés » sénégalaises s’habillent, elles forcent le regard. Et le sociologue canadien Charles HALARY nous dit que « la parure a précédé la tenue vestimentaire avec les tatouages, les scarifications, les accessoires ou les peintures. En effet, le besoin de se vêtir, en dehors des zones arctiques ou montagneuses et des périodes 52 La sociologie du corps : l’habillement des jeunes à Dakar hivernales des contrées tempérées n’est une nécessité physiologique absolue. Par exemple, la peau épaissit dans les zones froides en l’absence de vêtements. La volonté de parure, la pudeur et l’hygiénisme sont venus peu à peu dessiner le portrait costumé de l’individu moderne. Depuis le simple fils entourant la taille jusqu’aux combinaisons ski, la parure exprime une présence distincte. La parure a toujours souligné un aspect du corps qui doit être mis en valeur pour le plaisir des yeux58 ». Car paraître c’est implicitement demander à l’autre son appréciation explicite ou implicite, son approbation ou sa désapprobation. Dans tous les cas quand nous paraissons, nous paraissons d’abord par rapport aux autres. En effet, comme Alexie TCHEUYAP dit en citant Justin Daniel GANDALOU : « […] la considération sociale – dans une certaine mesure – […] passe par le look, par l’aspect extérieur. On doit plus de respect, de considération, à un individu ayant une bonne présentation, une bonne mise dans la société qu’à celui qui ne fait pas attention à son aspect et reste modestement vêtu ». Il nous dit que : « le vêtement est devenu un moyen décisif de socialisation et d’affirmation de soi, un objet visuel qui fait du sujet un simple objet exposé aux regards. Jadis un outil de sécurité, il est désormais l’élément privilégié d’une esthétique de la séduction et le lieu d’une signification multiple59 ». Justement parce qu’il implique des significations multiples, le vêtement traduit plusieurs aspects de la société et ici l’aspect esthétique qui nous concerne en est un. Et à ce propos Roland BARTHES nous dit que : « Un vêtement peut signifier parce qu’il est nommé : c’est l’assertion d’espèce ; parce qu’il est porté : c’est l’assertion d’existence ; parce qu’il est vrai (.ou faux): c’est l’artifice ; parce qu’il est accentué : c’est la marque. Ces quatre variantes ont ceci de commun, qu’ils font de l’identité du vêtement son sens même 60 ». Si l’habillement évoque une certaine esthétique, cette dernière peut également être un signe de distinction. En effet, la tenue vestimentaire au-delà du fait qu’elle exprime le goût des couleur et des formes, elle peut-être vue comme une forme de distinction sociale également. Car avoir la tenue la plus apprécié peut-être signe de prestige quelque part ce qui nous amène à parler de cette autre fonction du vêtement à savoir celle d’hiérarchisation.
Fonction d’hiérarchisation sociale
Outre donc ces deux premières fonctions signalées ci-dessus, le vêtement permet à l’individu de se singulariser, d’afficher son appartenance bref de faire la distinction par rapport à l’autre. La première distinction décelable dans le comportement vestimentaire est d’abord le jeu des genres. L’habit se fait et se porte en fonction du sexe, il détermine par là la distinction sexuée qui caractérise la totalité de la vie sociale. D’ailleurs dans ma communauté comme chez la plupart des ethnies du Sénégal on a coutume de dire (respectivement en Mandingue et en wolof) que : c’est l’homme qui attache ou serre la ceinture (Ké lé cé a tésiti) (gÓor ay tàkk ndigg), c’est l’homme qui porte le pantalon ou pantalon-bouffant (tchaya) et la femme le pagne (ké lé cé kourto doung, mousso kha fano léé lon) (gÓor ay sol tubéy, jigéen sër lay woddoo). Ceci nous montre parfaitement la distribution sexuée du vêtement. Voilà qui nous réconforte dans cette optique du vêtement comme moyen de différenciation sociale. Déjà dans la problématique nous avons signalé que le port d’un vêtement n’était jamais un exercice anodin et qu’il relève d’un certains nombres de facteurs qu’il convient de montrer et cette fonction d’hiérarchisation dont nous parlons ici en est un. La distinction par l’apparence ne date pas d’aujourd’hui ; déjà les rois et les reines, les princes et princesses se singularisaient par ce biais pour affirmer leur supériorité divine, militaire etc. mais aussi pour symboliser leur puissance. « La richesse du costume d’un individu est à la mesure de son importance dans la société. Pendant la période médiévale, par exemple, le souverain du Mali honorait ses subordonnés en les autorisant à ajouter une bande d’étoffe supplémentaire à la largeur de leur pantalon61 ». Avec la colonisation, l’Afrique est brusquement entré dans une phase d’occidentalisation et de son corollaire la « modernisation occidentale » avec son aliénation à des puissances occidentales. Cette aliénation allait se traduire pour bon nombre d’Africains comme un néantisme pour parler comme Frantz FANON. Pour lutter contre ce néantisme, beaucoup ont pensé qu’il fallait adopter la culture du colon pour échapper à la réalité aliénante qu’est celui d’être africain colonisé. Certains ont vu dans l’habit du colon le moyen adéquat de s’élever au niveau de ce dernier et par la même occasion se sentir au-dessus de ses frères. La sociologie du corps : l’habillement des jeunes à Dakar noirs. Le noir qui porte l’habit occidental à cette époque témoigne d’un souci conscient et volontaire d’appartenance à une classe supérieure pour parler comme Béatrice Rangira GALLIMORE62. Les signares saint-louisiennes et goréenne sont à mettre dans ce registre même s’il faut reconnaître là qu’il s’agit de mulâtresses (métisses) plus soucieuses de paraître blanche que noire. Ce processus d’occidentalisation dont Rangira Béatrice GALLIMORE parle à travers l’adoption par les jeunes africains du vêtement occidental semble s’être accentué plus aujourd’hui du fait de deux choses majeures : la scolarisation et la mondialisation via les mass média. Mais aujourd’hui la stratégie de distinction se fait à travers la mode, une mode véhiculée selon une logique que l’on qualifierai ici de verticale du fait qu’elle nous vient d’en haut (occident). Ainsi, le port du « blue jean denim » (qui aujourd’hui constitue une des caractéristique de l’habillement des jeunes et qui permet de les distinguer des autres), comme pantalon qui uniformise la tenue des jeunes dans le monde, provient de l’adoption d’une toile inventée à Gènes et ensuite adoptée par les fermier américains sous la forme produite dans la ville française de Nîmes, est un des exemples classiques de mondialisation de la mode vestimentaire. Car il est vrai qu’à travers le « blue jean denim » c’est une jeunesse qui se met en évidence et qui met en lumière l’appartenance d’un individu à cette catégorie ou son désir de paraître jeune. Porter le « blue jean denim » permet à une personne d’affirmer sa jeunesse et par là une certaine distinction par rapport à la société globale. C’est pourquoi d’ailleurs Sihem NAJAR nous dit que : « Les pratiques vestimentaires peuvent nous introduire dans un être ensemble, dans un corps collectif. Elles constituent à la fois des signes de différenciation qui distinguent un groupe donné, et des moyens de reconnaissance pour une communauté. C’est en fonction de cette considération que l’on peut dire que le partage des mêmes coutumes, des pratiques et des mêmes modes vestimentaires, crée une communication tactile, non verbale, entre les membres du groupe social ».
INTRODUCTION |