La simulation comme méthode d’exploration des systèmes d’élevage
Les outils d’évaluation des systèmes de production agricole
La modélisation informatique est un moyen efficace d’observation du fonctionnement global des systèmes complexes dont on ne peut pas cerner tous les aspects. Permettant de mettre en évidence, de comprendre et de prédire le comportement des systèmes, la modélisation informatique sert aussi à la description des interactions entre les différentes composantes des systèmes (Mosnier, 2009). Les composantes des systèmes d’élevage sont en interaction (Liénard and Lherm, 1986) d’où la nécessité de les mettre en cohérence ce qui conduit généralement à des méthodes telles que le modélisation. Les modèles sont reconnus pour permettre la quantification des interactions entre les composantes d’une exploitation et pour tester des systèmes alternatifs (Halberg et al., 2005). La définition de base du modèle est donnée par Spedding (1988) qui définit un modèle comme «une abstraction du système étudié, capable de manipulation expérimentale pour projeter les conséquences des changements des déterminants du comportement du système ». La construction d’un modèle permet d’intégrer des connaissances existantes sur les composantes isolées. Les modèles sont de plus en plus utilisés pour étudier les systèmes complexes tels que les systèmes de production agricole. « Un système est dit complexe lorsqu’il est composé d’un grand nombre d’éléments en interaction et que la dynamique de ces interactions dirige le comportement du système en lui donnant une apparence d’unité aux yeux d’un observateur extérieur » (Berry and Beslon, 2013). La modélisation d’un système permet de réduire sa complexité pour l’étudier selon un aspect donné. Les systèmes de production agricole sont appréhendés comme des systèmes complexes La simulation comme méthode d’exploration des systèmes d’élevage (Le Gal et al., 2010). Les modèles sont utilisés pour représenter des systèmes de production complexes généralement constitués de plusieurs ateliers de production qui communiquent entre eux. Les modèles permettent de tester des hypothèses scientifiques et d’étudier le comportement des systèmes de production agricole en explorant virtuellement les situations inaccessibles sur le terrain. De nombreux modèles de simulation évaluent les pratiques agricoles et l’impact des aléas (climat, économie) sur la performance agricole, environnementale et économique des exploitations. La simulation intègre des modèles basés sur les processus élaborés et validés par des données expérimentales. Elle consiste à faire évoluer le modèle au cours du temps afin de mieux comprendre le fonctionnement de la dynamique du système. Un grand nombre de modèle permettent d’évaluer la rentabilité des systèmes d’élevage en maintenant ou en réduisant les impacts négatifs à long terme sur l’environnement. De nombreux modèles décrivent de façon empirique ou mécanistique la composante biologique des systèmes et prédisent les impacts de la gestion des prairies sur la gestion animale et la production fourragère (Coleno and Duru, 1998; Delaby et al., 2001; Cros et al., 2004) pour les vaches laitières et (Teague and Foy, 2002; Romera et al., 2004; Baumont et al., 2008) pour les vaches allaitantes), d’autres modèles explorent les interactions entre les modes de gestion et les conditions climatiques (Andrieu, 2004; Fitzgerald et al., 2005). L’avancée de la modélisation du fonctionnement des troupeaux et des systèmes d’élevage depuis les années quatrevingt-dix a permis d’explorer la sensibilité des composantes des systèmes d’élevage herbivores aux aléas dans différents contextes (disponibilité fourragère, conduite de la production à l’herbe, production animale). D’après la taxonomie pour les modèles de simulation développée par Paul A. Fishwick (1996) il existe 5 catégories de base de modèle de simulation. Ce sont : les modèles conceptuels, les modèles déclaratifs, les modèles fonctionnels, les modèles à contraintes et les modèles spatiaux. Les modèles utilisés dans le domaine de l’agriculture se situent pour la plupart dans les catégories de modèles fonctionnels et à contraintes. Dans cette catégorie les modèles plus rencontrés sont les modèles dynamiques, les modèles bioéconomiques mais aussi les modèles d’optimisation. Dans le souci d’être efficace, précis et d’éviter de mobiliser un lourd personnel, il s’avère important d’utiliser la modélisation pour analyser les systèmes d’élevage afin de définir des systèmes plus efficients et plus résilients. Ajouter à cela, la recherche de compromis entre différentes performances des 30 systèmes d’élevage nécessite de prendre en comptes toutes les composantes du système en interaction en plus de leur fonctionnement propre. La modélisation est l’approche idéale pour cela, en plus de permettre de faire des comparaisons dans des conditions suffisamment proches de la réalité.
Les modèles de simulation
Modèles dynamiques et modèles statiques
On distingue deux grandes catégories de modèles selon la prise en compte de la temporalité lors des simulations. On distingue les modèles dynamiques qui intègrent des composantes temporelles et climatiques en général. De nombreux modèles de simulations dynamiques permettent d’évaluer les pratiques agricoles et la variabilité du climat sur les performances agricoles, environnementales et/ou économiques des exploitations. Ce sont des modèles tels que WFM (Whole Farm Model), développé en Nouvelle-Zélande (Wastney et al., 2002; Beukes et al., 2008), et MELODIE, développé en France par l’INRA (Faverdin et al., 2011). L’amélioration de la gestion du pâturage est abordée à travers des modèles dynamiques tels que SEPATOU (Cros et al., 2001), Patur’in (Delaby et al., 2001) qui mettent en avant la modulation de la gestion du pâturage pour l’ajustement de l’offre fourragère aux besoins des animaux ou encore le modèle e-Dairy, qui est un modèle à la fois dynamique et stochastique utilisé pour prédire des performances biophysiques et économiques des systèmes laitiers en pâturage (Baudracco et al., 2013). Parmi les modèles développés à l’UMRH, le simulateur DYNAMILK est utilisé pour comprendre les compromis possibles entre production, autonomie fourragère et utilisation de prairies (Jacquot et al., 2012). Le simulateur SEBIEN (Jouven and Baumont, 2008) met en œuvre une approche biotechnique centrée sur le fonctionnement fourrager pour simuler l’impact des règles de conduite favorables à la biodiversité sur la production et l’utilisation des prairies pour des exploitions-types de bovins allaitants. Ces modèles dynamiques ont pour caractéristique commune de représenter finement les phénomènes biophysiques en prenant en compte les séries climatiques. On a également le modèle de simulation dynamique IFSM conçu pour déterminer les alternatives pour une gestion optimale et durable des exploitations (Rotz et al., 2012) et le modèle déterministe CropSyst avec un module stochastique au niveau du module climat qui a pour fonction première de simuler la production de cultures et qui sert à analyser les effets pédoclimatiques et 31 les effets du mode de gestion des exploitations agricoles sur la productivité des systèmes de cultures et sur l’environnement (Stöckle et al., 2003). Ces modèles utilisés pour l’exploration et l’évaluation des systèmes agricoles ont la particularité de prendre en comptes la composante temporelle afin de permettre des analyses en relation avec l’évolution des systèmes considérés dans le temps. Dans le cas des modèles dynamiques, les simulations consistent à faire évoluer le modèle au cours du temps afin de mieux comprendre le fonctionnement de la dynamique du système. D’autre part, les modèles statiques permettent de réaliser des simulations pour évaluer une situation afin de déterminer des équilibres et des niveaux de décision sur des bases propres aux objectifs du modèle. On distingue des modèles statiques d’évaluation des pratiques agricoles tels que EDEN, un outil d’aide à la décision permettant d’effectuer des analyses multicritères et des bilans économiques (van der Werf et al., 2009) et INDIGO, une méthode qui calcule des indicateurs agroenvironnementaux (Bockstaller and Girardin, 2003). Il s’agit de systèmes supposés à l’équilibre ; on les qualifie de modèles Momo périodique.
Spécificités des modèles
Selon leurs spécificités, on distingue une diversité de modèles, chacun étant utilisé dans un cadre spécifique. On a par exemple les modèles de programmation stochastique (Hardaker et al., 2004) dont le fonctionnement est basé sur des hypothèses fondées sur des valeurs aléatoires. Les modèles récursifs (Day, 1963; Day et al., 1973) qui ont la particularité d’être réinitialisé avec les résultats d’optimisation précédente et si nécessaire avec une nouvelle information sur le contexte environnemental (Blanco and Flichman, 2002). Les Modèles multi périodique, caractérisés par la notion de temps pour laquelle est définie une situation initiale et une situation finale, prennent en compte les dynamiques biologiques, les investissements et les installations (Louhichi et al., 2004). On distingue entre autres les modèles déterministes dont le fonctionnement est basé sur des hypothèses fondées sur des valeurs déterminées. Il existe cependant des modèles d’optimisation dynamique stochastique. La particularité de ces derniers, comparés aux modèles mathématiques multi périodique réside dans leur méthode de résolution : elle repose sur l’hypothèse de Bellman (Bellman, 1954) qui stipule que la décision optimale peut être déterminée à n’importe quelle étape décisionnelle si les décisions issues de l’état 32 induit par cette décision sont également optimales. Notre objectif étant d’évaluer les exploitations dans des conditions de fonctionnement économique optimales nous nous intéressons aux modèles s’appuyant sur des bases économiques et sur les choix de production.
Modèles économiques
Il existe deux types de modèles qui se fondent sur des bases économiques et sur les choix de production. D’une part, les modèles économétriques qui s’appuient sur une approche empirique et qui cherchent à estimer les paramètres d’une ou plusieurs fonctions à partir d’une base de données historiques grâce à l’inférence statistique. D’autre part les modèles de programmation mathématique qui ont une démarche mécaniste (Rehman and Romero, 1993). La programmation mathématique est l’ensemble des techniques mathématiques permettant la représentation du fonctionnement des exploitations en réaction avec un ensemble de contraintes. La programmation mathématique est couramment utilisée pour analyser les exploitations agricoles. La technique est basée sur la représentation du fonctionnement des exploitations par des fonctions mathématiques sous contraintes. Les programmes linéaires recherchent la valeur extrême de combinaisons linéaires d’activités possibles soumises à des contraintes qui limitent leur dimension et la nature de leur combinaisons (Veysset et al., 2005).